Mercredi 3 octobre 2007 à 12:04


Pour Barbara, Précy devient plus qu'une maison : un fabuleux repaire qu'elle aménage à son image : décor soyeux de mille et une nuits, objets chinés un peu partout, salon chaleureux, chambre sombre. Romanelli y vient souvent : " De cette vieille bâtisse elle a fait quelque chose de divin. Elle était tellement habitée, cette maison ! il y avait tant de choses à ressentir ! C'était vraiment elle. En la visitant, on sentait tout de suite quel personnage elle était. " Wertheimer approuve : Précy, c'était l'antithèse de la rue Michel-Ange : la maison était toute fermée à l'extérieur, mais à l'intérieur elle avait un grand jardin, des fleurs partout, des chiens. Et puis toutes sortes de pièces : des lumineuses, des sombres, des petites, des grandes...La maison a changé sa vie...A moins que ce ne soit parce que sa vie changeait qu'elle s'y est installée ? " Ce qui est sûr, c'est que Précy marque un tournant capital. En s'y installant, Barbara quitte définitivement Paris, délaisse le peu de mondanités auxquelles elle se prêtait encore, affiche désormais une solitude choisie et sereine. Elle y goûte le silence et découvre la nature. Elle se prend de passion pour les fleurs et les arbres de ce " monsieur Jardin " qu'elle regarde verdir ou rougir selon les saisons. Qui l'eut cru : c'est une révélation. " Je n'avais jamais vu le soleil se lever. Ou mal. J'avais entendu dire qu'on mettait une graine en terre et qu'il poussait une fleur, mais je ne l'avais jamais vu. Je ne savais pas ce que c'était un rouge-gorge. " Avec Barbara l'ancien corps de ferme devient une maison cloître. Son bureau est à l'étage. Dans une grange attenante, elle aménage une vraie salle de répétitions. " Elle l'appelait son théâtre, reprend Romanelli. C'est là qu'on répétait avant de partir en tournée. Il y avait une scène, une sono...Tout pour répéter en conditions réelles. " Sitôt installée à Précy, Barbara se met à répéter. Après les peurs, les doutes et les tâtonnements, elle se sent de nouveau prête à chanter sur la scène d'un théâtre. Mais pas n'importe comment, pas dans n'importe quelles conditions ! Pour sa rentrée parisienne, la première depuis les adieux de l'Olympia, elle exige que les places soient vendues beaucoup moins cher que d'ordinaire, à partir de treize francs seulement ( soit deux euros ). Elle argumente : " A quelqu'un qui vous aime et qui vient vous voir, on demande un effort, pas un sacrifice. " Quinze francs, c'est à peine concevable pour les producteurs. Mais, quand elle exige, elle obtient.


Extrait du livre


Lundi 1er octobre 2007 à 9:52

 


En 1993, Christophe Martet le président d'Act Up rencontre Barbara. A cette époque, la France était encore dans le déni de la maladie, alors que nous étions le pays le plus touché d'Europe. Le sida restait un sujet tabou, et la mobilisation des artistes n'en était qu'à ses balbutiements. Quand à Barbara, nous savions qu'elle menait des actions de son côté, qu'elle allait dans les hôpitaux et les prisons...Mais nous n'en savions pas davantage. De cette première conversation Christophe Martet garde un souvenir un peu confus. " Elle parlait beaucoup, elle parlait très vite, elle disait qu'on faisait un travail formidable, qu'elle voulait nous soutenir concrètement, mais qu'elle ne savait pas trop comment. Je lui ai dit que le plus efficace, c'était de nous envoyer de l'argent. Alors, on a commencé à recevoir des dons de sa part. Des dons importants. Et, de temps en temps, elle envoyait un fax au bureau : < Bravo, je vous soutiens, continuez ! > Pour la soirée au Palace elle enregistre un texte inédit, Le couloir sur l'hôpital. Dans l'ultime album de Barbara, Le couloir devient une chanson mise en musique par Jean-Louis Aubert. " Ils ont tous les deux voulu donner les droit à l'association." J'ai donc pris rendez-vous chez l'agent de Barbara, Charley Marouani, pour signer les papiers. Barbara est arrivée, accompagnée de son assistante. C'était la première fois que je la voyais. Elle était très grande, habillée en noir, des lunettes fumée et une espèce de boa autour du cou. Tout est allé vite : on a signé, et on l'a raccompagnée jusqu'à sa voiture. Je la revois assise, vitre baissée, nous dire à quel point Act Up était utile. Et surtout elle répétait : < Bougez-moi tout ça ! Bougez-moi tout ça ! > Une fois l'album sorti, les droits se mirent à tomber dans la cagnotte d'Act Up : aux alentours de deux cent mille francs par an, somme considérable pour une association ! " Barbara, c'est l'artiste qui a le plus contribué à notre lutte, et nous en sommes très fiers. Elle avait une vraie légitimité, un engagement personnel. Beaucoup se contentent de signer un chèque de temps en temps, quand on les sollicite, et de passer à autre chose...Elle, elle allait beaucoup plus loin, sans qu'on lui demande quoi que ce soit. Tenez : l'un des anciens présidents d'Act Up, Clews Vellay, mort du sida à l'âge de trente ans, nous a raconté qu'un jour, dans sa chambre d'hôpital, il a vu débarquer Barbara. Elle venait là en toute discrétion pour soutenir les malades. " Clews Vellay n'est pas le seul à avoir reçu la visite surprise de la chanteuse : durant plusieurs années, Barbara s'est rendue régulièrement dans deux ou trois hôpitaux parisiens afin d'y rencontrer ces " sidamnés " qu'elle chantait sur scène. Faut-il s'en étonner ? " Je l'ai dit dans mes chansons : il faut être là quand les gens s'endorment, pour les accompagner " rengaine de toute une vie. Elle disait aussi : " Dans les hôpitaux, j'ai vu des malades solitaires qui appréhendaient de prévenir leurs familles. [...] J'ai vu des hommes et des femmes mourir en colère. [...] Je les ai vus partir, et je ne pourrai jamais oublier. " Que leur racontait-elle ? Cela leur appartient. Ce que l'on sait, c'est qu'elle se tenait toujours auprès des plus seuls et des plus rejetés. Et qu'elle n'hésitait pas à leur donner un numéro de téléphone, à Précy, pour qu'ils puissent l'appeler s'ils en avaient envie, à n'importe qu'elle heure du jour ou de la nuit. " J'ai toujours essayé de parler d'amour : il m'a paru évident de parler du sida qui, est un grand mal d'amour."

Jeudi 27 septembre 2007 à 21:11


Imaginez-la entrant en scène, ce mardi soir de novembre 1963, s'asseyant au piano, la voix claire mais le regard absorbé par les souvenirs, dévoilant les premiers mots du texte qu'elle vient à peine de terminer : " Il pleut sur Nantes, donne-moi la main / Le ciel de Nantes rend mon coeur chagrin... " Devant une salle suspendue, Barbara, chanteuse de trente-trois ans totalement inconnue du grand public, est en train de créer un morceau de légende. Un peu plus tôt, pendant les répétitions, elle peaufinait encore son texte sous l'oeil intrigué de Sophie Makhno. " Je ne sais pas si quelqu'un a retrouvé tous les brouillons de Nantes, mais elle a noirci je ne sais combien de feuilles ! Elle était dans sa bulle, il fallait la voir... Pourtant, il y avait une loge commune qu'on devait libérer pour les autres... Mais elle, elle semblait isolée. Et elle raturait, elle raturait. Nantes, c'était une chanson horriblement difficile à finir. Elle la réécrivait d'une façon compulsive. D'ailleurs, aux Capucines, elle en a chanté une version un peu différente de celle qu'on a connue plus tard. Nantes... La plainte est lente, les mots pudiques, la mélodie lancinante, la douleur immense et la perte lourde. " Au chemin qui longe la mer / A l'ombre du jardin de pierre... " Dans la chanson, un homme se meurt. Qui est donc celui qu'elle pleure, qu'elle dit avoir " couché dessous les roses " ? Sa voix s'élance dans le silence. " Mon père, mon père..." Le public des Mardis de la chanson en a le souffle coupé, tant l'émotion est forte. Au sortir du théâtre des Capucines, tout le monde est remué Louis Hazan, le directeur de Philips, se dit sous le charme, Sophie Makhno , impressionnée, accepte de travailler pour Barbara, Denise Glaser, l'animatrice du célèbre Discorama, décide sur-le-champ de lui consacrer une émission et d'y présenter cette fabuleuse chanson qu'elle vient de découvrir. Nantes n'existe pas encore sur disque ? Pas grave, s'il faut absolument montrer quelque chose a la caméra, elle fera fabriquer une fausse pochette ! Depuis, ce Discorama est entré dans les annales du petit écran : une émission très sérieuse qui fait la promotion d'un disque virtuel, c'est pour le moins cocasse ! Mais en l'occurrence, pas très étonnant : Denise Glaser adorait Barbara. Elle l'invite souvent sur ses plateaux télévisés, et les interviews qu'elle y réalisa furent parmi les plus belles. D'ailleurs, Barbara lui manifesta toute sa vie une indéfectible fidélité. Et quand, dans les années 80, le cancer emporta la journaliste dans le dénuement et l'indifférence à peu près générale, Barbara fut l'une des seules artistes à se déplacer au petit matin pour lui rendre hommage. Nantes... Chaque fois qu'elle la chante, c'est le même silence dans la salle. Aux Capucines comme à Écluse. Marc Chevalier se rappelle : " Pour moi, c'est un souvenir splendide et absolument inoubliable. J'étais en coulisses, elle s'est mise à chanter et on a tous écouté comme ça... Suspendus l. C'était splendide. Il y avait une atmosphère d'écoute remarquable. Tout le monde se taisait. Ce fut l'un des moments les plus forts de toute l'Écluse " Marie Chaix ne connait pas encore Barbara quand elle entend Nantes pour la première fois : " Cette chanson m'a fait un effet extraordinaire. Tellement fort que je me rappelle très bien : j'étais assise à l'Écluse, à la table juste sous son nez, contre l'estrade et le piano droit. Et puis elle a commencé à chanter Nantes... Je l'ai entendu comme une femme qui est en deuil et qui pleure son amour. La fin, évidemment, est fracassante et m'a laissée... j'ai cru que je n'allais plus pouvoir me lever. C'était la chanson la plus incroyable que j'avais jamais entendue. Et la mieux faite. J'ai été liquéfiée d'admiration.

Lundi 17 septembre 2007 à 10:28


Ce matin de novembre 1997, Il ne faisait pas gris. Pourtant, la radio, soudain, nous en a flanqué " Des larmes aux paupières / Au jour qui meurt, au jour qui vient " Les murs de Précy-sur-Marne étaient ni plus ni moins opaques que la veille. A l'entrée de l'Hôpital Américain de Neuilly nul fan égaré. Barbara s'était endormie, une longue insomnie s'achevait. Quarante ans de chanson. A faire le parcours en accéléré, on distingue les lumières de Écluse, ce cabaret des bords de Seine où elle s'était rodée deux lustres durant. Dix années pour éclore, pour comprendre que, si elle voulait exister à part entière, il lui faudrait puiser en elle l'inspiration, écrire ses propres chimères, cesser d'interpréter celles des autres, même avec du talent. Pendant dix ans, ensuite, c'est sa vie qu'elle met en scène tous les soirs, sur les planches de Bobino et de l'Olympia. Pas d'invention ni de romance : du vrai, du nu, du brut. Du vécu garanti pur spleen. Barbara détaille sa biographie, ses amours contrariées, les livres en pâture. Et, parce qu'elle ne triche pas, elle gagne. Aussitôt qu'elle identifie un lieu à sa mesure " le music-hall " Elle séduit, s'épanouit. Se multiplient les adeptes, se tricotent les succès, de Bois de Saint-Amant en Petite cantate, de Ma plus belle histoire d'amour en Aigle noir. Décennie d'or, années 63-73 : la voix est claire, lumineuse. Elle court sur les claviers de Göttingen et d'ailleurs. Quelques errances, au théâtre et au cinéma. Comme pour reprendre son souffle, Barbara attend Pantin et le début des années 80 pour renaître. Toujours plus haut, plus loin. Alors que la voix est devenue rauque, Barbara se veut rock. Ou, du moins, actuelle, au son du jour. Elle se donne toujours autant, voit son public rajeunir qui découvre une prêtresse capable d'électriser les foules sous chapiteau, de faire grimper les spectateurs aux rideaux. Cette diva -- le mot vient aux lèvres, même si elle le récuse -- ne livre pas seulement de l'émotion au kilo-watt : de la compassion. C'est Barbara seconde époque. Moins harmonique, plus universelle, moins rive gauche, plus sensible à la souffrance, celle des autres, qu'elle ait pour nom prison, sida ou enfance maltraitée. Du Châtelet à Mogador, Barbara survit à Barbara, même si la voix souffre. Elle modèle la scène, convainc les ultimes sceptiques , jette ses feux derniers, griffés Rouveyrollis. La grande fille qu' " au temps de l'eau et du pain noir, sans mirabelles " on chahutait gaiement, dont on avait moqué la voix de cantatrice du dimanche, était devenue une petite soeur universelle. Inaccessible et proche. Elle distribuait des préservatifs à la fin des spectacles, convoquait les ministres, chantait derrières les barreaux. Sous la dentelle restait, comme naguère sous le velours noir, un oiseau dont on caressait les refrains indémodables. Elle nous aimait tant. Sa plus belle histoire d'amour, nous répétait-elle de lieu en lieu... Les compromissions, les compromis, très peu pour elle. Sincère, colérique parfois, exigeante toujours, jamais capricieuse, en butte aux aléas d'un moral à géographie variable, altruiste et solitaire, rieuse et désespérée, poète qui méprise sa prose, génie de la mélodie qui ne s'y entend guère en solfège, show-woman pourvue d'un sens inné de la scène et qui pourtant répète sans trêve, ne laissant nul interstice au hasard. Femme de paradoxes qui nous lègue quelque deux cents chansons bonheur.


Jean-Daniel Belfond 
 ( Éditeur )

Samedi 15 septembre 2007 à 11:46


Barbara savait mettre des mots sur ce que vous pensiez, des émotions sur ce que vous ressentiez. Pour moi, elle a été déterminante. Dès l'adolescence, elle a été une aide. Et même quand j'ai décidé de faire ce métier d'actrice et d'utiliser ma différence, je pense que son exemple a été capital. Cette femme est arrivée comme une viking, elle a imposé un physique qui détonnait par rapport aux canons de l'époque, qui tranchait par rapport aux filles un peu lisses. Elle, elle était vivante, drôle, émotive, émouvante. Elle a tout imposé : son physique d'abord, et plus tard sa voix qui dérapait. Elle m'a beaucoup frappée, elle m'a beaucoup aidée. Ses chansons m'ont marquée. Je les connais vraiment, vraiment bien... A l'époque de Pantin, j'avais treize ans, et j'y étais, sous le chapiteau ! Ce fut un choc. C'était dingue, tous ces gens qui chantaient en coeur, ça n'en finissait pas. Bien sûr, ce sont mes parents qui m'y avaient emmenée... Mais Barbara, je l'ai aimée toute seule. Je l'ai toujours aimée. Après Pantin, je l'ai revue ailleurs. Je me rappelle un jour avoir croisé Patrick Bruel à la sortie d'un concert. Lui aussi était un passionné et il m'a proposé de me la présenter... J'ai dit non. J'étais paralysée. Elle était bien trop importante à mes yeux pour que je puisse lui dire des choses anecdotiques. Attention : je n'ai jamais été une " fan " mais je l'ai toujours ressentie comme quelqu'un de proche. Aujourd'hui encore, j'adore l'écouter. J'adore son parcours. Elle m'émeut toujours autant. Et je la trouve inspirante. Il me semble qu'elle a vraiment inventé quelque chose, une façon de mettre en mots et en chansons des émotions. Certains disent que c'est triste, ou que ça fout le cafard... C'est tout le contraire ! Ses chansons mettent le doigt sur des choses délicates et vous aident à passer des moments difficiles.


Depuis Barbara, qui a eu cette force dans l'écriture et dans le partage avec le public ? Qui a réussi cela ? Franchement, je ne vois pas.


Sandrine Kiberlain
    ( Comédienne, auteur-interprète )

Jeudi 13 septembre 2007 à 10:16


J'ai toujours écouté avec passion des Anglo-Saxons : U2, Depeche Mode, The Cure, les Who ... Barbara, c'est la seule artiste française que j'ai aimée autant qu'eux ! Je l'ai découverte grâce à un ami, j'avais vingt ans. D'un seul coup, je suis entré dans un univers à la fois mystérieux et familier. Elle avait un côté sombre, mais elle portait aussi une vraie lumière. J'aimais cela chez elle. Barbara avait quelque chose de très rock'n'roll : toute sa vie elle est restée fidèle à sa musique, à ses idées, à son piano, à ses vêtements, à ses gestes, à ses couleurs... Dans le même temps, elle s'inscrivait dans une vraie tradition de la chanson française, une façon très particulière de raconter des histoires avec leur début, leur milieu, leur fin. Ce mélange-là aussi me touchait beaucoup. Au début des années 90, avec mon groupe, Les Charts, nous avons enregistré une reprise de L'Aigle noir. Elle est tombée dessus, j'ignore encore comment. Mais un jour, en rentrant chez moi, dans mon appartement du 11e, voilà que je trouve un message d'elle sur mon répondeur ! Elle me disait à peu près ceci : " Bonjour, c'est Barbara, j'ai écouté votre Aigle noir, et je voulais juste vous dire que ça me touche beaucoup " Elle parlait aussi d'une autre de nos chansons, dans laquelle elle disait sentir une grande sensibilité. Si vous saviez comme ça m'a donné confiance ! J'étais tellement ému que, pour la remercier, je lui ai envoyé un mot. Dès qu'elle l'a reçu, elle m'a appelé. Elle était charmante, très ouverte, très curieuse de tout. Ses mots étaient une invitation au dialogue. Je n'ai pas osé aller plus loin. Aujourd'hui encore; je la sens, je la ressens en moi, artistiquement parlant. C'est très fort. Il me semble, que je pourrais chanter demain n'importe laquelle de ses chansons : pour moi, elles sont toutes une évidence.


Calogero
( Compositeur-interprète )

Lundi 10 septembre 2007 à 10:20


C'est la première femme que j'ai écoutée. Du haut de mes sept ou huit ans, je la trouvais déjà très abordable, sans doute parce qu'elle racontait des histoires en privilégiant toujours l'émotion. Plus tard, avec la maturité, j'ai saisi toute la force et l'intensité de ses chansons, notamment celles sur son père. Aujourd'hui encore, Barbara me touche. Totalement. Elle fait partie de moi. C'était une femme vraiment étonnante, avec un charisme dingue, pas jolie mais belle. Jusqu'au bout, elle est restée parfaitement intègre. Pour nous autres, issus du format intensif et du marketing forcené, c'est une leçon ! Je me rappelle quand elle a eu pour la première fois une Victoire de la musique : le soir de la cérémonie, elle chantait en province et elle n'a pas voulu annuler son spectacle ni même l'écourter pour recevoir sa Victoire ( malgré la présence, devant la salle, d'une équipe télé dépêchée pour l'occasion ) Elle a toujours su où étaient ses priorités. A mes débuts, nous étions dans la même maison de disques, et quelqu'un lui a fait passer mon album. Quelques jours plus tard, elle m'a envoyé un fax pour me dire plein de choses gentilles. Vous imaginez ? Le fax, je l'ai gardé. Elle le terminait avec des mots qui restent pour moi très précieux : " Que mille soleils accompagnent votre route ... "


Zazie
( Auteur-Compositeur-Interprète )

Jeudi 30 août 2007 à 8:51


Barbara bâtit ses récitals avec un professionnalisme hors pair.
Des premières notes jusqu'au tomber du rideau, elle maîtrise tout.


On est loin d'une simple succession de chansons. Un récital de Barbara est une construction minutieuse. Avec ses deux parties, ses ruptures de rythmes, ses pauses, ses rebondissements. Début du récital, les lumières s'effacent et l'intro démarre ( le musical de Pierre, repris depuis des années ) Le rideau ? Il n'est pas encore ouvert. Ainsi, avant même de voir la scène, le public entre de plain-pied dans le spectacle. Les secondes s'écoulent et le rideau se fend. On découvre les musiciens. puis la chanteuse, enfin. Elle avance, lente, souriante. Une entrée qui prend des allures de cérémonial, et qui souligne d'emblée l'exceptionnel de la rencontre. La première partie est menée tambour battant. Barbara évite les débordements d'enthousiasme. Elle enchaîne titre sur titre, n'hésite pas à couper court aux applaudissements pour entamer une chanson. Le rythme est percutant. Des titres nouveaux ou peu connus viennent se glisser ici et là. L'heure est à la découverte, à l'écoute attentive. Un premier acte court ( à peine plus d'une note gaie, comme une fête : L'homme en Habit Rouge au Châtelet, La Plus Bath des Javas à Mogador. Déjà, elle lance la deuxième partie.

 
Du grave au léger


Contraste saisissant... De retour sur scène, pour une bonne heure de spectacle, Barbara entame alors un récital plus débridé. On retrouve ici les " grands-classiques-qu'on-attend " Avec toujours la finesse de la construction : l'art, par exemple, d'enchaîner deux ambiances, de basculer d'un texte grave à un autre plus léger. Souvent, les musiciens reprennent le thème musical en fin de chanson. L'occasion pour Barbara de laisser libre cours à son aisance : elle fend la scène, regarde la salle, repose sa fatigue sur l'épaule d'un musicien, esquisse des pas de danse. Du coup, elle appelle les spectateurs à elle. Et la salle se laisse porter. La fin du spectacle est une suite de rappels, plus ou moins préparés, de titres archi connus, comme Nantes ou L'aigle Noir. Des moments d'abandon, devant un public définitivement conquis. Là où les roses se tendent, où les lettres échouent sur le bord de la scène, où l'on se dit des " mercis " et des " à bientôt ". Petit à petit, le spectacle glisse des planches à la salle. Le public lui chante La Petite Cantate ou Dis quand reviendras-tu ? Une vrai conversation.


Valèrie Lehoux
( Journaliste )

Samedi 18 août 2007 à 10:25


L'étoile polaire


Quand barbara chante, il y a une telle densité que tout à coup le silence s'impose. Parfois, les gens me demandaient comment elle était dans la vie. Je leur répondais : " Vous l'avez vue sur scène, vous l'avez entendue vous parler, eh bien dans la vie c'est la même femme. " Elle ne cachait rien. Elle avait les mêmes audaces, le même humour, les mêmes éclats de rire. Barbara avait ce don de percevoir les choses au plus près du coeur et de pouvoir les exprimer très simplement, ce qui la rendait, à chacun, très proche et très humaine. Elle entendait tout. Elle voyait tout. C'était son côté sorcière. Un jour, pendant les répétitions, alors que le plateau était interdit à quiconque, même au directeur du théâtre; elle s'arrête de jouer. Elle avait senti une présence. Elle a fait éclairer la salle. Il y avait effectivement deux personnes qui s'étaient faufilées jusqu'au poulailler... Après Mogador, nous sommes partis en tournée au Japon. Barbara donnait un concert pour l'inauguration d'une salle, immense d'ailleurs. On se disait que cela allait être dur de conquérir un public qui n'était pas forcément là pour elle. Avant d'entrer en scène, elle nous a dit : " Vous allez voir ce soir... " A la moitié du concert, les gens étaient debout. Ils ne s'occupaient plus de la traduction qui défilait au-dessus de la scène, ils la regardaient, elle. Ils avaient été aspirés dans son univers. Elle avait gagné. Ce qui se passait en scène avec Barbara allait au-delà des mots. Un soir où mes parents étaient venus à Mogador, mon père " padre italiano " d'abord extérieur à l'atmosphère qui régnait dans la salle, s'est laissé emporter par sa lumière et m'a confié après le spectacle, subjugué et ému jusqu'aux larmes : " Cette femme, c'est l'étoile polaire " Accompagner Barbara, c'était plus qu'une leçon de musique, c'était une leçon d'amour.


Sergio Tomassi
( Musicien )

Mardi 31 juillet 2007 à 9:21


Impossible d'écrire sur Barbara. Ceux qui s'y sont risqués le savent. Timidement on l'approche, on l'aime. On croit la saisir, en quelques phrases, pour peu qu'elle y mette du siens, qu'elle s'y prête, plaque deux trois de ses mots comme un accord, on croit la tenir, une formule, un coup de griffe, la voici, et hop-là !... Pensez-vous ! Elle virevolte, s'échappe. Et vient le moment où elle referme le couvercle de son piano, la porte de son jardin, adieu Berthe ! " Et dire qu'ils me croient intelligente " Ce rire. Le rire de Barbara. En aparté pour son chat ou son chien : " Ils ne serons pas déçus du voyage ! " Et la voilà partie, dans une envolée de dentelles noires, cristalline, arroser ses fleurs ou se perdre dans ses gammes. Que faire ? Des photos ? Vous n'y pensez pas, la chanteuse a horreur des photos. Elle a passé sa vie à les jeter aux orties, pour certaines, elle n'eut pas tort. Pourquoi ? Elle ne s'y reconnaît pas. Cette femme de papier, ce double figé qui la nargue ce n'est plus elle. C'était hier. Hier ne l'intéresse plus. Que ces visages qui lui ressemblent vaguement puissent intéresser les autres, elle l'admet mais ne le comprend pas. Dans la vie elle avance, oublie, jette. Et recommence tout. N'a-t-elle pas signé des milliers de photos à la sortie des théâtres ? Oui, pour faire plaisir. Sans gaîté de coeur. Elle n'a jamais été si soulagée que lorsque des paysages remplaçaient son portrait sur les pochettes de disques ! Étrange pour une star. Elle aimerait que les photos soient comme des reflets dans l'eau : un instant à peine, saisi par la mémoire puis englouti et à jamais oublié. Là-bas, là-bas, tout est plus beau, de l'autre côté du miroir... Un peintre disait à ses élèves " Quand vous dessinez un paysage, pensez à une femme et quand vous dessinez une femme ... " Dessinez Barbara ? A coup de mots, d'images, de souvenirs. Et s'il vous manque une photo, nous inventerons un paysage.


Marie Chaix  
 ( Écrivain )

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