Vendredi 14 août 2009 à 9:01

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La semeuse de refrains est une amoureuse. Exaltée et volage, amante passionnée et victime consentante. Elle n'imagine pas que l'amour puisse être tiède, qu'il lui soit autorisé de s'éroder lorsqu'il se frotte aux habitudes et au temps. Elle se veut livrée entière à la chaleur de la brûlure, à la douleur de ses morsures. Hubert la découvre un soir à L'Ecluse et leur amour prend comme un feu d'été, indomptable et exubérant. Elle voudrait être certaine qu'il l'aime, le lui réclame jusqu'à plus soif. Quand son diplomate la quitte pour retourner à Abidjan où il vit à mi-temps, elle se désarticule, se dévitalise. Elle chante à minuit et attend un signe tout le reste du jour  :  une poignée de mots cachetés, un coup de fil, ou qu'il pousse une porte. Lorsqu'il reparaît, les jours ne sont plus assez longs pour contenir tant d'amour. Il s'échappe à nouveau, l'exhorte à le rejoindre. Ils ont des orages. Barbara, féline, rentre ses griffes et ses violences. Elle se fait petite et douce aux heures de l'amour mais bondit soudain, pareille au cabri. Elle chatouille la quiétude du moment pour lui donner quelque fulgurance, tire sur ses liens pour en garder aux poignets la trace rougeoyante et douloureuse. L'assurance de se sentir vivante, infiniment aimée et désirée. J'ai besoin d'être dominée, je crois, comme beaucoup d'entre nous. Moi, j'ai besoin d'avoir constamment au poignet un bracelet d'argent cerclé, d'esclave. Parce que l'absence d'Hubert est un poison dans ses veines, elle convainc finalement les patrons de L'Ecluse de la laisser s'échapper un temps pour se rendre en Côte-d'Ivoire. Il n'est pas question de dépendre de lui, et encore moins de ne pas chanter, aussi la proposition d'engagement de Jo Attia, qui vient d'ouvrir un cabaret à Abidjan, tombe-t-elle à point nommé. Le Refuge, c'est un peu Chicago en pleine Afrique avec son lot de brigants bien sapés et de réglements de comptes à l'emporte-pièce. Ici les hommes ont le sang chaud, et c'est bien étrange de faire chanteuse entre une danseuse du ventre et une strip-teaseuse. Il y a aussi les soirées des nantis, blanc, bien sûr, qui contemplent leurs nombrils et leurs riches atours, et toutes ces femmes qui battent des cils sur le passage d'Hubert et qui, pire, réclament à Barbara une chanson, ce dont elle ne leur fera jamais la grâce. Ce spectacle pathétique lui porte au coeur et elle enrage de se nier de la sorte, même par amour. L'Ecluse la rapelle, elle laisse Hubert mais s'en va avec la promesse qu'il la rejoindra dans quelques semaines. Les arbres se dépouillent de leurs cheveux d'été, le ciel s'alourdit et se grise, et lui qui ne revient pas... L'absence est une maladie terrible, une lèpre qui grignote l'âme.

Je vais, je viens, je vire, je tourne et je me traîne. (...)
Et j'ai le mal d'amour et j'ai le mal de toi.

Face à son piano, Barbara met en forme le manque qui l'assaille. Elle cisèle un lamento dont les aigus sont pareils aux pics qu'elle porte plantés dans le coeur. Dis, quand reviendras-tu ? demande-t-elle à Hubert alors qu'elle lui fait écouter sa chanson par téléphone, avec en prime la menace d'un ultimatum qui a le mérite d'être limpide.

Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs. (...)
J'irai me réchauffer à un autre soleil.
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin,
Je n'ai pas la vertu des femmes de marin.

La déclaration d'amour est de taille. Hubert revient. Il obtient d'elle qu'un temps elle ne succombe à l'appel d'aucun piano. Il la veut pour lui seul. Elle rôde autour de son instrument et tient bon. Elle flanche finalement dans le hall d'un hôtel, il ne décolère pas, elle le rattrape encore. Hubert doit regagner Abidjan, mais avant il met sa belle à l'abri. Au 14, rue de Rémusat, dans le seizième arrondissement, tout près du pont Mirabeau. Son Rémusat est dans les nuages  :  un septième ciel-étage sur terrasse, avec un beau salon où trône le piano à queue et une chambre bleu nuit. C'est beau le bleu, c'est couleur de repos, de paix. Hubert continu d'aller et venir. Barbara se défend d'avoir la vertu des femmes de marin ; pourtant elle veille comme telle, son piano et son magnéto pour seuls compagnons. Il propose de ne plus repartir si elle renonce à sa vie de chanteuse. Les mots d'amour, ceux d'humour, les souffles caressants entre deux notes, les sourires complices et le grand frisson quand vient le rendez-vous de minuit, il ne les partagera plus. Elle doit choisir entre lui et son amant de mille bras - son public.Elle aurait bien aimé être sa danseuse, une cocotte poudrée et docile dans un salon aux murs de soie tendue. Elle aurait bien aimé vivre alanguie dans sa chambre bleu nuit, à attendre son retour. Mais elle brûle d'un autre feu. En elle tourbillonnent des chansons. C'est triste Rémusat depuis qu'il n'y a plus l'espoir d'y voir Hubert. Toutefois, ils ne se quittent pas fachés. Elle lui a offert une chanson, il lui laisse le mobilier. Quand ses solitudes manquent de la faire se jeter par-dessus bord, elle s'arrime et se sangle à son piano-vaisseau. C'est alors une aventure merveilleuse, un voyage épatant. La liberté est un luxe qui se paie cher. Qu'importe... Barbara n'a pas le sens de l'économie !

Quand on aime un homme, mieux vaut se quitter quand l'amour est à son maximum. Rien n'est plus atroce que ces amours qui meurent lentement, qui se dégradent. De toute façon, un homme ne peut pas faire une vie. J'ai brisé un amour par amour du public et de la scène, car ce métier vous permet de faire du bien, de donner de l'amour à mille personnes en un soir. Vous comprenez ? D'ailleurs, un homme n'accepte pas que sa femme qu'il aime se  "  déshabille  "  tous les soirs devant mille personnes.

D'autres hommes viendront l'aimer. De passage, par intermittence, passionnément... Mais la passion de chanter est plus forte que celle de former un couple.

J'ai passé plus de nuits à chanter
Que de nuits dans les bras d'un homme.


Extrait du livre

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Mardi 11 août 2009 à 8:56

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Barbara occultera les moments douloureux pour ne se souvenir que de l'ambiance chaleureuse qui régnait sur le petit monde des prostituées, des voyous et autres maquereaux. Au moment où Jacques Brel enregistre son premier disque Philips, Barbara va où le vent la mène, et flirte avec les situations dangeureuses. L'insouciance de la jeunesse, avec pour seul but, chanter et chanter encore ! Un soir, dans un cabaret où elle se produit, elle va trouver le patron, un  "  caïd  "  qui maltraite son personnel, les artistes, surtout une certaine danseuse  :  
Je te préviens, je ne chante pas ce soir si tu ne donnes pas ce que tu dois à cette fille !
Quand j'y pense...,
avouera-t-elle plus tard à Serge Tomassi, futur complice musical, j'aurais pu me faire massacrer ! Mais il était hors de question de laisser faire ce voyou !
De septembre à Noël 1954, Barbara est engagée à L'Ecluse en numéro trois, en vedette après une parodie comique. Sur la rive gauche, elle chante sans micro avec une désinvolture qui fait rire le public, jouant de sa voix et de son corps. Pendant ce séjour, la direction remarque pour la première fois que Barbara 
"  fait recette  "
Place de l'Odéon dans les années cinquante. Raymond Lévesque égrène ses souvenirs...
Lorsque j'arrive à Paris en 1954 avec peu d'argent, je me retrouve à Saint-Germain-des-Prés avec tous les paumés de la terre. C'est là que je fais sa connaissance, elle est comme nous. Nous fraternisons et passons nos après-midi au Café de l'Odéon, au Quartier Latin, où le patron nous laisse nous éterniser devant un verre de rouge. Très effacée,elle me présente Claude Sluys, qui est vaguement imprésario, en me disant simplement  :  "  c'est mon mari. "   
Le 14 décembre 1956, elle est engagée par Jacques Canetti aux Trois Baudets, dans Hi-Fi, aux côtés de Francis Lemarque, Raymond Devos, Pierre Dac, Francis Blanche, Colette Chevrot et Monique Sénator.
Cette année-là, lorsqu'il est nommé directeur artistique du service Variétés pour le compte de la maison Pathé Marconi, Serge Beucler invite son ami montpellièrain Henri Saccazes dans un petit restaurant du quartier Saint-Michel  :  il tient à lui présenter sa découverte... Plus tard, retiré à Millau, Henry Sacczes se souviendra de son tout premier contact avec cette  "  femme-échalas en point d'exclamation, à la démarche un rien féline et au port de tête de danseuse-étoile  "
Jamais je n'oublierai cet instant magique. Du haut de sa longue silhouette filiforme, avec un timbre de voix si étrange, elle paraît accrochée à sa branche, dans une pénombre feutrée et intimiste. Barbara qui ne laisse déjà nul indifférent est une femme impressionnante d'intelligence et de culture, mi-Callas par la silhouette, mi-Garbo par le mystère. Si le therme d'atmosphère est lié à tout jamais à la gouailleuse personnalité d'Arletty, c'est avec Barbara qu'il a pris sa pleine dimension romantique avec des émotions à nulle autre pareille, une intimité, une ambiance d'envoûtement proche de la cérémonie vaudou...
En 1958, engagée pour six semaines, elle chante à nouveau à L'Ecluse. L'ambiance est familiale, Barbara arrive chaque soir, très tôt, vers 21h, bien avant l'ouverture.
Dès les premiers jours, je remarque sa grande intégrité, raconte Marc Chevalier. Chanter c'est sa vie, elle sacrifie tout à ça. Barbara a une  "  élégance de coeur  "  :  elle donne tout, c'est spontané ! Avant le spectacle, on prend le café ou bien on mange au restaurant d''à côté. Plus tard vers 1h ou 2 h  du matin, nous allons boire un dernier verre ensemble place Saint-Michel. Nous vivons très liés sans véritablement nous connaître. Nous parlons beaucoup, mais je ne vais jamais chez elle et je ne sais rien de sa vie privée... Une fois, elle se dévoile et me dit  "  tu vois quand je chante, je ne fais pas venir ma mère... Le fait qu'elle soit là me trouble et m'empêche d'être moi-même totalement... "
Au fils des jours, ses inflexions de voix au timbre personnel sont très remarquées. Barbara croise, entre autres, Yves Joly et ses marrionnettes, sans oublier Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras, inséparables, avec leurs personnages de Louis XIV et Racine. Elle gagne dix francs par jour. de quoi se payer le taxi et le dîner.


Extrait du livre

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Lundi 3 août 2009 à 8:29



<  La solitude  >


La solitude   ( Barbara/Barbara )   ( 1965 )


Je l'ai trouvée devant ma porte
Un soir que je rentrais chez moi
Partout, elle me fait escorte
Elle est revenue, la voilà,
La renifleuse des amours mortes
Elle m'a suivie pas à pas
La garce, que le Diable l'emporte
Elle est revenue, elle est là.

Avec sa gueule de carême
Avec ses larges yeux cernés,
Elle nous fait le cœur à la traîne
Elle nous fait le cœur à pleurer,
Elle nous fait des mains blêmes,
Et de longues nuits désolées,
La garce, Elle nous ferait même
L'hiver au plein cœur de l'été.

Dans ta triste robe de moire,
Avec tes cheveux mal peignés
T'as la mine du désespoir,
Tu n'es pas belle à regarder,
Allez, va t-en porter ailleurs
Ta triste gueule de l'ennui,
Je n'ai pas le goût du malheur
Va t-en voir ailleurs si j'y suis.

Je veux encore rouler des hanches
Je veux me saouler de printemps,
Je veux m'en payer, des nuits blanches
A cœur qui bat, à cœur battant
Avant que sonne l'heure blême
Et jusqu'à mon souffle dernier,
Je veux encore dire "je t'aime"
Et vouloir mourir d'aimer.

Elle a dit : Ouvre-moi ta porte
Je t'avais suivie pas à pas,
Je sais que tes amours sont mortes
Je suis revenue, me voilà
Ils t'ont récité leurs poèmes
Tes beaux messieurs, tes beaux enfants,
Tes faux Rimbaud, tes faux Verlaine
Eh bien c'est fini, maintenant.

Depuis, elle me fait des nuits blanches
Elle s'est pendue à mon cou,
Elle s'est enroulée à mes genoux
Partout, elle me fait escorte,
Et elle me suit, pas à pas,
Elle m'attend devant ma porte,
Elle est revenue, elle est là,

La solitude, la solitude...

Lundi 27 juillet 2009 à 8:18

 
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Et Barbara, que dit-elle sur elle-même, que dit-elle de Barbara ? Que sait-on de celle qui ose déclarer d'emblée à un journaliste venu l'interviewer : je n'ai pas envie de parler. D'un ton doux, sans provocation, d'une sincérité déconsertante qui donne plus envie encore de nous la rendre familière. Peu de choses en vérité. Barbara invite ceux qui cherchent à en savoir davantage sur elle à écouter ses chansons. Cela peut-il nous aider à mieux comprendre le pouvoir créateur de celle qui a bercé le mal de vivre de toute une génération dans le giron de ses chansons ? Le paradoxe avec Barbara naît justement de cette attention que l'on porte à ses chansons. Elle qui sait mettre des mots sur des choses que l'on est souvent soi-même incapable d'exprimer. Quand elle chante Le mal de vivre, c'est un peu comme si elle nous prenait la main, disant au delà des mots de la chanson : Viens, tu n'es pas tout seul à vivre cela, tu souffres, je sais cela. Et puis au bout, il y a l'espoir de s'en sortir, si tu cherches bien, de retrouver la joie de vivre. Ce qu'elle chante reflète tellement nos pensées que cela nous donne envie d'en savoir plus sur leur auteur, sur leur origine, leur naissance. Ce besoin d'intimité que le public ressent pour elle naît de cet amour-fusion, inexplicable en lui-même mais dont chacun voudrait détenir la clé. Barbara appartient à cette catégorie d'artistes que l'on aime pour eux-mêmes et dont on voudrait être toujours proche.
Il n'y a sans doute pas d'autre mystère à percer. Barbara se situe dans le pays de l'art où l'exégèse de la création ne peut pas en dire davantage. Aujourd'hui nous sommes face à l'oeuvre d'une visionnaire, face à un tout dont les fils ne peuvent plus être démélés. Barbara chantait déjà pour le XXIème siècle. Et si elle a si bien su parler de la vie, c'est parce qu'elle se projetait dans un avenir qui laisse toujours la porte entr'ouverte parce que comme elle l'a écrit, demain Le jour se lève encore.

Didier Millot  ( Auteur )

Vendredi 17 juillet 2009 à 8:39

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La paix


La paix ! Son grand souci, sa grande cause politique, la seule qu'elle ait vraiment chantée, sans slogan et sans naïveté, mais avec une profonde humanité. Barbara a dit la paix parce qu'elle savait la guerre et qu'elle ne doutait pas que celle-ci pourrait de nouveau, demain, déchirer les hommes et les pays.
Alors, elle a fait ce qu'elle a pu  : elle a chanté. Pas des centaines de textes, mais quelques-uns  :  Perlimpinpin, Le soleil noir. Des mots précis, lucides, loin des grands discours et des champs de bluets. Elle a chanté, honteuse parfois tant elle se sentait impuissante, indécente. Ca me donne honte d'exister. [ ... ]  Vous me voyez en train de faire la la la en face de tout cela ? [ ... ]  Elle le fit pourtant, et elle le fit bien, parce qu'elle ne joua jamais les donneuses de leçons. Ses chansons engagées étaient des chansons d'amour. Et s'il en est une entre toutes emblématiques c'est bien sûr Göttingen  : chanson de pardon et de réconciliation, écrite et composée par une Juive vingt ans à peine après la fin de la guerre. A l'époque, cela n'avait rien d'anodin, et certains ont eu du mal à accepter  : trop tôt, trop frais, trop douloureux encore.
Mais Barbara avit décidé.

Valérie Lehoux 
( Journaliste à Radio France Internationale et à Télérama )

Vendredi 3 juillet 2009 à 9:11


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Je chante vêtue d'une jupe noire et d'un pull-over ; un peu plus tard, une petite  " concierge-couturière "  habile sur sa vieille Singer, confectionnera à ma demande une veste en velours noir côtelé avec un col assez haut, dégageant le cou. Ce premier costume décidera de tous les autres.
Le noir est une couleur fantastique qui, à la fois, estompe les formes et met en valeur le corps. Moi, je pensais d'abord que ça n'était pas important qu'on voie mon corps. Puis j'ai appris à m'en servir. Bien que myope, je peux me déplacer en scène ( mais rien qu'en scène ) avec une grande rapidité, les yeux fermés. J'ai également appris à essayer de vaincre ma peur, lorsque j'entrais en scène, en m'obligeant à me déplacer très lentement au moment où j'accostais le piano. J'ai appris à canaliser mon élan vitale, et, durant les dernières années où j'ai chanté, je poussais, avant d'entrer en scène, un violant cri guttural qui libérait toute mon énergie. Ce qui, souvent, a pu apparaître à certains comme une sophistication a été pour moi un apprentissage de chaque soir, afin de donner chaque fois davantage tout en allant vers plus de dépouillement.
Je n'ai jamais répété aucun geste, je ne me suis jamais exercée devant une glace, je n'ai jamais travaillé avec un metteur en scène, sauf dans  Lily-Passion ; je n'ai obéi qu'à mes propres lois, apprenant sur le tas grâce à ce flux vivant que m'a toujours renvoyé le public, un public qui a été pour moi un accoucheur. Je n'ai fait en somme qu'essayer de retourner une part des beautés contenues dans cette amour immense qui me fut donné.
Après la veste confectionnée par la concierge voisine de L'Ecluse dans un velours côtelé appartenant à son mari, après, beaucoup plus tard, j'ai rencontré Cardin. Il m'a fait une jupe magnifique, très longue, avec une queue. Mais, à l'époque, je ne bougeais pas encore beaucoup. J'étais plutôt amarrée à mon piano. Et puis mon corps s'est mis à chanter, des cordes vocales aux orteils. J'ai eu besoin de marcher, besoin d'une liberté de mouvements, non plus seulement assise à mon piano, mais debout.
On ne sait pas d'où viennent les mots ; quand tu chantes, ils se mâchent, s'allongent, se discordent, se consument, déboulent de ta gorge à tes lèvres, redescendent dans ton corps, dans le pli de ta taille, dans ta hanche ; ils t'obligent à tendre la jambe, à plier l'épaule, à courber l'échine, à redresser les reins le long desquels ils se faufilent jusqu'à redescendre jusqu'aux extrémités où ils irradient parfois comme une douleur ou un plaisir intenses.
Dans ce besoin de liberté, ma jupe entravée constituait une gêne. J'ai donc adopté le pantalon ( Mine Vergès ) j'ai émancipé mes jambes qui, et, tout à coup, les mots se sont mis à circuler par ma bouche, par mes veines, par mes muscles, et tout mon corps a pu chanter de la racine des cheveux jusqu'au bout des doigts, et j'ai pu projeter mes émotions au rythme de mon souffle.
En raison de mes problèmes musculaires qui m'obligeaient à certaines positions, le cul assis bien droit sur des cubes mobiles que j'avais fait fabriquer, qui me permettaient de me tenir jambes écartées et de porter en scène un corset destiné à soulager mes souffrances, je ne me sentais au bout du compte vraiment bien qu'en pantalon. C'était ce qu'il me fallait pour être bien, pour bouger à l'aise, donc pour mieux chanter.
Tout s'est installé comme ça, et c'est devenu mon univers.

Barbara

Mardi 26 mai 2009 à 6:53

 
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Dès la première fois où je l'ai vue, adolescent ( en 1987 au Théâtre du Châtelet ) j'ai été fasciné par le courant qui passait entre elle et le public. Je me souviens encore de son mouvement de nuque, de son visage qui brillait comme un éclair. Je suis sorti bouleversé, autre. L'expérience de son concert m'a changé. Je suis devenu un fan, collectionnant ses disques et les articles sur elle. Comme c'était une artiste secrète, je glanais toutes les informations possibles. Je lui ai même écrit des lettres, que je n'ai jamais postées... Je me revois à la sortie d'un de ses concerts à Mogador, faisant le pied de grue pour tenter de l'apercevoir. Quand elle est passée, elle a lancé des roses. J'en ai ramassé une et l'ai mise sur mon piano. Et lorsque j'ai enregistré mon premier disque, à 20 ans, je lui ai envoyé. Je n'ai jamais ressenti l'envie de la rencontrer. Sauf une fois : on m'avait proposé de participer à une émission de radio, dont le principe était de recevoir un artiste classique en compagnie d'un invité de son choix. J'avais imaginé faire ça avec elle, mais elle m'a opposé un non catégorique... avant de se raviser et de me faire dire que finalement, oui, peut-être. C'était deux mois avant sa mort. Nous autres pianistes, nous cherchons à retrouver la voix humaine à travers notre instrument ; c'est même la quête de notre vie. Nos maîtres, ce sont les chanteurs. Quand je joue, j'essaie de faire parler le piano, de mettre des syllabes sur chaque note. Barbara a influencé mon jeu. J'ai toujours été impressionné par la musicalité de son chant ( elle disait souvent qu'elle chantait " autour " de la mélodie, pas en dessous ni au-dessus ) ; même à la fin, malgré sa voix cassée. C'est une leçon pour n'importe quel musicien, quel que soit son instrument. Une chanson, c'est extrêmement difficile à écrire : on peut en dire autant en trois minutes que dans une grande symphonie, mais il y faut des mots simples, une mélodie qui serve ces mots, et qui soit facile à retenir. Elle avait réussi cet équilibre subtil entre des mélodies sublimes er de belles harmonies, assez simples. Elle utilisait beaucoup ce qu'en jargon musical on appelle des " marches harmoniques " Elle avait un don inné pour ça, tout en ne connaissant pas vraiment la musique. Moi, je suis né sur une scène, avec un père metteur en scène et une mère danseuse. Je me sens chez moi dans un théâtre plus que dans mon appartement. J'ai retrouvé chez Barbara ce sens du territoire, cette façon de s'approprier l'espace dont elle avait le secret : en concert, il n'y avait pas un seul recoin de la scène qui ne soit à elle. Une des leçons qu'elle m'a données, c'est de ne pas craindre les défaillances, de leur laisser de la place, de les utiliser, de les mettre en avant même, pour affirmer son style. Aujourd'hui, quand j'enregistre un disque, je prends soin de laisser des accidents, des passages imparfaits. C'est aussi ce qui fait l'humanité de la musique.

Alexandre Tharaud ( Pianiste )

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