Jeudi 2 juillet 2009 à 8:20

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Tournées

(
1993 )

J'adore partir de ville en ville. Les traverser la nuit. Aller vers d'autres visages, imaginer toutes ces vies derrières les fenêtres allumées ou éteintes... Rouler, rouler... Découvrir le théâtre, retrouver le piano qui suit dans un camion, puis attendre le rocking-chair pendant que mon équipe installe la scène autour de moi, les rideaux, les lumières, le son ! Le spectacle, c'est vraiment là qu'il commence. A l'instant où les hommes déchargent les camions, dans un lieu quelquefois tellement insolite et que le public, le soir venu, rendra miraculeux.

Quand je quitte ma maison pour partir, c'est une coupure radicale. Je suis sur la route et je ne me retourne pas. Je regarde devant. Plus rien n'existe. Une autre vie, d'autres parfums, d'autres couleurs, d'autres silences... La vie, suspendue entre la scène et la route. Je deviens une voyageuse. Quand je reviens, je retrouve ma maison et mon secret.

Le premier endroit que je vois en arrivant dans une ville, c'est le théâtre. Mais si je ne vois pas le pays, je vois les gens du pays. Et je les vois comme personne ne les voit : rassemblés, silencieux, attentifs, présents, avec leurs bonheurs et leurs chagrins, riches ou pauvres, jeunes ou vieux...

A six heures du matin, je suis sur le terrain et je n'en bouge plus. Tout mon temps va se passer à vérifier la place du piano, la position de la lumière, etc. La soirée s'achève à une heure du matin et après je fais la route. Une fois que vous avez chanté dans une ville, vous n'avez plus rien à y faire. C'est là-bas, plus loin, qu'il faut aller.

Barbara

Mardi 30 juin 2009 à 10:19



<  Le 4 novembre  >


Le 4 novembre   ( R.Forlani/Barbara )   ( 1970 )


A cinq heures, un quatre novembre,
Le ciel était couleur de soufre
Et le premier Noir que j'ai vu
Courait avec un arrosoir,
Un arrosoir plein de mazout
Un peu plus tard, j'ai vu les flammes
Il paraît que toutes les voitures y sont passées
Y compris la Bentley de Monsieur
J'ai aussi entendu des cris,
J'ai vu des gens qui défilaient
Pour les uns,
Une bien belle journée
Pour les autres...

A cinq heures, un quatre novembre,
Le ciel était couleur de soufre
Et le premier Blanc que j'ai vu
Brandissait une carabine
Il a tiré cinq six cartouches
Sur les Noirs qui poussaient des cris
Puis il s'est versé un whisky
Ce monsieur-là,
C'était Monsieur

Moi, j'arrivais pour être fille
A cinq heures, un quatre novembre
Le ciel était couleur de soufre
Et, ce jour-là, précisément,
On praclamait l'indépendance

Rigolo, non ?
Des mois que je préparais mon coup,
Des mois que je rêvais au jour où
Je cesserais de vendre de la pacotille
Dans une ridicule boutique de la Chaussée d'Antin
Pour être enfin putain. Putain : mon rêve !
Des mois que j'économisais
Pour pouvoir acheter des dentelles, des bas noirs,
Des frusques amoureuses, des affûtiaux pervers
Du linge intéressant, quoi
Des mois que j'inventais des caresses dans ma tête
Et des baisers et pire que ça
Des mois
Et, un lundi, dans un bureau de tabac,
La Providence : un Corse qui connaissait la filière
Il m'a tout donné : l'heure du bateau, le prix du voyage
Et il a fallu que je débarque précisément
Ce foutu quatre novembre !

Putain,
Moi, je n'ai pas pu l'être
Le lundi, ce quatre novembre-là,
Le bordel ferma ses portes
Et toutes les filles s'en allèrent
Moi, je suis restée
Pas pour faire la putain
Pour soigner la goutte de Monsieur


Extrait de la pièce de théâtre Madame

Lundi 25 mai 2009 à 7:34

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Il faudra des années à Barbara pour accepter de regarder sa voix en face. En 1993, elle parle librement de ce sujet douloureux :  
" Alors, la voix ! Evidemment, elle vieillit, d'ailleurs, c'est vrai que j'ai eu à un moment la voix qui s'est cassée ( En 1984, deux ans avant les représentations de Lily Passion, avec Gérard Depardieu , l'idée lui est même venue de mettre en scène une chanteuse aphone ) et qui, bizarrement, revient maintenant. Bon, alors, il faut aller " avec " il ne faut pas aller " contre " les choses. Quand, par exemple, on entre en scène, on se sent très laid, ça peut arriver, des soirs, bien que la scène rende beau, et bien, il ne faut pas aller " contre " cette laideur, il faut aller " avec " soi, parce que, si on ne s'accepte pas dans cet instant-là, on va pas passer, il faut aller " comme ça " Je dirais même, peut-être, accentuer cette chose, plutôt que d'essayer de la masquer.
Tu peux tout faire sur une scène...
Si tu fais frire des œufs, et que vraiment les gens arrivent à en sentir l'odeur et les manger, c'est bon.
Si tu fais frire des œufs et qu'il n'y a pas d'odeur... ça va pas. "

Cette déclaration illustre parfaitement l'immense intelligence artistique et l'intuition psychologique dont Barbara était dotée. Plus qu'une leçon de théâtre, elle nous donne ici une leçon de vie dont on peut tirer l'enseignement suivant : il nous faut considérer, respecter et dompter ses faiblesses et ses maux, afin de les mettre en scène plutôt que de les subir. Il est certain que Barbara adopta cette conduite, sans doute à la ville, mais surtout sur scène. Ayant parfaitement intégré ses douleurs physiques aussi bien que ses faiblesses vocales, Barbara possédait le grand art de farder ses blessures en y ajoutant plus de rouge-sang. Ainsi, ne sachant plus s'il s'agissait d'une couleur réelle ou d'un maquillage, personne ne pouvait se sentir mal à l'aise à l'audition d'une note approximative ou d'un souffle déchiré. L'intelligente ! Elle savait puiser dans ses défaillances son grand art de la dramaturgie. Tout le talent de Barbara tient à son génie de la théâtralité.

Alain Wodrascka  ( Auteur ) 

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