Vendredi 31 juillet 2009 à 7:55



<  Le bourreau  >


Le bourreau   ( E.Roda-Gil/Barbara )   ( 1972 )


Tendu de crêpe, au crépuscule,
Flanqué d'un grand noir majuscule,
Au zénith profond de minuit,
Il avance dedans la nuit,
Le bourreau, le bourreau,

Moi, je le nargue lentement,
Comme un jour d'hiver au printemps,
Comme la toute dernière gelée,
Sur l'avant-garde de l'été,
Ce bourreau, ce bourreau,

Car moi je vis, comme un printemps,
Qui en sait peu, qui ne sait pas,
Car moi je vis, comme un éclat,
De feu d'amour en feu de joie,
Et tant pis si de temps en temps,
Il neige un peu sur mes printemps,
Je sais bien que certains matins,
Il y a des fleurs de chagrin,

Flanqué de son grand M majuscule,
Tendu de crêpe au crépuscule,
Au zénith profond de mes nuits,
Il avance dedans ma vie,
Le bourreau, le bourreau,

Il connaît très bien son chemin,
Tous les chiens lui lèchent la main,
Il connaît très bien son chemin,
Tous les chiens lui lèchent la main,
Au bourreau, au bourreau,
Mais moi je vis, comme un printemps,
Qui sait très bien, qui prends son temps,
Mais je vis en attendant,
Le temps qu'il me reste de temps,

Et bien sûr, que de temps en temps,
Il a neigé sur mes printemps,
Mais je n'ai pas, dans mon jardin,
Que des fleurs couleur de chagrin,

Quand se pose le crépuscule,
Vêtue d'un grand noir majuscule,
Gantée d'un velours noir qui luit,
Moi, je m'en vais vivre ma vie,
Sans bourreau, sans bourreau,

Tout en le narguant lentement,
J'aurais cueilli tous mes printemps,
J'aurais vécu d'avoir aimé,
J'aurais tout pris, tout partagé,
Sans bourreau, sans bourreau,

Il peut venir au crépuscule,
Flanqué de son M majuscule,
Au dernier souffle de ma vie,
Il ne prendra qu'un corps sans vie,
Il ne prendra qu'un corps sans vie,
Le bourreau, le bourreau, le bourreau...

Lundi 6 juillet 2009 à 8:40



<  Monsieur Capone  >



Monsieur Capone  ( F.Wertheimer/Barbara )  ( 1973 )


Ma chère Béatrice,
En réponse à votre lettre du 26 courant, me faisant part
de votre intention de marier notre petite Etiennette, j'ai
pris des renseignements au sujet du Monsieur très bien
dont vous m'aviez parlé.

On m'a dit qu'il est pape de bien des religions
Parmi les plus curieuses et les moins catholiques
Celles où le vin de messe est un mauvais bourbon
Fait dans un faux hangar, dans un vieil alambic
Celles où les cathédrales sont des maisons bizarres,
Où les prêtresses sont des dames faméliques,
Où l'on parle en browning, en rafales, en dollars
D'une façon tranchante, un peu automatique

Drôles de façons
Curieux bonhomme
Monsieur comment ?
Monsieur Capone !

On m'a dit qu'il est prince de bien des territoires
Parmi les plus fertiles, parmi les plus lointains,
Là où les terres sont grasses, généreuses et noires
Il cultive en secret, éloigne ses voisins
Et fait pleurer aux fleurs une perle bizarre
Et les montagnes entières pleurent, chaque matin,
Leur rivière de folie, leur marée de dollars
Le pavot, m'a t'on dit, est d'un rapport certain

Tiens, tiens
Drôle de culture
Curieux bonhomme
Votre Monsieur,
Monsieur Capone !

Vois-tu, chérie, un prince, un pape, un empereur
Voici, à priori, un parti fort aimable
Il devrait bien pouvoir nous offrir le bonheur
Mais il est quelque chose qui m'est moins agréable
Il faut que je t'avoue qu'il aurait une amie
Toute vêtue de noir, nul ne voit son visage
Mais chacun en a peur et tout le monde fuit
Quand on sait qu'elle approche ou hante les parages

Curieuse amie
Drôle de bonhomme
Votre Monsieur,
Monsieur Capone !

Dont on dit qu'il est pape de bien des religions,
Dont on dit qu'il est prince de bien des territoires
Qui cultive en secret,
Qui possède une amie
Toute vêtue de noir
Dont on dit qu'il est prince et pape et empereur
Qui cultive en secret,
Qui cultive en secret,
Qui cultive en secret...

Lundi 8 juin 2009 à 8:57



<  Tous les passants  >


Tous les passants  ( S.Makhno/Barbara )  ( 1965 )


Tous les passants s'en sont allés,
Plus rapides que la mémoire
Ecrire un petit bout d'histoire,
Les uns debout, d'autres couchés
Certains sont entrés dans l'histoire,
Sans avoir eu le temps d'y croire,
Pas même le temps d'y songer

Tous les passants s'en sont allés,
Jean de Flandre et Jean de Navarre,
Qui voulaient la mer à boire
La mer, je crois, les a gardés
Le petit John des Amériques
Devenu John le magnifique,
La gloire ne l'a pas épargné

Tous les passants s'en sont allés,
Ceux qui buvaient à la fontaine,
Ont maintenant leur cave pleine
De vins aux noms ensoleillés
Ceux qui croyaient à la colère,
Ceux qui voulaient gagner des guerres,
La guerre a dû les décimer

Tous les passants s'en sont allés
Mais toi, plus têtue que la pierre,
Tu n'as pas quitté la rivière
Ni la colline aux fleurs de mai
Tu gardes le feu et la table,
La rose et le sirop d'érable
Comme au temps des très lourds secrets

Si les passants s'en revenaient,
Au lieu de leurs vingt ans superbes
Sur lesquels a repoussé l'herbe
Je ne sais s'ils s'arrêteraient
Moi, je vois couler l'eau profonde
Sans m'y pencher une seconde
J'ai peur d'y voir ce que j'étais

Tous les passants s'en sont allés,
Jean de Flandre, Jean de Navarre,
Le petit John des Amériques,
Tous les passants s'en sont allés...

Lundi 25 mai 2009 à 7:34

http://mybabou.cowblog.fr/images/060249823830101Trail1000.jpg


Il faudra des années à Barbara pour accepter de regarder sa voix en face. En 1993, elle parle librement de ce sujet douloureux :  
" Alors, la voix ! Evidemment, elle vieillit, d'ailleurs, c'est vrai que j'ai eu à un moment la voix qui s'est cassée ( En 1984, deux ans avant les représentations de Lily Passion, avec Gérard Depardieu , l'idée lui est même venue de mettre en scène une chanteuse aphone ) et qui, bizarrement, revient maintenant. Bon, alors, il faut aller " avec " il ne faut pas aller " contre " les choses. Quand, par exemple, on entre en scène, on se sent très laid, ça peut arriver, des soirs, bien que la scène rende beau, et bien, il ne faut pas aller " contre " cette laideur, il faut aller " avec " soi, parce que, si on ne s'accepte pas dans cet instant-là, on va pas passer, il faut aller " comme ça " Je dirais même, peut-être, accentuer cette chose, plutôt que d'essayer de la masquer.
Tu peux tout faire sur une scène...
Si tu fais frire des œufs, et que vraiment les gens arrivent à en sentir l'odeur et les manger, c'est bon.
Si tu fais frire des œufs et qu'il n'y a pas d'odeur... ça va pas. "

Cette déclaration illustre parfaitement l'immense intelligence artistique et l'intuition psychologique dont Barbara était dotée. Plus qu'une leçon de théâtre, elle nous donne ici une leçon de vie dont on peut tirer l'enseignement suivant : il nous faut considérer, respecter et dompter ses faiblesses et ses maux, afin de les mettre en scène plutôt que de les subir. Il est certain que Barbara adopta cette conduite, sans doute à la ville, mais surtout sur scène. Ayant parfaitement intégré ses douleurs physiques aussi bien que ses faiblesses vocales, Barbara possédait le grand art de farder ses blessures en y ajoutant plus de rouge-sang. Ainsi, ne sachant plus s'il s'agissait d'une couleur réelle ou d'un maquillage, personne ne pouvait se sentir mal à l'aise à l'audition d'une note approximative ou d'un souffle déchiré. L'intelligente ! Elle savait puiser dans ses défaillances son grand art de la dramaturgie. Tout le talent de Barbara tient à son génie de la théâtralité.

Alain Wodrascka  ( Auteur ) 

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