Lundi 17 août 2009 à 8:19

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Hôpitaux

( 1990 )

J'ai d'abord suivi une formation dans un milieu médical sur le virus, les symptômes, l'évolution de la maladie. On m'a aussi proposé d'apprendre à approcher les malades. Je n'ai pas voulu, parce qu'il m'a semblé que le contact avec les gens, j'en avais l'expérience depuis longtemps par le biais de la chanson. Et c'est vrai que la première fois que je suis entrée dans une chambre de malade, tout a été simple. Je ne l'ai jamais fait sans qu'on me le demande et s'il y avait la famille, je n'y allais pas. L'aumônier me demandait  :  Mais qu'est-ce que tu leur dis ?  J'écoutais, surtout, et j'ai aidé certains à partir... J'ai vu des malades au seuil de la mort, totalement seuls, abandonnés par leurs proches, parce qu'ils avaient peur d'être contaminés. C'est important, je l'ai pensé et écrit, que quelqu'un vous aide, au dernier instant, à fermer les yeux.
J'ai voulu entrer dans les hôpitaux parce que la maladie provoque de grandes solitudes, des exclusions. Les malades savent que je suis là et ils peuvent me contacter. Le dialogue qu'ils peuvent avoir avec le médecin, l'infirmière, leur famille, un étranger, est très différent. Ici l'étrangère, c'est moi. Il se passe autre chose, une autre écoute.

J'ai vu des infirmières extrêmement compétentes, généreuses de leur temps et complètement sous-payées. Il n'y a pas assez d'effectifs et certaines de ces femmes sont des zombies.

Des gens en phase terminale, j'en côtoie toutes les semaines. Je l'ai dit dans mes chansons  :  il faut être là quand les gens s'endorment, pour les accompagner. Autrefois, en ville ( pas à la campagne ) on trouvait cela morbide. Maintenant, on trouve cela normal. Un des premiers malades que j'ai vu n'avait plus du tout envie de lutter. De désespoir, il s'est tourné vers le mur. Il ne voulait plus voir ni médecins, ni infirmières. J'ai vu des malades dont les familles parlaient à l'imparfait.
Pas par méchanceté, mais par sottises.

( 1993 )

Je ne suis pas une visiteuse. Les visiteuses ont souvent la tête de l'emploi, les gens qui vont mourir n'ont pas besoin qu'on leur confirme...

Il faudrait que les gens sachent ce qui se déroule dans les hôpitaux. J'ai vu des malades fous de colère ou accablés de détresse. J'ai vu des choses inoubliables. Des infirmières admirables. Entendu des cris de détresse absolue.

Barbara

Lundi 6 juillet 2009 à 8:40



<  Monsieur Capone  >



Monsieur Capone  ( F.Wertheimer/Barbara )  ( 1973 )


Ma chère Béatrice,
En réponse à votre lettre du 26 courant, me faisant part
de votre intention de marier notre petite Etiennette, j'ai
pris des renseignements au sujet du Monsieur très bien
dont vous m'aviez parlé.

On m'a dit qu'il est pape de bien des religions
Parmi les plus curieuses et les moins catholiques
Celles où le vin de messe est un mauvais bourbon
Fait dans un faux hangar, dans un vieil alambic
Celles où les cathédrales sont des maisons bizarres,
Où les prêtresses sont des dames faméliques,
Où l'on parle en browning, en rafales, en dollars
D'une façon tranchante, un peu automatique

Drôles de façons
Curieux bonhomme
Monsieur comment ?
Monsieur Capone !

On m'a dit qu'il est prince de bien des territoires
Parmi les plus fertiles, parmi les plus lointains,
Là où les terres sont grasses, généreuses et noires
Il cultive en secret, éloigne ses voisins
Et fait pleurer aux fleurs une perle bizarre
Et les montagnes entières pleurent, chaque matin,
Leur rivière de folie, leur marée de dollars
Le pavot, m'a t'on dit, est d'un rapport certain

Tiens, tiens
Drôle de culture
Curieux bonhomme
Votre Monsieur,
Monsieur Capone !

Vois-tu, chérie, un prince, un pape, un empereur
Voici, à priori, un parti fort aimable
Il devrait bien pouvoir nous offrir le bonheur
Mais il est quelque chose qui m'est moins agréable
Il faut que je t'avoue qu'il aurait une amie
Toute vêtue de noir, nul ne voit son visage
Mais chacun en a peur et tout le monde fuit
Quand on sait qu'elle approche ou hante les parages

Curieuse amie
Drôle de bonhomme
Votre Monsieur,
Monsieur Capone !

Dont on dit qu'il est pape de bien des religions,
Dont on dit qu'il est prince de bien des territoires
Qui cultive en secret,
Qui possède une amie
Toute vêtue de noir
Dont on dit qu'il est prince et pape et empereur
Qui cultive en secret,
Qui cultive en secret,
Qui cultive en secret...

Vendredi 3 juillet 2009 à 9:11


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Je chante vêtue d'une jupe noire et d'un pull-over ; un peu plus tard, une petite  " concierge-couturière "  habile sur sa vieille Singer, confectionnera à ma demande une veste en velours noir côtelé avec un col assez haut, dégageant le cou. Ce premier costume décidera de tous les autres.
Le noir est une couleur fantastique qui, à la fois, estompe les formes et met en valeur le corps. Moi, je pensais d'abord que ça n'était pas important qu'on voie mon corps. Puis j'ai appris à m'en servir. Bien que myope, je peux me déplacer en scène ( mais rien qu'en scène ) avec une grande rapidité, les yeux fermés. J'ai également appris à essayer de vaincre ma peur, lorsque j'entrais en scène, en m'obligeant à me déplacer très lentement au moment où j'accostais le piano. J'ai appris à canaliser mon élan vitale, et, durant les dernières années où j'ai chanté, je poussais, avant d'entrer en scène, un violant cri guttural qui libérait toute mon énergie. Ce qui, souvent, a pu apparaître à certains comme une sophistication a été pour moi un apprentissage de chaque soir, afin de donner chaque fois davantage tout en allant vers plus de dépouillement.
Je n'ai jamais répété aucun geste, je ne me suis jamais exercée devant une glace, je n'ai jamais travaillé avec un metteur en scène, sauf dans  Lily-Passion ; je n'ai obéi qu'à mes propres lois, apprenant sur le tas grâce à ce flux vivant que m'a toujours renvoyé le public, un public qui a été pour moi un accoucheur. Je n'ai fait en somme qu'essayer de retourner une part des beautés contenues dans cette amour immense qui me fut donné.
Après la veste confectionnée par la concierge voisine de L'Ecluse dans un velours côtelé appartenant à son mari, après, beaucoup plus tard, j'ai rencontré Cardin. Il m'a fait une jupe magnifique, très longue, avec une queue. Mais, à l'époque, je ne bougeais pas encore beaucoup. J'étais plutôt amarrée à mon piano. Et puis mon corps s'est mis à chanter, des cordes vocales aux orteils. J'ai eu besoin de marcher, besoin d'une liberté de mouvements, non plus seulement assise à mon piano, mais debout.
On ne sait pas d'où viennent les mots ; quand tu chantes, ils se mâchent, s'allongent, se discordent, se consument, déboulent de ta gorge à tes lèvres, redescendent dans ton corps, dans le pli de ta taille, dans ta hanche ; ils t'obligent à tendre la jambe, à plier l'épaule, à courber l'échine, à redresser les reins le long desquels ils se faufilent jusqu'à redescendre jusqu'aux extrémités où ils irradient parfois comme une douleur ou un plaisir intenses.
Dans ce besoin de liberté, ma jupe entravée constituait une gêne. J'ai donc adopté le pantalon ( Mine Vergès ) j'ai émancipé mes jambes qui, et, tout à coup, les mots se sont mis à circuler par ma bouche, par mes veines, par mes muscles, et tout mon corps a pu chanter de la racine des cheveux jusqu'au bout des doigts, et j'ai pu projeter mes émotions au rythme de mon souffle.
En raison de mes problèmes musculaires qui m'obligeaient à certaines positions, le cul assis bien droit sur des cubes mobiles que j'avais fait fabriquer, qui me permettaient de me tenir jambes écartées et de porter en scène un corset destiné à soulager mes souffrances, je ne me sentais au bout du compte vraiment bien qu'en pantalon. C'était ce qu'il me fallait pour être bien, pour bouger à l'aise, donc pour mieux chanter.
Tout s'est installé comme ça, et c'est devenu mon univers.

Barbara

Lundi 8 juin 2009 à 8:57



<  Tous les passants  >


Tous les passants  ( S.Makhno/Barbara )  ( 1965 )


Tous les passants s'en sont allés,
Plus rapides que la mémoire
Ecrire un petit bout d'histoire,
Les uns debout, d'autres couchés
Certains sont entrés dans l'histoire,
Sans avoir eu le temps d'y croire,
Pas même le temps d'y songer

Tous les passants s'en sont allés,
Jean de Flandre et Jean de Navarre,
Qui voulaient la mer à boire
La mer, je crois, les a gardés
Le petit John des Amériques
Devenu John le magnifique,
La gloire ne l'a pas épargné

Tous les passants s'en sont allés,
Ceux qui buvaient à la fontaine,
Ont maintenant leur cave pleine
De vins aux noms ensoleillés
Ceux qui croyaient à la colère,
Ceux qui voulaient gagner des guerres,
La guerre a dû les décimer

Tous les passants s'en sont allés
Mais toi, plus têtue que la pierre,
Tu n'as pas quitté la rivière
Ni la colline aux fleurs de mai
Tu gardes le feu et la table,
La rose et le sirop d'érable
Comme au temps des très lourds secrets

Si les passants s'en revenaient,
Au lieu de leurs vingt ans superbes
Sur lesquels a repoussé l'herbe
Je ne sais s'ils s'arrêteraient
Moi, je vois couler l'eau profonde
Sans m'y pencher une seconde
J'ai peur d'y voir ce que j'étais

Tous les passants s'en sont allés,
Jean de Flandre, Jean de Navarre,
Le petit John des Amériques,
Tous les passants s'en sont allés...

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