Mon premier lien avec Barbara remonte à " l'album à la rose " ( 1964 ), dont j'étais littéralement tombé amoureux. Les chansons " A mourir pour mourir , Pierre "..., la pochette, tout était absolument magique, d'une grande classe et d'une grande beauté. Dès que j'ai entendu Barbara, j'ai été touché jusqu'au plus profond de mon être, comme si, d'un coup, mon âme était entrée en résonance avec la sienne. Et cela grâce à ses mots simples, puisés dans le quotidien de chacun. Elle se situe dans une dimension supérieure, elle est complètement folle, rêveuse, éclairée, tout en étant à la fois très proche de la réalité, de la vraie vie. J'ai eu la chance, le privilège devrais-je dire, de rencontrer cette femme, baignée par la grâce, d'une beauté absolument divine... Elle avait un rire magnifique, un goût prononcé pour les mauvaises blagues... Elle était malicieuse, enfantine, farceuse ! J'étais très amoureux de cet ange, comme tout le monde d'ailleurs... Par la suite, je me rendais souvent seul à ses concerts afin de préserver un espace d'intimité avec elle... pour être disponible à son regard qui viendrait me chercher au plus secret de moi-même. Chaque personne du public partageait cette même relation d'intimité... Barbara était douée du pouvoir de transmettre à chacun le sentiment qu'il était unique. C'est ce phénomène qui a rendu les gens amoureux d'elle ! Elle et moi avons passé des nuits interminables au téléphone. Peu importe ce qu'on se disait, mais c'était toujours naturel, lumineux, joyeux. Parfois je lui disais : " Et au fait, si je viens ? - Quand maintenant ? Oui, viens ! " C'était aussi simple que cela. Plusieurs fois, j'ai foncé en voiture pour la rejoindre à Précy. Une nuit, je frappai à sa porte. Grandiloquente, elle ouvrit, m'adressa un signe théâtral, posant le doigt sur sa bouche comme pour me dire : " Chut " Silencieuse, elle m'invita à la suivre jusqu'à la cuisine où nous nous sommes assis. Puis, comme si nous étions tous les deux muets, elle m'écrivit : " Nous ne parlerons pas ce soir, nous nous exprimerons seulement par gestes ou par regards. " Jusqu'à l'aube, nous avons bu du thé, mangé des gâteaux et dialogué longuement sans prononcer un seul mot. Comme dans un jeu d'enfant. Nous étions hilares ! Puis, nous nous sommes fait comprendre que nous étions fatigués... Elle m'a offert sa chambre d'amis. Le lendemain, je me réveillai, prêt à poursuivre le jeu. Le déjeuner était prêt, Barbara arriva et me lança, exubérante et volubile : " Bonjour, comment vas-tu, tu as bien dormi ? " Puis, ses phrases, ses mots déferlèrent. Nous nous sommes ainsi mis à parler, parler, du déjeuner jusqu'à la nuit tombante. Contrairement à la veille, nous avons abordé des sujets sérieux : la politique, le monde, l'injustice... autant de thèmes qui nous révoltaient. Elle a subitement adopté une attitude de combattante, de vraie guerrière, empruntant une voix grave... Elle a également parlé du public, pas comme d'une entité vague, mais de chaque individu le composant. Et cela avec un immense respect : " Tu te rends compte du cadeau qu'ils nous font ! " Elle est la seule à m'avoir parlé du public en ces termes ! " Un beau jour ou peut-être une nuit " elle s'est endormie, et comme un enfant, je l'ai contemplée. Aucune ombre ne se glissait entre nous, c'était de l'amour pur ! La dernière fois que je l'ai vue, c'était à la halle aux Grains de Toulouse où elle se produisait. Et là, j'ai assisté à un spectacle éblouissant ! Celui d'une femme qui avait mis son âme à nu : ce don de soi, cette dignité, mais aussi cette solitude intense qui se dégageaient d'elle ! Inoubliable ! Lorsqu'elle chanta " Seule ", assise sur un fly-case, un projecteur braqué sur elle, je fus bouleversé par la beauté, le déchirement de cette femme. A la fin du concert, j'applaudissais les larmes aux yeux, unissant ma douleur et ma joie aux siennes. Là, j'ai réalisé que Barbara était une immense tragédienne, présente depuis des siècles. Donnant en offrande jusqu'aux fibres de son coeur, de son âme, de sa chair ! Après le spectacle, elle m'a embrassé et m'a tendu un bouquet de roses en me demandant de les offrir au public. Alors, à la sortie du théâtre, j'ai distribué les fleurs à chacun des membres de sa " plus belle histoire d'amour " Si je devais lui dédier une chanson de mon répertoire, je choisirais " L comme beauté "
" Tu es la beauté flamboyante, rebelle comme un cri d'enfant "
Jacques Higelin ( Compositeur - interprète )