Mercredi 19 mars 2008 à 8:32
C'est bizarre, la mémoire. Quand on ne la sollicite pas, elle vous envoie parfois des flashes, des éclairs des bouffées d'images, de voix, d'émotions. Quand on la sollicite, elle joue comme un miroir et vous renvoie à votre propre humeur, à travers des souvenirs sélectionnés par ses filtres mystérieux et complexes. Voilà pourquoi je résiste et me récuse, quand il est question décrire sur Barbara. Pour ceux qui ont été ses proches, chacun détient " sa " Barbara au fond du coeur. Pour ceux qui l'ont aimée de loin, ils ont aussi " une " Barbara, chacun pour soi. Que dire de Barbara, dans l'océan des mots qui ont cherché et cherchent encore à la raconter, à la traquer, à la définir, à la décrypter ? Qu'elle était tout, excessivement. Généreuse, dispendieuse, injuste, rancunière, drôle, amoureuse, désespérée, exigeante, extravagante, possessive, exclusive, passionnée, solitaire et entourée, capable, dans le même instant, de vous tuer d'un mot et d'en être inconsolable. Autant dire qu'elle échappait et échappera toujours à toute définition. Le privilège de notre rencontre et du chemin que nous avons parcouru ensemble, c'est de s'être situé au moment crucial où la Chanteuse de Minuit est devenue Barbara. Même si j'en parle peu, c'est l'une de mes fiertés d'avoir oeuvré à la métamorphose. Claude Dejacques, Joss Baselli, Pierre Nicolas, je ne peux évoquer sans émotion ces noms, les premiers de l'équipe qui s'était alors constituée autour d'elle. A chaque instant, il fallait être là, l'empêcher de tout remettre en question, de fuir l'idée du succès comme elle fuyait celle de l'échec, la distraire de ses multiples tourments, exorciser ses démons, la faire rire, lui rappeler qu'il fallait se nourrir, et l'amener jusqu'au bout de la nuit, pour déjouer ses insomnies. Durant cette période de quatre ans, Barbara m'a choisi et offert le parfum que je porte toujours, depuis l'hiver 1963, elle m'a appris à tailler les roses, en biais, avec une lame de rasoir et à les coucher dans une baignoire d'eau froide pour prolonger leur vie de fleurs coupées, elle m'a inoculé le goût des bijoux de caravane aux cornalines serties d'argent, elle m'a, sans le savoir, fait prendre conscience de la valeur de l'instant, et, par-dessus tout, elle m'a fait découvrir que j'écrivais des chansons, en m'arrachant les textes des mains pour les façonner avec la magie de son piano et de sa voix.
Extrait du livre