Elle est entrée dans ma vie en 1964. J'avais vingt-deux ans. Je la connaissais peu, elle m'intimidait de loin. Je fini par me laisser entraîner à L'Écluse par mon amie Nadine Laïk, qui avait commencé à travailler avec elle lors d'un des derniers passages de Barbara dans son fief de la rive gauche. Je subis le choc de " Nantes " et le charme de l'étrange " Chanteuse de minuit " J'achetai son premier album Barbara chante Barbara. Or voici que quelques mois plus tard, par hasard et au grand jour, sur un trottoir de la rue Rémusat ( j'habitais dans le même pâté de maisons ) une dame, longue silhouette pâle et blanche de la tête aux pieds, le visage enturbanné de mousseline et de voiles qui la font ressembler à un Touareg de neige se riant d'un ouragan de grésil, une dame dont les yeux et les tempes disparaissent sous d'énormes lunettes noires, s'arrête à deux mètres de moi. Je reste pétrifiée. Elle pointe le bout de sa main gantée en direction de mes pieds. Sous sa moustiquaire, je l'ai aussitôt reconnue. Je me dis : elle est folle. J'entends sa voix claire et sonnante : - Où avez-vous trouvé ces sandales ? La brusquerie de la question me plonge dans une gêne indescriptible. Sur le point de dire : je ne les ai pas volées, je le jure et d'ailleurs nous n'avons pas la même pointure, je bafouille une réponse évoquant Antibes ou Juan-les-Pins, bref un de ces endroits " sinistres " où ma peau s'est chocolatisée et où j'ai fait l'acquisition de ces sandales, d'un vert électrique j'en conviens, toutes en lanières, très jolies il est vrai, qui semblent tant l'intriguer. Me regardant droit dans les yeux, elle dit : - Vous avez un moment ? Venez donc chez moi ! J'ai une robe qui ira très bien avec vos sandales... En me prend par le bras et nous faisons trois pas en silence. Puis nous nous arrêtons. Elle me regarde, de haut. - C'est drôle, dit-elle, habiter si près l'une de l'autre... Je savais qu'on se retrouverait ! Et elle éclate de rire, ce rire merveilleux, insoupçonnable, contagieux comme seule un rire peut l'être. Et nous voilà, toutes les deux, complices pour la vie, nous esclaffant sur le trottoir de la rue Rémusat. Une fois chez elle, elle se mit à vider ses placards pour m'offrir des sacs, des gants, des dessous en dentelles, des fanfreluches...Quand à la robe promise, du Pucci pour joueuse de bridge, tout ce qu'il me fallait ! Nous nous amusions comme des folles. Je repartis avec une rose et ces mots : - Nous nous reverrons ! Je reçus des places pour aller la voir à Bobino en septembre, ce passage en vedette resté dans les annales du music-hall, qui lui inspira plus tard " Ma plus belle histoire d'amour c'est vous " et la consacra " star " enfin, à trente cinq ans. Et puis un jour de fin novembre 1965 arrive un coup de téléphone chez l'éditeur où j'avais trouvé mon premier job. - Bonjour ! c'est Barbara, la chanteuse ! Je cherche une secrétaire. Voilà, c'est vous. Vous commencez demain ! Complètement ébahie, je balbutiai que je devais tout de même un mois de préavis à mon employeur... - Ah bon ? Qu'est-ce que c'est que ça " préavis "? - Alors le 1er janvier ! J'eus la chance ( et la témérité ! ) d'être l'assistante de Barbara pendant quatre ans, quatre années tourbillonnantes où le succès l'emportait sur ses ailes, où elle devenait avec passion, pour un public de plus en plus assidu et nombreux, celle qu'elle avait toujours voulu être, une femme qui chante, qui chante sa vie pour les autres, pour les aimer et être aimée, une femme de coeur, une artiste hors norme.
Extrait du livre
Moi j'attends Barbara racontée par Mylène.
Non ?
Bah. En attendant bises...