Mardi 3 juin 2008 à 9:12

 


Du mariage avec Claude Sluys  " un matin d'octobre 1953 "  ( le 31 pour être exacte ) Barbara ne dit pas grand-chose sinon qu'il fut   " assez fellinien "   la mariée en noir   " des pieds au turban "   et Prudence ( qui offrait le repas de noce )  la poursuivant comme une folle en sifflant comme un serpent  :  " Ne te marie pas ! Ces gens-là ne sont pas pour toi...!  "   On saura plus tard par Claude, le beau garçon de vingt-cinq ans alors très amoureux de sa gitane, qu'il l'a sauvée de l'expulsion du pays en l'épousant mais que ce n'était évidemment pas la seule raison du mariage. La famille très bourgeoise du marié ne voit pas l'union d'un bon oeil : elle n'aura pas à souffrir longtemps de la présence d'une saltimbanque, et juive en plus, dans les ( très rares ) réceptions où elle se montre avec son mari. Le couple vient vivre à Paris fin 1953. Elle passe des auditions, cherche désespérément des engagements. Il écrit des poèmes, décharge des caisses aux Halles aux aurores de Paris... Puis doit rentrer en Belgique où, exempté du service militaire,  " on "  l'empêche néanmoins de revenir à Paris. Il ne s'en démène pas moins, sur place, pour aider de ses relations à la carrière de celle qui est encore son épouse. C'est ainsi qu'elle se rendra à Bruxelles, en octobre 1954, pour assurer à L'Atelier un vrai récital de vingt chansons, présentée par Angèle Guller, femme de radio célèbre dévouée à la chanson et qui suivra fidèlement la carrière de Barbara. Entre-temps, l'Écluse qui avait dit non à une audition en 1952, a dit oui au printemps 1954 et a bien fait... La porte commence à s'ouvrir pour de bon. C'est le moment où, sans s'en douter peut-être mais avec une de ces intuitions rares qui la caractérisaient, elle transforme son personnage. Elle se fait couper les cheveux très courts et commence à ressembler au Pierrot de lune de ses années futures. Paris, en 1955, redevient le port d'ancrage de la vagabonde. C'est aussi la fin du mariage belge. Elle n'épousera plus personne.

Marie Chaix
  ( Auteur et secrètaire de Barbara de 65 à 69 )

Vendredi 30 mai 2008 à 9:45

 

Quand Barbara commençait à s'ennuyer dans un restaurant, elle s'inventait de temps en temps... un chien imaginaire qu'elle appelait Jean-Pierre ! D'abord, elle laissait tomber ses couverts pour que le maître d'hôtel vienne les changer, et puis soudain, elle s'exclamait  :  "  Jean-Pierre ! Où est passé ce chien ?  "  et se mettait à le chercher partout, suivie par tout le monde, personne n'avait vu de chien, et pour cause : il n'y en avait pas ! Ou bien elle demandait à boire pour Jean-Pierre !

Sophie Makhno
( Auteur et secrétaire de Barbara de 63 à 66 )

Samedi 24 mai 2008 à 9:21

 

 Barbara bâtit ses récitals avec un professionnalisme hors pair. Des premières notes jusqu'au tomber du rideau, elle maîtrise tout. On est loin d'une simple succession de chansons. Un récital de Barbara est une construction minutieuse. Avec ses deux parties, ses ruptures de rythmes, ses pauses, ses rebondissements. Début du récital, les lumières s'effacent et l'intro démarre ( le musical de Pierre, repris depuis des années ) Le rideau ? Il n'est pas encore ouvert. Ainsi, avant même de voir la scène, le public entre de plain-pied dans le spectacle. les secondes s'écoulent et le rideau se fend. On découvre les musiciens. Puis la chanteuse enfin. Elle avance, lente, souriante. Une entrée qui prend des allures de cérémonial, et qui souligne d'emblée l'exceptionnel de la rencontre. La première partie est menée tambour battant. Barbara évite les débordements d'enthousiasme. Elle enchaîne titre sur titre, n'hésite pas à couper court aux applaudissements pour entamer une chanson. Le rythme est percutant. Des titres nouveaux ou peu connus viennent se glisser ici et là. L'heure est à la découverte, à l'écoute attentive. Un premier acte court ( à peine plus d'une demi-heure ) " ramassé. " Il se clôt sur une note gaie, comme une fête : L'Homme en habit rouge au Châtelet, La plus bath des javas, à Mogador. déjà, elle lance la deuxième partie. Contraste saisissant... De retour sur scène, pour une bonne heure de spectacle, Barbara entame alors un récital plus débridé. On retrouve ici les "  grands-classiques-qu'on-attend.  " Avec toujours, la finesse de la construction : l'art, par exemple, d'enchaîner deux ambiances, de basculer d'un texte grave à un autre plus léger. Souvent, les musiciens reprennent le thème musical en fin de chanson. L'occasion pour Barbara de laisser libre cours à son aisance : elle fend la scène, regarde la salle, repose sa fatigue sur l'épaule d'un musicien, esquisse des pas de danse. Du coup, elle appelle les spectateurs à elle. Et la salle se laisse porter. La fin du spectacle est une suite de rappels, de titres archi connus, comme Nantes ou L'Aigle noir. Des moments d'abandon, devant un public définitivement conquis. Là où les roses se tendent, où les lettres échouent sur le bord de la scène, où l'on se dit des " mercis " et des " à bientôt. " Petit à petit, le spectacle glisse des planches à la salle. Le public lui chante La petite cantate ou Dis quand reviendras-tu ? Une vraie conversation.


Valérie Lehoux
 ( Journaliste )

Vendredi 23 mai 2008 à 14:51

 


Barbara n'est pas seulement concernée par les mutations dans le monde, toujours attentive aux injustices, elle enregistre en 1995 un message d'appel de fonds pour l'association Droit au Logement. Elle se doit de soutenir le " Dal " qui a permis en cinq ans de reloger huit cent cinquante familles et faire appliquer la loi de réquisition. Barbara a ensuite le projet avec Jean-Louis Aubert d'écrire une chanson au bénéfice de l'association Sol En Si. Elle apprend au chanteur la rigueur dans l'écriture : " tu fais le plus beau métier du monde et tu voudrais que cela soit facile " Le fruit de ce travail s'appellera Le couloir, mais il ne sera pas retenu. C'est cette chanson qui va donner à la chanteuse, reprise par la fièvre de l'écriture, le désir de réenregistrer un album, unique moyen maintenant de communiquer avec le public puisqu'elle ne peut plus se produire sur scène. En juin, Barbara effectue chez elle les répétitions pour préparer l'enregistrement de ses nouvelles chansons. Avec Jean-Louis Aubert qui vient souvent jouer du piano à Précy elle compose Vivant poème en vingt-cinq minutes, dans l'allégresse et l'évidence : " il était au début, j'étais à la fin, nous avions ce jour là le même âge "  dit-elle joliment.

Jeudi 22 mai 2008 à 14:20

 


Dans sa maison de Précy quand elle se repose, Barbara consacre beaucoup de temps au tricot, sa vieille passion. Elle s'intéresse aux nouvelles productions musicales, regarde les clips à la télévision, trouve le groupe Rita Mitsouko très bien. Aussi, quand le 1er février 1994 est voté la loi 1488 qui va obliger les radios à suivre des quotas de production ( quarante pour cent des oeuvres diffusées devront être des oeuvres musicales française, dont la moitié sera le travail de nouveaux artistes ou de nouvelles productions ) et qu'une semaine de la chanson française est instituée, elle éclatera de colère et déversera sa fureur  :  " C'est quoi ça, quelque chose comme la quinzaine du blanc ? Culpabiliser les radios, leur imposer un quota de refrains nationaux... allons donc, un sauvetage ne s'effectue pas par décret... Il n'y a pas de façon plus spectaculaire d'assassiner, d'enterrer la chanson française, alors moi je n'ai plus envie d'entendre ce mot, j'ai envie de dire  " I don't speak french, I love you " ,  je sais pas quoi... parmi les gens de ce métier, enfin il y en a qui m'émeuvent, d'autres qui ne m'émeuvent pas."  Barbara a toujours détesté ceux qu'elle appelle les épiciers.  " La vraie chanson, c'est Maurice Chevalier, Mistinguett, des gens pour qui la rigueur, la discipline ont élevé leur travail au niveau de l'art. La chanson va très bien. Dire à un débutant  :  " on va s'occuper de toi  ", le faire rêver à une carrière, l'illusionner, c'est grave. C'est jouer avec la vie des gens. Il n'y a pas de talent méconnu ! Personne n'occupe la place de quelqu'un qui ne la mériterait pas. Personne ne peut apprendre, ni initier. tant que l'on n'a pas fait ce long chemin devant le public... Ce n'est pas qu'il faille forcément avoir des débuts difficiles, souffrir, mais cela ne servirait à rien d'ouvrir les portes au type qui n'a rien en lui. Il faut que cela soit sa religion. J'ai des amis qui chantent mieux que moi, mais ce n'est pas leur truc. Il faut donner. Et puis le mot culture me fait peur. Il manque de coeur. "   De plus, Barbara est persuadée qu'il n'y a pas de génie méconnu et que seul le travail et non le protectionnisme peuvent produire de nouveaux talents  :  " Maintenant, la notoriété passe uniquement par le matraquage ( A-ton jamais vu un mot aussi adapté à sa fonction ? ) sur les antennes. Et à coups de matraquage, on tue la chanson, le disque et l'artiste. "
On devine sans peine qu'elle aurait été la réaction de la chanteuse à l'avènement de la Star Académy...

Extrait du livre


Mercredi 21 mai 2008 à 8:19

 

Dis, quand reviendra-tu...?

Précy s'est réveillé un jour sans Barbara. Elle nous a quittés à jamais. On ne la voyait pas beaucoup, elle était pudique et secrète. Nous avons tous respecté cette pudeur, et depuis qu'elle n'est plus là, elle est partout. Son histoire, faite de douleur et d'amour, de talent et d'émotion; nous revient par bribes, par morceaux, et reconstitue le puzzle de ses blessures et de ses triomphes. Elle avait posé sa vie près de nous tous, et parce qu'elle se sentait mieux à Précy qu'ailleurs, elle y composait ses chansons, puis y écrivait ses mémoires. Un village, c'est un peu comme une maison. Elle y a laissé une empreinte ineffaçable, au delà des gestes qu'elle a eus envers les enfants, les jeunes, ou les anciens, au delà de sa générosité, il reste au fond de nous le sentiment d'avoir partagé un peu de sa vie. Il nous reste aussi un vide à la mesure de l'affection que son talent a fait naître, dans les moments d'extrême intimité qu'elle nous offrait par ses chansons. Un jour, à Précy, le nom de Barbara s'attachera à un lieu du village, pour honorer une femme d'exception, qui avait choisi d'y vivre, et sans doute aussi, d'y mourir.

Yves Duteil
 
( auteur-compositeur-interprète et maire de Précy-sur-Marne )

Mardi 20 mai 2008 à 10:08

 


Je l'aime mais je n'ai aucun conseil à lui donner ! Surtout pas maintenant. Hier elle était vivante, ô combien ! au service funéraire de Jean-Claude Briany. Ça me suffit pour savoir qu'elle n'est pas morte et qu'elle n'a besoin d'aucun conseil. Voilà !

Juliette Gréco
  ( Interprète, actrice )
 

Barbara disait de Juliette Gréco, chez Denise Glaser en 1967, qu'elle était  " Une femme-fourrure "  Jujube a ouvert bien des portes cadenassées. Elle fut la muse de toute la beauté masculine du monde et donc celle de l'existentialisme. A ses débuts, Barbara parfois ressemble sur quelques clichés à la Gréco que l'on voit alors beaucoup dans les journaux. Elle racontait parfois qu'elle se souviendrait toujours des dîners Sagan, Barbara, Gréco. Pas un  "  peste of  "  mais presque, tellement elles étaient rieuses et insolentes. Lorsque je la rencontrai en septembre 2004 à l'occasion d'un portrait pour la télévision, nous avons ri dans une voiture décapotable sur les collines de Ramatuelle. Elle m'a parlé de Barbara simplement absente puisqu'elle pense que nous portons tous en nous la vie de Barbara.
 

Samedi 10 mai 2008 à 8:08


Barbara et Maurice Béjart


" Ah comme vous marchez bien !  "
s'exclame Maurice Béjart en voyant Barbara pour la première fois. Quand elle évolue, sa démarche... c'est peut-être cela qui frappe le plus l'esprit et le regard : lorsque Barbara se déplace, elle glisse, elle survole le sol comme la danseuse qui s'élance. Elle avance, le dos cambré alliant la grâce du kangourou et la rapidité de ce drôle d'oiseau dont les plumes ont été utilisées pour fabriquer le boa qu'elle enroule autour de son cou. Sa démarche est titubante parfois, comme si elle devait se frayer un chemin parmi la foule oppressante, comme si elle n'appréhendait pas bien l'espace dans lequel elle avance. Son corps bouge, tâtonne comme quand on se retrouve dans le noir. Est-ce dû à sa myopie légendaire ? Ou simplement à son charisme ? Son pas est une danse rythmée. Elle va comme les belles en robes à crinolines d'un autre siècle. Majestueuse. Souveraine. Son piano est son équipage. Sa grâce ne laissera insensible ni ceux qui sont parmi les plus grands chorégraphes ni ceux parmi les plus beaux danseurs.

Vendredi 9 mai 2008 à 8:45

 


Quels souvenirs de voyage rapportait-elle des villes, des nombreux pays où elle allait ? Des nuages vus d'avion, des enfilades de cités aperçues à travers une vitre de voiture, des couloirs de loges, d'anonymes chambres d'hôtel... Quand elle voyageait, c'était uniquement pour chanter, n'ayant dans la tête que cet espace clos de la scène, avec au milieu le piano noir, la musique, la voix, espace pour deux heures seulement s'ouvrirait sur le but du voyage : l'animal tapi dans l'ombre, la présence chaude et enivrante de la foule silencieuse et amoureuse venue pour elle. Elle en rapportait la fatigue heureuse de s'être donnée et une moisson de visages. Visages tendus vers elle dans une salle qui vibre, visages qui disent merci, qui crient je vous aime, visages inoubliables. Elle n'aimait pas garder de traces, se souvenir des dates, enfin c'est ce qu'elle disait. On pouvait voir pourtant sur un mur de sa maison une affiche sous verre, avec un air de très ancienne affiche de théâtre. Si le papier est jauni, c'est à cause de sa mauvaise qualité. Les caractères rouges restent difficiles à déchiffrer. On les devine, c'est de l'alphabet cyrillique. Elle était allée chanter à Moscou en 1973. Elle en est rentrée bouleversée. Les gens debout dans la salle puis lui parlant après son récital. Cette langue qu'elle n'apprit jamais mais qui hanta son enfance, elle avait l'impression de la comprendre, les mots remontaient d'un lointain passé, sa grand-mère de Tsirapol, l'aïeule Varvara, parfum d'exil... Et par un soir d'hiver, à présent, comme retrouvés, ces regards aimants, avides, à la porte de la loge, ces mains la retenant, la touchant comme une icône, dans la rue la suivant, et les larmes de cette femme qui, ôtant son alliance, la lui mit dans le creux de la main en la bénissant.

Mercredi 7 mai 2008 à 8:48


" Chéri, trouve-moi un son comme quand un oiseau touche de son aile les cheveux d'une jeune fille qui est en train de boire sa tasse de thé. "


Barbara ne parlait pas musique, elle parlait que d'expressions, que d'images, elle parlait nuages, elle parlait de fils, elle disait, par exemple, qu'il ne fallait jamais retomber. Elle comparait les notes qu'on jouait à des ballons, vous savez, qu'il y a sur les fêtes foraines où l'on tire à la carabine.  " Les ballons, ils ne retombent jamais, jamais. "  Donc il fallait jamais qu'on retombe, c'est pour ça qu'on terminait rarement les chansons, à la fin d'une chanson, elle se levait du piano et faisait une sortie, en fait elle donnait cette impression de ne jamais finir le tour de chant, d'être toujours en suspension, c'est se qu'elle disait toujours. Quand elle voulait un son bien précis, elle disait  : " Fais-moi quelque chose de mauve, fais-moi quelque chose de bleu, fais-moi quelque chose de froid, essaye d'étirer la note le plus longtemps possible, comme un fil, y a un ciel bleu, mais faudrait que tu sois un nuage noir là, qui traverse. "   Barbara s'exprimait avec ses mots à elle.

Sergio Tomassi
  ( Musicien )

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