Jeudi 26 juin 2008 à 8:04

 


Le son fait également l'objet d'attentions particulières. Eric Alvergnat, aujourd'hui directeur d'une société de location de matériel sonore pour spectacles, fut de 1977 à 1997 l'ingénieur du son attitré de Barbara sur scène. " Elle était très exigeante tant pour la qualité du son que recevait la salle que pour ses retours. Les artistes ont tous devant eux ce que l'on appelle des bains de pieds, des hauts-parleurs qui leur envoient directement une balance parfois différente de ce qu'entendent les spectateurs. Tel chanteur veut entendre plus de basse, tel autre plus de sa voix ou moins de batterie. A cette époque, le son des retours se faisait du pupitre qui était au fond de la salle. ce qui était difficile pour les ingénieurs, placés comme ils l'étaient, d'imaginer ce que l'artiste entendait. De nos jours, les consoles de retour sont installées généralement sur les côtés de la scène, et le technicien entend quasiment la même chose que l'artiste.Pour chaque chanson, elle souhaitait un réglage différent. J'avais imaginé une astuce. J'avais fait installer sur son piano un petit bouton qui lui permettait, à la fin de chaque morceau, lorsque le noir se faisait, de couper le son de la salle. Elle pouvait ainsi continuer à me parler à l'aide de son micro de chant. Au début, cela fonctionnait très bien. Entre chaque titre, elle me demandait très vite une ou deux petites modifications. Mais peu à peu, ses demandes s'éternisèrent si bien que Jacques Rouveyrollis qui était aux lumières ne savait plus quand il fallait rallumer ! Elle parlait, s'agitait derrière son micro et les noirs en scène devenaient de plus en plus long ! J'ai alors inventé autre chose. Je lui ai construit une petite console, posée à côté d'elle sur un trépied, que les spectateurs ne pouvaient pas voir. Ainsi, entre chaque titre, elle pouvait opérer ses propres réglages. Comme elle était myope, qu'elle chantait sans lunettes, la console comportait de gros boutons fluorescents. La chanson terminée, elle commençait ses réglages pour la suivante. Sauf qu'en se penchant sur ce pupitre, on avait l'impression qu'elle piquait du nez, et comme cela durait, on pouvait penser qu'elle allait s'endormir ! Le vrai problème, c'est qu'elle était présente sur la scène dès qu'elle le pouvait, parfois même dans des conditions qui frisaient les limites de sécurité. Combien de fois, je l'ai vue, se balancer sur son rocking chair au milieu du plateau alors qu'autour d'elle, évoluaient, des dizaines de techniciens portant des projecteurs, des perches qui lui passaient au ras de la tête. Mais elle était comme ça, il lui fallait habiter le lieu. C'était une femme étonnante. "

Eric Alvergnat
   ( Ingénieur du son )

Mercredi 25 juin 2008 à 8:06


Croquis de Luc Simon  ( 1963 )


Barbara fut une éternelle amoureuse qui collectionna parfois sans aucune morale, ni retenue, les aventures. Ainsi, elle aimera Luc Simon, artiste peintre qui trouvera à Abidjan le dépaysement et la charge de décorer les boîtes de nuit. Devenu l'ami d'Hubert Ballay chez lequel il était hébergé, il connaîtra l'existence de Barbara grâce aux confidences d'Hubert, qui lui révéla tout son amour pour la chanteuse, même s'il disait-il, "  il était bien difficile de vivre avec elle !  " Hubert lui demandera à la rencontrer à son retour de France et de l'aider si besoin. Ce qu'il fera, trop même. Le rendez-vous, comme beaucoup, eut lieu à la Boule d'or. Luc aura tant de mal à ne pas succomber au charme de la chanteuse qu'il n'y résistera pas. La culpabilité ne freina pas la morale, la rendant plus délicieuse sans doute. " L'unique façon de se débarrasser d'une tentation, n'est-il pas de s'y abandonner. "  disait Oscar Wilde, qui ajoutait  : " Résistez, votre âme se rend malade à force de languir ce qu'elle s'est interdit... "  L'amour du diplomate et de la dame en noir, lui, ne résistait plus, à l'éloignement. Leur Titanic s'enfonçait dans les flots. Luc Simon en fut l'iceberg. Même si la raison est mince, elle est insuffisante pour se quitter lorsque le temps qui passe s'additionne à l'éloignement. Hubert reviendra trop tard, rue Rémusat. La tourterelle n'avait pas changé de nid, mais de partenaire. Barbara vivra de 1962 à 1964 une aventure torride avec le peintre. Il est beau. Elle est très jalouse. Elle partira souvent en tournée. Ils s'écriront des lettres passionnées, se déchireront à distance et se quitteront suffisamment à temps pour que leurs souvenirs soient beaux. Entre un grand amour et la scène, elle dira alors préférer la scène. Le dépit, sans doute. Son public, elle l'aimait très fort, sa plus belle histoire d'amour, c'était lui. Oui, mais le soir, lorsque l'on doit faire la paix avec soi-même, où était-il?

Extrait du livre
 
 

Mardi 24 juin 2008 à 8:40

 


Dans son livre  " Il était un piano noir... Mémoires interrompus "  Barbara écrivit après la rupture avec Hubert Ballay, ce haut fonctionnaire  : "  Dorénavant, je suis seule, plus rien ne va pouvoir me détourner de ma route, telle que je l'ai toujours pressentie. Rien, ni personne, aucun homme, aucun amour. Bien sûr, des hommes et des amours, mais c'est différent. " Ballay aurait pu être une liaison durable, mais la géographie les éloigna. Elle écrivit pour lui l'une de ses plus belles chansons d'amour " Dis quand reviendras-tu ? " que, plus tard, le public reprendra en choeur pour qu'elle revienne sur scène. Elle rencontra lorsqu'elle chantait à L'Écluse cet homme à la personnalité affirmée. Diplomate puis, plus tard, directeur général des disques Barclay, Hubert Ballay est également compositeur, auteur et aussi le créateur du dessin animé pour enfant " Watoo Watoo " Une idylle et plus si chacun d'eux n'avait eu une vocation non pas contradictoire, mais différente. Il accepta un poste en Côte d'Ivoire où il deviendra conseiller du président Houphouët-Boigny. La séparation fut douloureuse, mais elle, pouvait-elle abandonner Paris qui commençait à la connaître ? Pourtant, elle le rejoignit et chanta au Centre Culturel d'Abidjan, mais également dans le cabaret " Le Refuge " dont le propriétaire était Jo Attia, authentique voyou. Lorsque Barbara se produisait sur la scène de son établissement où se croisaient les cafards et la racaille des quartiers chauds de Treichville, Attia sortait son révolver, le mettait bien en évidence sur sa table et disait  : " Le premier qui ricane ou n'applaudit pas assez fort, je le flingue ! "  Barbara dans ses mémoires dira  : " Je n'ai jamais été écoutée et ovationnée aussi spontanément ! "  Voulait-elle seulement vérifier si son amour était plus fort que le destin qu'elle avait choisi ? Elle repartira seule. Il devait revenir. Elle attendit. Il tardera...  "  Si tu ne comprends pas qu'il te faut revenir, je ferais de nous deux mes plus beaux souvenirs. ",  écrira-t-elle alors. Ainsi s'acheva cet amour où nul ne renoncera à soi-même, mais renoncera à l'amour.

Lundi 23 juin 2008 à 11:59

 


Autre témoin de l'attitude imprévisible de la chanteuse André Gaillard nous conte une anecdote qui se déroula au cabaret  "  La tête de l'art  "  où Barbara se produisait alors. Elle avait constamment des problèmes de gorge, se faisait traiter régulièrement à l'hôpital Américain. Faire un long tour de chant la fatiguait. Un soir, en plein milieu de sa prestation, elle s'arrêta brusquement et s'adressa au public  : "  Vous savez, j'ai une trachéite, il faut que je cesse un peu de chanter, mais je vais vous parler de quelque chose qui devrait vous intéresser, moi. "  Elle partit alors dans un long soliloque qui plia la salle de rire. devant le succès de cette intervention, elle n'hésita pas à la rééditer. " Ce soir, elle chante ou elle cause ? "  demandait-on désormais à l'entrée avant de retirer son ticket. Ces monologues drolatiques avaient d'autant plus de succès qu'ils étaient relatifs à l'inspiration du moment, totalement improvisés. L'auditoire avaient alors l'impression de compter parmi les heureux élus d'un spectacle unique pour lequel ils avaient été miraculeusement choisis.

André Gaillard 
 ( humoriste, acteur )

Mercredi 18 juin 2008 à 9:13

 


Les disques de Barbara, c'est la maison de famille où l'on finit toujours par retourner, à l'occasion d'une disparition ou d'une naissance, et l'émotion est plus forte encore de fouler le vieux gravier, de découvrir que les volets se sont décolorés, que le lierre a conquis la pierre et mangé le toit de tuiles grises, que l'arbre centenaire est tombé, que le chenil est vide où la grille a rouillé, qu'il y a des trous dans le tissu à fleurs des fauteuils, de la poussière mauve sur les photos de famille où les poilus font les fiers, pauvres aïeux, avant de monter au front d'où ils ne reviendront jamais. Et, dans le grand miroir moucheté où, autrefois, l'on faisait des grimaces, on observe soudain nos pattes-d'oie, les premiers cheveux blancs et, plus bas, à la hauteur de l'épaule, les visages de nos enfants, presque des adultes. Et puis, un jour de 1990, j'ai rencontré par hasard Barbara. Nous sommes devenus des amis. Elle m'a ouvert les portes de Précy et de ses loges. Elle a couvert mon fils aîné de cadeaux. Elle ne ressemblait guère à ses chansons. Elle ne se ressemblait pas. Je l'imaginais ténébreuse, elle était très drôle. je la croyais désabusée, c'était plutôt une désespérée contrariée. Sa conversation était trépidante, provocante, coruscante. J'aimais ses coups de téléphone matinaux, son affection intempestive, ses tutoiements où entraient de la tendresse et du comminatoire. Je détestais, après une suite d'appels en rafale, parfois quotidiens, ses longs silences  --  affreuses machines à fabriquer de l'inquiétude et de la rumeur  --  que rien, ni mes lettres ni mes messages sur son répondeur, ne pouvait briser. Et puis elle réapparaissait sans prévenir, vive, moqueuse, impertinente, éludait aussitôt les questions sur son mutisme, sur sa santé, en rajoutait dans l'euphorie, riait aux éclats, exigeait des nouvelles de ma femme, des enfants, des chevaux, de la Normandie où elle promettait sans cesse de venir promener ses chiens et poursuivre l'obsédante chimère d'une famille unie, mais elle ne venait pas et s'excusait, par téléphone, au dernier moment.
" Tu sais, je suis fatiguée, je ne bouge guère. Une autre fois... Embrasse la smala ! "

Jérôme Garcin
   ( Journaliste )

Vendredi 13 juin 2008 à 9:21

 

 

C'était à la fois une adulte et une vieille dame qui avait une sagesse séculaire, nourrie de son angoisse, de ses voyages, de ses errances, de ses erreurs et de ses amours. Mais en même temps, une petite fille sans cesse émerveillée, sans cesse à la recherche de cadeaux, de tendresse, de douceur, d'amitié, de chaleur. sans cesse en train de dire  " Dessine-moi un soleil ", et sans cesse en train de séduire, de convaincre... Elle était la passion et l'écoute, elle était aussi l'humour fait pour donner, pour rendre la vie douce. Barbara a raisonné avec notre temps avec une si grande profondeur en incarnant la solitude, l'amour, la passion, l'enthousiasme, l'élégance, la distinction, la grâce, qu'elle ne peut pas ne pas rester comme un mythe. Il y aura certainement des lieux qui porteront son nom, elle sera présente dans l'esprit de beaucoup parce qu'elle aura dans cette fin de siècle un peu barbare, signifié la douceur, le raffinement.

Jacques Attali
  ( Économiste - Écrivain )

Lundi 9 juin 2008 à 8:48

 


Il faut pour écouter Barbara, faire la paix dans la pièce où l'on se réchauffe, dans nos paysages familiers, dans sa vie. Il faut pouvoir poser son regard sur un visage aimé, une haie de bouleaux, des crinières au vent, un album de photos, et toutes ces couleurs d'automne  --  le roux, le fauve, le feu, le grège, l'or, la sanguine, l'auburn, le caramel, la garance, l'alezan, la châtaigne, le havane et l'amarante --, couleurs languides qu'elle aimait tant. Le noir pour le corps, l'arrière-saison pour le coeur. Car cette voix nous pénètre comme nulle autre, on dirait qu'elle nous vole notre intimité, nous prolonge, nous traduit et brise ce qui, en nous, résistait par bravade, par fierté, à l'aveu, à l'abandon et aux larmes. Écrire sur Barbara  --  elle nous le pardonnera  --,  c'est écrire sur nous. L'on connaît ses chansons par coeur et pourtant, chaque fois, elles semblent répondre à ce que nous vivons d'inédit à l'instant précis où on les écoute. Les mêmes refrains, les mêmes paroles, les mêmes airs d'elle ont consacré, avec la même intensité, des bonheurs différents, accompagné en terre, avec le même refrain, des morts successives. Et quand le disque s'éteint, quand le silence est rendu au silence du vent qui siffle, de la flambée qui crépite, des souvenirs qu'on a réveillés, qu'elle a su déloger, la voix de Barbara continue de chanter. C'est, avec celle de Piaf, la seule qui n'ait pas besoin d'une enceinte pour vibrer, ni d'être diffusée pour éclater. Un simple soupir nous parle d'elle. Aujourd'hui, comme hier. Souvenez-vous  :  de son vivant, fût-elle longtemps absente de la scène, sans même que parût un disque nouveau, on ne savait par quelle grâce Barbara continuait pourtant d'être là, près de nous, de dispenser ses sortilèges, d'apaiser des souffrances, de nous donner, où que l'on fût, de ses nouvelles,
 si mi la ré sol do fa...

Jerôme Garcin
   ( Journaliste )

Vendredi 6 juin 2008 à 8:39

 


Barbara est drôle, fantaisiste, dotée d'un humour cinglant et surréaliste comme le sont parfois les victimes du mal de vivre qui ont besoin de s'échapper du réel, de porter en dérision leur souffrance. " Je suis une comique, mais cela, personne ne s'en est rendu compte !  "  Ses proches le savent bien, certains prétendent même qu'elle est la femme la plus drôle du monde. Dans l'atelier de son amie couturière, Mine Barral Vergez, à deux pas de La Tête de l'art, elle fait des siennes. Toute la durée de ces récitals de fin d'année, elle s'installe chez Mine, sillonne l'atelier en sautillant, coquine et curieuse. Tout le jour elle se penche sur l'ouvrage des petites mains occupées à ourler des taffetas ou à parfaire quelque habit de lumière. Elle veut aider, apprendre à coudre...  Le soir, elle se maquille, revêt sa peau de velours et, enfouie sous sa cape, rejoint à pied, filant comme une ombre, le cabaret tout proche. Un jour que toute l'équipe de la Comédie-Française débarque chez Mine pour un essayage, elle s'attife d'une dentelle sur la tête et d'un tablier, bondit sur la porte et joue tout à coup les parfaites gouvernantes. Un à un, ces messieurs dames du théâtre-Français s'étonnent, décidément troublés par la ressemblance de l'employée de maison avec la chanteuse.  " Non, non, je vous assure, je ne suis pas Barbara, je suis la bonne ! "  rétorque avec aplomb l'espiègle, qui fait durer la blague. Un soir de Noël, à Rennes, alors qu'elle vient de se produire avec Serge Reggiani, elle se retrouve à une réception d'un ennui mortel organisée en son honneur. Il lui prend alors l'envie de chambouler ce ronron. Elle se met à lancer de sonores  Jean-Pierre ! Jean-Pierre !  Face à un auditoire médusé, Reggiani rapplique à quatre pattes aux pieds de la chanteuse, aboie et, bouche ouverte, recueille les petits-fours que lui lance sa complice. Ainsi, on n'impose rien à Barbara. Un soir qu'une pneumonie l'a clouée sur un lit d'hôpital, son spectacle de La Tête de l'art est annulé au dernier moment. Du moins le croit-on... parce qu'à l'insu de son entourage elle obtient finalement des médecins de quitter son lit le temps d'un tour de chant. Elle avale quelques-uns de ces miraculeux comprimés dont elle abuse et s'en va donner son spectacle, le teint pâle mais l'âme en couleur. Devant La Tête de l'art, l'ambulance attendra la fin du récital.

Extrait du livre

Jeudi 5 juin 2008 à 11:02

 


Le musicien rencontre Barbara au milieu des années 60. C'est le début d'une longue collaboration  :  Michel Colombier signera ses orchestrations de 1966 à 1972. Début aussi d'une longue amitié, que le départ de l'arrangeur pour les USA ne viendra pas émousser...
Nous nous sommes rencontrés à un Gala de l'Union des Artistes, à l'Opéra de Paris. Barbara y chantait   " Yesterday "  des Beatles, allongée sur la scène, devant un piano d'enfant, et accompagnée par un choeur en robe de bure...  C'est après ce spectacle un peu particulier qu'elle a voulu que l'on travaille ensemble. A l'époque, l'un de ses arrangeurs lui avait dit que ses chansons n'étaient   " pas carrés "  Elle voulait donc que j'y mette de l'ordre, se que j'ai refusé. Ses chansons étaient parfaites telles quelles, je n'avais pas à y toucher. Qu'il y ait un temps en trop ici, ou un temps en moins là, peu importe. L'oeuvre de Barbara est très personnelle, on n'a pas à y insuffler des considérations scolastiques. On a juste à la servir. Le talent de Barbara est inclassable, incomparable. On ne peut pas comparer Barbara à Gainsbourg, comme on ne peut pas comparer Brel à Brassens...  Ils étaient tous monstrueusement doués. Je retrouve d'ailleurs des points communs dans leur façon de travailler  :  le même amour, la même joie quand on arrive au résultat escompté. Pour moi, ce fut une collaboration merveilleuse. Barbara me laissait carte blanche. En général, elle était toujours d'accord avec ce que je lui proposais. Avec elle, j'ai des souvenirs étonnants. Un jour par exemple, il lui manquait une chanson pour boucler un album. Elle a fouillé dans ses tiroirs et en a sorti un vieux titre, qu'elle jouait un peu à la façon de la sonate au clair de lune de Beethoven. Pierre, son chauffeur, m'a apporté la cassette, m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit  :  "  Il faut que vous en fassiez un tube. La patronne en a besoin ! "   Évidemment elle ne lui avait rien demandé mais il l'aimait tellement...  J'ai fait les arrangements sans imaginer ce que la chanson allait devenir  :  c'était  " L'Aigle noir  "...  Barbara était une femme extraordinaire. Elle était très humaine, très proche de nous, dans les bons moments comme dans les autres. L'un de mes fils, Emmanuel, est mort à l'âge de cinq ans. C'est elle qui s'est occupée de tout. Elle est venue ranger ses vêtements, pour soulager ma femme. Elle a rempli les formalités. Elle a choisi le cimetière, à Bagneux, pas loin de sa propre mère... C'est d'ailleurs là qu'elle est elle-même enterrée. Après mon départ de France, nous avons retravaillé ensemble en 1981, pour son album Seule, puis en 1986, à New York  :  il y a eu un grand événement culturel au Métropolitain Opéra, et Baryshnikoff qui l'adorait  ( il a appris le français en écoutant ses disques ! )  voulait absolument qu'elle y chante. Elle est venue. On s'est retrouvé dans la même harmonie que vingt ans plus tôt...  Au fond, c'est toujours facile de travailler avec les gens qu'on aime. Et je l'aimais. C'était une très grande artiste.

Michel Colombier

Mercredi 4 juin 2008 à 9:40

 


Plus que tout autre chanteur, Barbara crée dans le public un  " effet miroir "  Des spectateurs de plus en plus jeunes se reconnaissent dans sa souffrance, dans ses mots de désespérance et d'espoir. Ils ont devant eux une femme de trente-cinq ans qui pourrait être leur grande soeur, parfois leur mère, mais qui ne leur tient pas le même discours que les adultes. Elle ressent les mêmes choses qu'eux, exprime avec des mots et des notes ce qu'ils ressentent sans avoir jamais réussi à l'exprimer eux-mêmes. Alors ils viennent la voir dans sa loge pour lui parler, pour qu'elle les écoute. Barbara prend conscience de la lourde responsabilité qui pèse sur ses épaules.  " La jeunesse est orpheline, confie-t-elle à Denise Glaser à la télévision. Les enfants sont orphelins. Ils viennent me voir et me disent  :  " C'est comme si vous étiez ma mère "  C'est tout à fait bouleversant. Ce sont des gosses de quatorze, quinze ans. Il y  a un âge où l'on divorce de ses parents, c'est très difficile à traverser. Et comment répondre à cette formidable attente sans décevoir ?  " Toi tu remontes dans ta voiture le soir et les gosses te disent  : " Oui, vous nous laissez "  C'est vrai que tu pars toujours et eux restent avec leurs problèmes, parce que tu ne peux rien faire. C'est dérisoire. Il faut savoir qu'on passe. Alors il faut essayer de passer le plus joliment possible. Peu à peu Barbara apprendra à ne pas se faire vampiriser par son public. Cet apprentissage, comme le raconte Françoise Lo, fut long et douloureux. " Après le spectacle, le public défilait dans sa loge comme pour des funérailles. Ça faisait partie du spectacle. Ça durait des heures. Elle parlait avec les gens. Un jour qu'une jeune fille lui disait à propos de Nantes qu'elle n'avait pas retrouvé le " petit sanglot du disque " elle lui a répondu : " Mademoiselle, on ne peut pas enterrer son père tous les jours "  Si quelqu'un lui disait qu'il avait des problèmes d'argent, elle s'en occupait. Au-delà des ses contradictions, elle avait une émotivité qui débouchait sur de la générosité. Une femme, qui habitait dans une banlieue pauvre de Lyon, était venue la voir en lui disant qu'elle n'avait pas de quoi payer un Noël à son enfant. Barbara a acheté un ours en peluche et des monceaux de jouets et a pris un taxi pour aller les porter elle-même à l'enfant. Quand elle est arrivée avec ses jouets dans les bras, la mère s'est écriée :  " Que ça ? "  Elle aurait sans doute préféré avoir un chèque qu'un ours pour son moutard. Barbara en était retournée. Elle est restée au trente-sixième dessous pendant deux jours. "  Ainsi se rend-elle compte qu'il ne faut pas trop abattre la barrière entre elle et son public et que c'est uniquement sur scène qu'elle peut le réconforter. Brel disait qu'en tant que chanteur il avait une fonction d'aspirine. De la même manière, Barbara dira  : " Je fais un métier d'assistante sociale qui essaie d'apaiser les tourments de chacun avec des mots, des musiques et une voix. " 
Sacerdoce, diront certains. Amour, répond Barbara.

Extrait du livre


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