Mercredi 17 septembre 2008 à 7:19

 


Elle se rappelle à nous. On la rappelle à soi. Une fois, deux fois, dix fois. Et la dame n'en finit pas de parcourir la scène du Vinci, de sa curieuse démarche animale. Pour dire merci à tout : aux gens qui l'applaudissent, aux " bravos " lancés des travées comme à l'opéra, aux bouquets de roses déposées dans un coin, à la vie qui va, à la musique. Comme ces personnes de contes de notre enfance qui dispensent le bonheur autour d'eux, Barbara fait du bien à qui la regarde, la désire de loin, jusqu'à ne plus faire qu'un mentalement avec elle.


Elle pourrait chanter l'annuaire téléphonique, elle collerait le frisson. Elle pourrait jouer les dédaigneuses, on en redemanderait quand même. Mais comme elle ne fait ni l'un ni l'autre, la jubilation ressentie à l'écouter, à la voir déambuler, se lover dans son rocking-chair, se tourner vers ses musiciens, bouger d'une main, se cacher derrière le piano, est totale.


Joyeuse, délivrée, juvénile, sûre d'elle, si proche et si aérienne à la fois, Barbara balance son univers sur les planches : pas le  " boulet "  lugubre des années qui passent, mais un paquet de souvenirs, d'élans, de notations, de choses intimes et de parfums qui vous mettent le cœur en émoi, et l'envie de ne plus bouger du fauteuil. De rester là, à flâner dans Göttingen, ou rue de la grange aux loups. A espérer  " Christine si belle dans son jupon blanc  ". Et à pleurer discrètement en attendant que Madame revienne...

Jeudi 11 septembre 2008 à 10:31

 


Je m'appelle Barbara. J'ai 20 ans. C'est mon père qui a choisi mon prénom. Je crois qu'il a un attachement très particulier à Barbara... enfin la chanteuse ! Le jour de sa mort, je l'ai vu pleurer. Je suis née avec les chansons de Barbara. Plus tard, je me les suis appropriées. Plus j'écoutais, plus je comprenais ses paroles, sa poésie déchirante. Au collège, je faisais un peu " retardée " à côté de mes copains branchés sur Fun Radio. Aujourd'hui, si je rencontre une personne qui aime Barbara, cela me rassure, je me dis que c'est quelqu'un de bien, comme un certificat de future bonne entente. Barbara parle de la femme, et m'a aidée à me construire en tant que femme. Ce qu'elle dit me rend euphorique. Barbara, au-delà de la féminité, l'élégance. Elle parle de l'amour avec liberté, insolence. Sans complaisance, sans mièvrerie, sans pathos. Elle n'est pas dépendante des hommes ; de l'amour si, peut-être. Elle dit : " je te quitte parce que je t'aime " Il faut avoir du culot pour écrire cela, le vivre ! Le revers de son ambition -- l'amour -- c'est la solitude. J'aimerais avoir sa force, affronter la solitude. Nous sommes tous dans une solitude effayante et nous le cachons. Elle, non. Elle ne sait pas mentir. Je crois qu'elle chante pour exorciser son enfance, ses relations avec son père. C'est peut-être pour cela qu'elle s'est davantage attachée à l'amour qu'à un homme. Barbara est une amoureuse de l'amour, une amoureuse du désir. Toujours prête à aller au combat  : "  Et, bien qu'on connaise l'histoire / Pouvoir s'émerveiller d'y croire... "  ( A chaque fois ) J'ai souvent rêvé d'elle. Je la fantasme. Je ne l'ai jamais vue en concert, j'aurais aimé bien sûr, mais ainsi je peux toujours me l'imaginer. Je n'ai jamais eu envie de lire une de ses biographies. Je trouve cela vulgaire. Chacun met Barbara dans sa tête, la garde, en fait ce qu'il veut. Elle éveille trop de sentiments personnels pour qu'il puisse en être autrement. Elle n'est pas dans le spectacle, la démonstration, elle ne joue pas à la star. Même si elle s'est cré un personnage de dame en noir, avec ses dentelles et son rocking-chair ; je crois que c'est pour se protéger, tout simplement. C'est une pudique. Sa chanson Ma plus belle histoire d'amour, chacun la reçoit pour soi. Comme si elle ne chantait que pour une seule personne, alors qu'ils sont cinq mille dans la salle à penser la même chose. C'est génial ! Jamais je ne la trouve sombre, violente, oui, parfois. On l'entend sourire quand elle chante. Elle se moque d'elle-même. Elle est torturée, mais toujours rayonnante. Elle n'a pas le goût du drame, de la souffrance, elle chante la vie comme elle est. Elle aime l'humour. Même sa relation à la mort n'est pas morbide. Elle ose  "  A mourir pour mourir / Je choisis l'âge tendre "  Elle se permet de dire tous ses désirs, même celui de mourir. Combien osent cela aujourd'hui ? Longtemps, je n'ai pas aimé mon prénom. Trop connoté " pouf " de séries américaines. Quand j'ai su qu'elle s'appelait Monique et qu'elle avait choisi Barbara, j'ai été soulagé. Elle m'a réconciliée avec moi-même.

Vendredi 5 septembre 2008 à 7:30


C'est un " outil " extraordinaire, le fax ! Vous ne trouvez pas ?


Parmi ses " amis de fax " Christophe de Mirambet. Leur échange a duré des années. Ils ne se sont jamais vus. Ou plutôt  :  Christophe a vu des concerts de sa correspondante ; il n'est pas allé la saluer, après, dans sa loge, il ne s'est pas fait connaître. Leur histoire a tenu à un fil -- de téléphone aussi, souvent. C'est ainsi qu'elle a commencé. Ce décorateur et architecte d'intérieur bordelais apprend un jour d'un ami, ancien collaborateur de Barbara, que celui-ci l'a reçue à dîner la veille, qu'elle s'est mise au piano, que la fête fut belle. Dommage, Christophe n'y était pas. Dommage, elle a de longue date une place à part dans ses amours musicales, classique, opéra, chanteurs 1900, Fragson, Fréhel, Mireille... " J'avais entendu un disque d'elle chez ma tante, qui m'a offert un double album. La voix, les mots, j'en étais fou "  Le jeune homme envoie ses voeux à la diva, lui dit ses regrets de l'avoir manquée à son escale bordelaise. Quelques jours plus tard, coup de fil à sa galerie  :  " Allô, c'est Barbara. Qu'est-ce que vous me racontez-là ? "  Pas en colère, étonnée, amusée  :  cette soirée n'a pas eu lieu. Du petit mensonge d'un ami va naître un long dialogue amical, entamé par la dame  :  " Vous avez un fax ? Prenez mon numéro "  Dialogue à distance rythmé de rires, de blagues, de malices  :  " Elle m'a commandé un canapé, on n'a jamais pu trouver la couleur qu'elle imaginait. Je lui ai envoyé des échantillons, j'ai reçu en retour des commentaires drolatiques... "  De moments plus graves aussi, la nuit souvent.  " Je faisais des pirouettes, des pieds de nez, elle parlait d'autre chose -- Qui aimez-vous comme chanteuse ? --- Kathleen Ferrier. -- Moi aussi, je l'adore. Quel livre offrez-vous le plus souvent ? -- Les Lettres à un jeune poète de Rilke. Elle m'a envoyé son enregistrement des Lettres "  Ils ne se sont jamais vus, mais l'intuitive a su le décrire  :  grand, mince, cheveux clairs. Elle l'appelle " singe exquis " ou " p'tit blue "  ( la galerie bordelaise de Christophe, fermée depuis, avait pour nom Le Singe Bleu )  Parle de tout et de rien avec lui, sauf de la chanteuse Barbara, même s'ils chantent ensemble des couplets de caf'conc. " Nous avions des amis communs, je ne lui en ai jamais parlé, pas plus qu'elle ne parlait de sa vie de dame brune. C'était un échange hors tout, et hors tout le monde. Une étonnante intimité, elle s'y sentait à l'abri, je crois.  " Ces deux là connaissent leur douleur, et reconnaissent celle de l'autre au bout du fil ou du fax. Ce lien silencieux garde leurs secrets. " J'aimais la chanteuse, à la fois femme, homme, animal fabuleux, qui suscitait toutes sortes d'amours de toutes sortes de gens ; sur scène, elle me subjuguait... Mais bavarder avec elle, c'était différent. "  Elle lui parle des prisons parfois, ou d'autres luttes  :  " Que faites-vous quand vous allez très mal ? "  Quand elle apprend que Christophe a été victime d'une agression, elle l'appelle tous les jours, lui dessine des fleurs sur son fax.  Elle s'adresse parfois à son chien  :  " Chez Pompon, tu diras à ton maître... " C'est à Pompon que s'adresse un dernier message. " Pas question de commencer l'hiver en allant mal, au lieu de courir et de sauter partout... " L'année précédente, elle avait glissé au " p'tit blue "  " Sa " vieille " chanteuse, enfin pas trop, travaille à lui écrire une " tite " chanson " ... Ce sera Faxe-moi " J'entends / Je reçois / Votre humeur de l'instant / Qui passe / Dans vos mots / Écrits là...(...) C'est mieux / De ne pas / Se connaître / Cela changerait tout / Peut-être " ... (... ) Surtout / Ne perdons pas / Le charme étrange / De nos échanges ... "  Le charme n'est pas rompu. "  Elle n'a pas disparu. Je l'écoute toujours. Ce n'est pas une absence, mais une présence interrompue. Nos fax sont en sommeil, c'est tout "

Jeudi 4 septembre 2008 à 8:55

 


Chacun a son histoire avec Barbara. Histoire d'amour parfois, échos de " la plus belle histoire " ; histoires d'amour toujours pour l'empathie, la passion, l'indicible, la joie pourtant... La joie oui. Joie de vivre qu'elle chantait aussi. Joie de ces concerts entre frissons et ivresse, joie qu'on sentait vibrer en elle ces soirs-là, de nous voir là, emportés sur les ailes de sa voix,, défiant le mal de vivre et tout le temps perdu. Pour un moment, un moment rien de plus, Dostoïevski avait raison et la beauté sauvait le monde. Chacun a une histoire avec Barbara, un moment, un mot. Monique, pendant un de ces éternels étés étudiants des années 1970, a suivi sa tournée jour après jour, dormi dans les près soir après soir, tête posée sur ses tennis, nez dans les étoiles et sourire aux lèvres. Lors du dernier Châtelet de la chanteuse, Sandie a pris et repris des places, pris et repris rendez-vous avec " cet extraordinaire don d'amour, l'inverse du narcissisme : l'abandon d'elle-même " Jocelyne et Stéphanie ont ancré leur histoire d'amour aux chansons de l'amoureuse. Olivier, un taiseux, a ce mot : " Elle chante ce nulle part qui est partout, en chacun de nous " Jacques a des souvenirs magnifiques, Jacques Higelin, frère d'âme de la dame, mais il préfère faire silence. Qu'il nous pardonne de lui voler cette conversation nocturne où elle lui dit ce qu'ils pensent tous deux : " Tu te rends compte, le cadeau qu'ils nous font... Ils sont là, ils nous soutiennent, ils nous attendent, ils reviennent... Et ils disent merci ! "  On l'entend dire cela, on entend vibrer sa voix. Barbara et son public... Comment parler d'elle sans parler de lui ? Lui parle d'elle. Elle, elle lui parle. Aujourd'hui comme il y a dix ans, vingt, trente... Ses mots caressent ou crient, sa voix s'envole ou se brise, et le frisson est là, et la joie dans la tristesse, et le silence de l'écoute répondant au silence de la note suspendue, intenses. Si présente l'absence : un amour ininterrompu.


Anne-Marie Paquotte
  
( Journaliste )

Mercredi 13 août 2008 à 8:27

 

Adolescent, j'écoutais son album à la rose, Barbara chante Barbara. Ma musique, c'était pourtant le rock, mais la musique de son écriture... Cette mystique de l'attende... On attend tout le temps, dans ses chansons. Étudiant, je suis allé la voir à Pantin. C'était la première fois, c'était 1981, année euphorique, et Barbara... diva. Rockeuse. J'ai pris une claque. Après, quand j'ai commencé à travailler dans le disque et que je suis arrivé chez Philips, on a douché mes rêves de fan : " Elle ne fait plus rien "  En 1995, je suis devenu président du groupe Polygram. Elle m'a appelé, elle parlait très vite, avec une voix de petite fille, une voix d'ange. " Je vais faire un nouvel album, venez me voir. "  Me voilà parti pour Précy. Perdu dans la campagne, j'arrive en retard. Sur sa porte, un mot : " Monsieur le président, vous êtes à l'heure, un album. Un quart d'heure de retard : neuf titres. Une demi heure : six. Trois quarts d'heure : trois " ... Je rencontre enfin cette femme, grande, tout habillée de blanc, drôle, folle, frappadingue. Je lui dis que j'aimerais entendre quelques nouveaux titres, elle se met à son piano électrique tout pourri et me fait un vrai show, le bras en l'air, formidable. J'ai eu le malheur de lui donner mon numéro à la maison. Or, c'est quelqu'un qui se lève tôt, Barbara.  " Allô ? J'ai vu la dernière photo de Johnny, ses cheveux c'est pas possible, vous le lui direz de ma part, je vous embrasse. "  La relation avec elle avait quelque chose de tendre. D'unique. Cette maîtresse femme était restée enfant. Au studio, c'était une pile électrique. Quand elle est tombée malade, elle m'a téléphoné de l'hôpital : " Ils ne peuvent pas me laisser mourir, ça leur ferait de la mauvaise publicité, je vous embrasse. "  Dans son lit, elle écoutait les mixages, tyrannisait l'ingénieur du son. Après son retour au studio, le dernier jour, Jean-Yves Billet m'appelle : " Elle est en train de tout rechanter ! "  J'arrive et je la vois au piano, en sueur, refaisant toutes ses voix. C'était le jour de l'éclipse lunaire... L'album est sorti, grand succès. Dès notre première conversation, Barbara m'avait prévenu : " Je ne ferai pas de promo.  -  Pas même un petit reportage, pour votre premier disque depuis quinze ans ?  -  Ah oui, en effet, un album tous les quinze ans ! "  Elle a ri. " Quand même, une télé ?  -  Non. PPDA qui annonce la mort de trois cents enfants, et moi qui chante, non  -  Pas un 20 heures alors, une émission ?  -  Je ne veux pas qu'on me voie à la télé. Ou alors, de dos, dans le noir.  -  C'est de la radio, ça, Barbara... "  Elle a fait de la radio. Après, on s'appelait régulièrement, je passais à Précy ; je lui ai proposé l'idée d'une compilation. Elle a choisi les titres, la photo de la pochette. Elle m'a lu quelque pages de ses mémoires. C'était l'été. Mi-novembre, elle m'appelle, contente de la compil.  " Je vais venir vous voir dans vos nouveaux bureaux, dire bonjour à l'équipe, on va se faire la fête ! "  Rendez-vous est pris le jeudi, à 11 heures.  -  Le jeudi, à 11 heures j'étais à son enterrement. -  Barbara, tu en parles avec émotion, mais avec le sourire. Quand tu as aimé une artiste à 15 ans et que tu as la chance de bosser avec elle, c'est cadeau. Une icône gay ? C'en est une, en effet, comme Zazie, chez qui j'ai retrouvé cet optimisme au quotidien, et ce pessimisme fondamental. Barbara et elle sont des garçons manqués, certains de leurs textes sont des textes de mecs. L'indépendance, l'attente, l'absence, la mélancolie métaphysique, le joyeux et le sombre... Tu ris pour oublier le reste. Ça, ça touche. Les paillettes, le mal de vivre, la joie de vivre...

Pascal Nègre
   ( Producteur )

Lundi 11 août 2008 à 8:24

 

" Fais-moi le crissement des bas de soie "

Elle m'a dit, dès la première rencontre  : " A une époque que vous n'avez pas connue, les femmes portaient des bas de soie. J'entends le crissement de ces bas quand les femmes les mettaient. C'est ce son que je veux "  Elle m'a annoncé qu'il y aurait trois mois de répétitions. Dans ce cas, ai-je répondu, je viens habiter à Précy. La maison en face de chez elle était justement à louer, je m'y suis installé et, entre deux répétitions, me suis remis à peindre, ce que je n'avais pas fait depuis longtemps. Si elle disait que je créais ma musique en peintre, c'est sans doute qu'elle transposait dans la musique une sensation impressionniste, la vibration de la lumière chez les impressionnistes. Accompagner Barbara signifie comprendre sa respiration, accompagner le souffle comme le souffle même de la vie. Ce n'est ni une illustration, ni une rythmique, en aucune manière. C'est une école exceptionnelle, que tous les musiciens devraient connaître : avec elle, j'ai appris que la musique prend corps, au sens propre du terme ; et c'est ce corps qu'on accompagne, pas la musique. Accompagner Barbara, c'est un contre-chant. Comme quand on écoute quelqu'un parler, et qu'on entend entre les mots tout ce qu'il ne dit pas. Le chant de l'instrument est fait de ce silence.

Dominique Mahut   ( Percussionniste )

Mercredi 6 août 2008 à 8:54


" Femme d'amour qui a su distiller l'amour avec un art qui était unique, par vagues d'amour, par vagues de silence... et on attendait ses mots d'amour, elle laissait des longs messages sur le répondeur et elle disparaissait. "

Catherine Lara  ( Chanteuse compositrice violoniste)

" C'est... une partie de moi qu'on vient de m'arracher, j'ai commencé à apprendre les chansons de Barbara, j'avais dix ans, j'étais un petit garçon et j'ai découvert d'un seul coup la poésie, j'ai découvert un amour monstrueux, énorme, qu'elle distillait et j'ai appris qu'on pouvait défendre des idées avec des mots d'amour, et comme j'apprenais à danser en même temps, je me suis dit : " C'est ça qu'il faut que je fasse dans ma danse. " et donc, depuis que j'ai dix ans, je connais quasiment tout le répertoire de Barbara par coeur, et ça l'étonnait beaucoup, parce qu'effectivement, j'ai été dans plein de concerts qu'elle a faits, elle fait partie de ma vie, totalement, je l'ai adoptée, elle m'a adopté, on a dansé ensemble, j'ai participé à des galas au Métropolitan de New York avec elle, et elle fait partie de mon adolescence, c'est ma vie, Barbara "

Patrick Dupond   ( Danseur )

" Moi qui suis un homme du silence, je ne peux qu'être touché profondément par la qualité de sa voix, par son émotion, par son lyrisme, c'est une véritable perte pour la chanson française et pour la chanson mondiale, vous savez, Barbara nous quitte... mais elle restera la grande diseuse, la grande chanteuse dramaturge, la comédienne qui nous a touchés. "

Le mime Marceau  ( Et pour elle, il a mimé de ses mains l'envolée d'un oiseau.)


Tous ces hommages sont exactement à l'image de cette femme qui chantait son âme, qui dansait sa vie, qui mimait ses silences. Le jour de son enterrement  d'un  " même et multiple pays "  ils sont tous venus porter son cercueil de verre vers l'univers de l'envers du décor où se déversent des accords sur des vers qui la bercent. Mais Barbara n'est pas morte, puisqu'elle continue de vivre dans la mémoire des milliers d'âmes qu'elle a envoûtées.

Valérie Lehoux ( Journaliste )

Mardi 5 août 2008 à 8:58

 

Barbara a mis des années avant d'écrire. En fait, ce n'est vraiment qu'après la mort de son père ( deux ans plus tard, précisément ) que l'écriture s'impose à elle. Elle semble alors possédée par les mots qui s'agitent au bout de sa plume.  " Ils me font peur et me fascinent à la fois. Je ne comprends pas d'où ils viennent. "  En moins de dix ans, Barbara écrit plus de la moitié de ses chansons, et à coup sûr les plus marquantes. Dix ans pour expulser l'essentiel, des années ensuite pour raconter. Qu'écrit-elle ? Ce qu'elle a vécu, ou du moins ce qu'elle a ressenti. " Je n'ai aucune imagination ", répète-t-elle à l'envi ; en matière de chanson, on peut lui faire confiance. Sophie Makhno l'a vue à l'oeuvre : " Barbara a toujours écrit d'une façon extraordinaire ( quelquefois avec beaucoup de difficultés à terminer ce qu'elle avait commencé ) mais sous le coup d'une émotion. Ça n'a jamais été des abstractions. Barbara, c'est le contraire de Brassens. "  Le contraire aussi d'un Aznavour, capable d'écrire quasiment à la demande sur tout et n'importe quoi. Autant dire que, si Barbara a signé relativement peu de chansons ( à peine plus d'une centaine ) elles ont toutes un sens et un poids très particuliers. C'est somme toute logique. Elle qui, devant les journalistes, gardait toujours fermée la porte de son intimité l'a largement ouverte dans ses textes. Pudique impudique. A la fin des années 60, par exemple, elle écrit Mon enfance, juste après son passage éclair à Saint-Marcellin où elle a retrouvé, bouleversée, la maison des Cattot, le restaurant des Serve et les souvenirs qui vont avec.
J'ai eu tort, je suis revenue
dans cette ville loin perdue
ou j'avais passe mon enfance.
Mon enfance est une chanson en demi-teinte qui balance entre la nostalgie et la peine, la retenue et la confession. A ce titre, c'est une chanson exemplaire du reste de l'oeuvre. Pour la première et unique fois, Barbara y glisse les prénoms de ses frères et soeurs, " Jean, Claude, Régine. " Elle évoque tendrement sa mère, qu'elle vouvoie dans le texte comme dans la vie : " Je suis venue ici pour y retrouver votre rire, vos colères et votre jeunesse. " Parle sans haine et même avec une pointe de regret de ses années de guerre : " Nous vivions comme hors la loi, et j'aimais cela quand j'y pense. " Elle ne dit pas un mot du père, mais elle dit sa propre souffrance : " Je suis seule avec ma détresse. " Comme il est fort ce mot  " détresse."  " Pourquoi suis-je venue ici/ Où mon passé me crucifie " chante Barbara sans donner de réponse. Car Mon enfance suggère sans expliquer. Et si le public entend la blessure du passé, il ne la comprend pas complètement. " (...) parmi tous les souvenirs/ Ceux de l'enfance sont les pires... "  D'autant qu'elle est difficile à suivre, Barbara ! Ici elle est plutôt nostalgique, mais, dans trois minutes, elle pourra être tout l'inverse. Humeur changeante au fil des textes. Tour à tour elle apparaît sombre ou lumineuse, ardente ou désespérée, romantique ou volage... " Insaisissable " dirait l'impatient. Pas tant que cela ! Car celui qui tend vraiment l'oreille finit toujours par s'y retrouver. Et par la débusquer. Triste ou gaie, Barbara chante finalement presque toujours les mêmes choses : son passé, ses morts, ses protégés, ses amours ( a partir des années 60, les thèmes des chansons s'élargiront. Barbara commencera à chanter le monde qui l'entoure et ses injustices. Durant les vingt dernières années de sa vie, cela deviendra même un thème majeur ) " Elle sortait le vécu pour mieux l'exorciser " dit Sophie Makhno. Les clés seraient donc là, dans l'oeuvre et dans ses lignes de force, ce vécu qu'elle mettait en mot pour le dépasser...

Valérie Lehoux
   ( Journaliste )

Lundi 4 août 2008 à 8:43

 

La voix des autres
Cora Vaucaire, William Sheller, Les Innocents, Régine, Catherine Ribeiro, Mouloudji, Jean-Louis Aubert... Tous ceux-là, et bien d'autres, ont chanté Barbara.

Pas facile de reprendre Barbara. Certes, ses thèmes sont universels. Mais ils sont aussi extrêmement personnels : le père de " Nantes " c'est le sien ; l'amie disparue de la " Petite cantate " c'est la sienne... Chaque fois elle a posé sur le texte et le chant tout le poids d'un vécu. Et cependant... on reprend Barbara ! Depuis longtemps. C'est même grâce à l'interprétation de Cora Vaucaire que les spectateurs de l'Écluse ont découvert ses premiers pas d'auteur-compositeur. " A l'époque, elle n'osait pas encore chanter ses propres chansons. Je lui ai dit : si c'est comme ça, moi je vais le faire ! Et j'ai crée cette merveille qu'est " Dis, quand reviendras-tu ? "  raconte Cora Vaucaire. Depuis, la dame blanche de Saint-Germain ne manque jamais de glisser un titre de Barbara dans son tour de chant. D'autres artistes lui ont emboîté le pas, sur scène ou bien sur disque. Des chanteuses, surtout, tant l'écriture de Barbara est éminemment féminine. Des interprètes qui ont osé des styles diamétralement opposés... et plus ou moins heureux. On pourrait tenter l'exhaustivité et citer une bonne quarantaine de noms. On préférera retenir ici les interprétations, dépouillées et puissantes, de Catherine Ribeiro  " Perlimpinpin, L'Aigle noir " ; celle, plus enjouée, de Régine ( à qui Barbara avait offert sa " Gueule de nuit " ) les voix claires de Michèle Arnaud  " J'entends sonner les clairons " de Nicole Croisille  " Dis, quand reviendras-tu ? " ou d'Isabelle Aubret ( dans une périlleuse reprise de " Ma plus belle histoire d'amour " )  Tout récemment, c'est encore Marie-Paule Belle qui a fait sienne la douleur de " Nantes "  Les chansons ignorent joliment les frontières. Barbara, comme tous les grands, aura été chantée par des interprètes français, mais pas seulement. Les Québécoises Pauline Julien, Ginette Ravel, Éva, et Marie Carmen l'ont reprise. Idem pour la Brésilienne Maria D'Apparecida, l'Africaine Bibie, la Belge Pascale Vyvère, la Vénézuélienne Soledad Bravo ou les Espagnoles Guillermina Motta et Maria del Mar Bonet, qui l'ont même adaptée en catalan. Et les hommes dans tout ça ? Certains s'y sont essayés. Mouloudji, l'un des premiers, au milieu des années 60. Jean-Claude Pascal, un peu plus tard, qui reprend  " Göttingen "  et  "  Quel joli temps " ;  Jean-Jacques Debout, dans les années 70, qui chante  " C'est trop tard " ;  Gérard Berliner, en 86, avec  " La déraison " ( devenue  " A te regarder vivre "  )  Gérard Depardieu, bien sûr, la même année, qui entonne son  " David Song "  dans Lily Passion au côté de Barbara. Et même Julien Clerc, le temps d'une éphémère émission de télévision, au printemps 74. Mais c'est sans doute William Sheller qui pose sur l'édifice sa plus jolie pierre :  " Vienne " est une chanson superbe. J'ai toujours eu envie de la reprendre " Chose faite en 1992, au profit de la lutte contre le sida. Beaucoup plus étonnant est le cas de Valentin. Un jeune homme qui, sur scène, se mue en longue dame brune. Même costume, même maquillage, même voix, mêmes lunettes, mêmes mimiques. Un tour de chant 100% Barbara : un incroyable numéro de mimétisme, une stupéfiante performance d'acteur.  " C'est un rôle privilégié. Mais je ne veux pas m'approprier son univers. J'essaye juste de restituer un peu de ce que j'ai reçu. "  Dernière touche au tableau, le monde du rock et de la pop qui s'est lui aussi emparé du répertoire de Barbara. De façon plus timide, certes, mais sans complexe, et c'est bien. Les Innocents ont très judicieusement interprété ce petit joyau d'humour grinçant qu'est  " Joyeux Noël "... Le duo Lily Margot, en spectacle, s'offre souvent une ou deux reprises. Et Jean-Louis Aubert, lui, pousse l'aventure jusqu'à réécrire Barbara.  " Vivant poème "  et surtout  " Le jour se lève encore "  ( dont il a réinventé la musique )  sont deux des meilleurs plages de son dernier album. L'intéressé lui-même ne s'attendait pas à ce que les deux univers cohabitent si bien. Mais si le rock est synonyme de liberté et d'insoumission, il n'est pas une question d'âge. Et Barbara, c'est certain, avait ses côtés rock.

Valérie Lehoux
  ( Journaliste )

Jeudi 31 juillet 2008 à 9:09

 


L'érotisme dans l'oeuvre de Barbara
L'érotisme représente une évocation amoureuse très présente dans l'oeuvre de Barbara. Ses jeux érotique alternent, selon son choix, un désir de soumission et une volonté de domination : "  (...) j'ai besoin d'être dominée. Je crois comme beaucoup d'entre nous. Moi, j'ai besoin d'avoir constamment au poignet un bracelet d'argent cerclé, d'esclave " dit-elle.  " Je serai obéissante/ Quand tes mains caresseront/ Mon cou, mes hanches, ma taille " ( Je serai douce ) Dotée d'une immense sensualité à fleur de mots, Barbara parvient à dénuder des corps avec le verbe. La montée du désir est le plus souvent exprimée par la sensualité d'une main caressant de longs cheveux d'homme, toison érotique où se mêlent d'excitant parfums : " Il a des cheveux de nuit/ Longs et brillant de satin/ Que j'aime y glisser mes mains/ Il a des cheveux d'Indien " ( L'Indien ) " Dans la forêt de tes cheveux/ Aux senteurs de poivres mêlés " ( Il automne ) Quand à l'acte érotique, il est décrit sous fond d'inspiration maritime mallarméenne : le lit est un voilier qui tangue au rythme de l'étreinte, et Barbara s'offre à l'amour dans le tourbillon orgasmique des " hautes mers " Peut-être celles d'Abidjan où elle vécut l'amour-passion de sa vie : " Tu ne te souviendras pas/ De nos corps couchés sur le sol/ Les corps s'enfoncent comme les pas/ Dans le sable où le vent les vole " ( Tu ne te souviendras pas )  " Tu es la vague où je me noie/ Et je m'enroule au creux de toi " ( A peine ) " Ma fatigue est un oiseau blanc/ Qui survole tes océans " ( L'amour magicien ) Et Barbara n'hésite pas à suggérer, avec élégance, des scènes directement sexuelles, fardées sous un maquillage poétique : " Comme un torrent/ Au fond des mers/ Dans l'écume éclatée " ( Clair de nuit ) La jouissance amoureuse peut être aussi fantasmée, inspirée par l'émotion d'un vol nocturne en avion vers le septième ciel ; la volupté éternelle, volée au temps, vibre encore entre l'ombre et la lumière, entre les " soleils de pluie " et les " montagnes enneigées "  : " Vol de nuit/ Vol d'amour/ En vol/ Plaisir fou/ De passion/ On vole/ (...) On a vécu/ Toute une vie/ (...) En une nuit/ Sur vol de nuit " ( Vol de nuit ) On peut noter également que l'acte d'amour est, le plus souvent, vibrant des frissons procurés par la glace et le feu ; la température du plaisir, indéfinissable, oscille, sans cesse du chaud au froid, issue d'un " ailleurs " Volé au temps et à l'espace : celui de la " déraison "  :  " J'ai trouvé ce matin au creux de moi/ Comme un cristal ce bout de froid/ Et je l'ai posé sur ton épaule/ (...) Je l'ai vu se fondre tout pareil/ Comme du givre à ton soleil " ( La déraison ) " Il me brûle et à la fois/ Me tiens à l'ombre de lui " ( L'Indien ) " Là-haut dans ma chambre/ Si chaude en décembre/ Quand tu me fais douce " ( La saisonneraie ) Quand à la fin de l'étreinte amoureuse, elle est évoquée comme la fin d'un orage sur l'océan, comme une marée redevient basse pour épouser le calme du silence précédant le sommeil ; alors, les tourbillons musicaux font place à des accords de piano plaqués lentement, ponctuant la berceuse des mers que la sirène murmure après l'amour : " Mais quand je suis à marée basse/ Au grand soleil de la Saint-Jean/ Et que mes grandes eaux se lassent/ Et que se sont couchés mes vents " ( Les hautes mers )  " A ton silence/ Au calme retrouvé/ Ah, on s'endort/ Le sommeil est un pays/ Où l'on se retrouve encore/ Dans l'océan de la nuit " ( Clair de nuit ) A l'issue de la volupté amoureuse, logée dans un " ailleurs " Impénétrable, le monde des vivants reprend son acuité : " Le temps passe vite à s'aimer/ A peine l'avons-nous vu passer/ Que déjà la nuit s'est glisser/ Légère, si légère/ Ta bouche à mon cou tu me mords/ Il fait nuit noir au dehors/ Ta bouche à mon cou je m'endors/ Dans le sommeil je t'aime encore " ( A peine )

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