Mercredi 30 juillet 2008 à 9:45


Dessin fait sur un mur pas loin du théâtre Mogador par un admirateur.


" Vous avez fait de Mogador, comme de beaucoup d'autres lieux, une fête extraordinaire. Vous étiez le soir comme des oiseaux fantastiques dans cette rue Saint-Lazare. De vous voir courir derrière la voiture, cela m'angoisse, c'est vrai, beaucoup. Cela me touche tellement. Cela me bouleverse, "
  leur confie-t-elle aussi ce soir-là. A la sortie des coulisses, au bout de ce long porche mal éclairé, un admirateur a écrit sur le mur  " Ce soir, je vous remercie de vous " à côté d'un dessin du visage de Barbara. Ils sont quelques-uns à s'être mis à l'écart, sous le porche. Ils attendent que la voiture passe pour s'en aller. Profiter encore une dernière fois de sa présence. Comme une allégorie, les phares de la voiture projettent de longues silhouettes sur la chaussée. Comme souvent, la voiture s'arrêtera. Barbara baissera sa vitre, tendra les mains. Ses mains. Leurs mains se rejoignent. Tournent. Se superposent. Ses mains comme on voudrait encore pouvoir les toucher, sentir leur douce caresse sur notre peau. Ces mains qui s'offraient ouvertes à la passion ont laissé leur parfum sur notre vie. Par une mystérieuse alchimie, comme les mains négatives imposées au fond des cavernes, leur empreinte a marqué, indélébile, les parois de notre mémoire. Ses mains qui virevoltaient dans la lumière ; jouaient avec les ombres ; fendaient le rideau pour l'ultime adieu du soir après les derniers rappels. Voyageuse de la nuit, elle rentre fatiguée mais heureuse se reposer à Précy, les bras chargés de roses et de mimosa. Pour quelques mois seulement. Une longue tournée qui s'étalera sur un an et demi commence le 16 juillet 1990 au Futuroscope de Poitiers. La tournée d'été se termine le 3 août au théâtre Gérard-Philipe de Ramatuelle. Le 18 juillet, elle assure la deuxième partie du spectacle de clôture des Francofolies à La Rochelle où, dans le cadre de l'opération  " 10 000 roses pour Barbara "  lancée par Jean-Louis Foulquier, chaque spectateur est invité à assister au spectacle une rose à la main. Barbara reprend la route à l'automne 1990. Elle se produit en Suisse, en Belgique et au Japon. La tournée s'achève le 20 décembre à Amiens. Sur la scène, un groupe de spectateurs a installé un sapin de Noël et le public lui chante  Joyeux Noël   A l'automne 1991, elle reprend le spectacle pour une tournée en France ; elle interprète  Ne reviens pas si tard  un poème de Robert Desnos qu'elle a mis en musique. ( cette chanson ainsi que  Ma concierge,  texte de Robert Desnos que Barbara a également mis en musique, sont restées inédites. En 2002, Mathieu Rosaz a enregistré  Ne reviens pas si tard  sur un album consacré à Barbara )

Lundi 28 juillet 2008 à 8:34

 


Et vivre passionnément,
Et ne se battre seulement
Qu'avec les feux de la tendresse
Et, riche de dépossession,
N'avoir que sa vérité,
Posséder toutes les richesses...

" Perlimpinpin, c'est l'enfance effectivement. En fait, Perlimpinpin, c'est vraiment qu'il vaut mieux ne rien avoir, être dépouillé de tout et avoir sa vérité. Et il faut donner. Perlimpinpin, tu connais le square des Batignolles, c'est un square tellement extraordinaire. Moi, je le trouve extraordinaire... Tu sais, quand on avait de petits roudoudous, des trucs... tu vois ce que je veux dire, de la poudre de coco, comme ça. C'est ça Perlimpinpin, en fait, c'est faiseur de pluie. C'est la magie, la poudre de perlimpinpin."
S' exprime Barbara devant la caméra de François Reichenbach en 1978.

 " Il y a un combat quotidien, minuscule, qui consiste à voir que son voisin crève. Peut-être, je devrais défiler. Je vois des gens que j'admire et qui font des choses. Mon dernier défilé remonte à Charonne (
manifestation pacifique du 8 février 1962 organisée en réaction aux dix attentats de l'OAS du 7 février 1962 qui donne lieu à une forte répression et se traduit par la mort de 8 manifestants ) Pourtant, je suis une femme en colère. C'est très important de rester en colère, il ne s'agit pas de colères, de caprices, mais de dire " non " confie Barbara en 1981 à Michelle Manceau. Il est vrai que Barbara n'a jamais ouvertement fait état de ses combats. Elle agissait souvent de façon souterraine, évitant de se retrouver sous le feu des projecteurs, pour ce qui lui paraissait une bien modeste contrepartie de ce qu'elle avait reçu. Elle était très attentive à son public dont une partie vivait parfois de grandes souffrances. Par ses chansons mais surtout par sa présence et son écoute, elle était pour certains d'entre eux le seul repère. Son action a souvent été tournée vers l'enfance malheureuse. Le 12 décembre 1966 au Cirque d'Hiver et du 14 au 18 décembre, dans le halle de Bobino décoré par Luc Simon, elle organise une collecte de jouets au profit de l'arbre de Noël des enfants nécessiteux de l'oeuvre " Le Bol d'air des enfants de Paris " soutenue par Mick Micheyl. Le 19 décembre, au parc des expositions de la porte de Versailles, après la présentation d'un spectacle de cirque, Barbara participait à la distribution aux enfants des " 10 000 jouets " récolté

Vendredi 25 juillet 2008 à 8:05


Dessin Luc Simon  -  1963


La rupture voulue avec Hubert est malgré tout un choc pour Barbara qui compose  "Attendez que ma joie revienne  et  Paris 15 août "  après lui avoir écrit  "Dis quand reviendras-tu ? "  A l'aube d'une histoire d'amour avec Luc Simon, pour qui elle écrit  "Je ne sais pas dire je t'aime "  

"C'était en 1962 à Abidjan en côte d'Ivoire :  il me fut demandé de joindre  "La chanteuse Barbara"  dès mon retour à Paris. Je travaillais là-bas : je tentais pour la troisième fois d'atteindre ce que j'appelais depuis toujours "Les-terres-de-la-Reine"  celles de Balkis la reine de Saba, donc en 1962, je n'avais pas atteint les terres de la Reine mais au retour, à Paris, je découvrais une autre Reine : Barbara. Chaque soir, ou presque, nous étions vingt, trente ou dix au cabaret L'Écluse à l'écouter chanter sa tendresse ou son humour ou sa violence, moi je n'arrêtais pas de dessiner ce profil de tendresse, d'humour, de violence. Ce fut le début d'une belle et grave histoire"  se souvient Luc Simon.

A propos de  "Je ne sais pas dire",  elle lui envoie, sous forme de lettre, le texte de la chanson en lui disant : "Rien n'est plus bête qu'une chanson déshabillée de sa musique, et j'ai un peu honte de ces paroles que je trouve  "simplette"  pourtant cette chanson-là je l'ai faite pour vous vraiment. Chaque mot, chaque note, vous est destiné (La musique est sur le magnéto)"

Jeudi 24 juillet 2008 à 8:10

 

" Il avait les yeux couleur rubis, et des plumes couleur de la nuit. A son front, brillant de mille feux; l'oiseau roi couronné, portait un diamant bleu "  Barbara possédait dans sa bibliothèque plusieurs ouvrages concernant l'Égypte ancienne. " L'oiseau roi couronné " est en effet un des noms d'Horus, premier roi divin d'Égypte dont le nom signifie   " celui qui est au dessus, celui qui est loin "  et souvent représenté avec une tête de faucon. Barbara ne révèle pas l'identité de celui qui se cache derrière cet oiseau mystérieux et qu'elle reconnaît pourtant  " C'est alors que je l'ai reconnu, surgissant du passé, il m'était revenu "  Le mystère restera entier, laissant à chacun sa part de rêve, ses propres images, la faculté de donner un visage à  " ce faiseur de pluie "  ( avec la sortie de son livre  " il était un piano noir... "  nous comprendrons qu'elle parle de son père et de l'enfance volée... )  qui à la fin de la chanson semble capable de redonner à l'enfance perdue son émerveillement d'autrefois. Le texte initial comportait un paragraphe qui modifie sensiblement le climat de la chanson en exprimant la solitude provoquée par le départ de l'oiseau. C'est sans doute pour préserver la dimension onirique de la chanson que Barbara n'a finalement pas enregistré ce passage  :  " Quatre plumes couleur de nuit, une larme ou peut-être un rubis, j'avais froid il ne me restait rien, l'oiseau m'avait laissé seule avec mon chagrin. "  Pourtant au tout début des années soixante-dix, elle chantait sur scène pour l'avant dernière strophe  :  " Au matin, je me suis réveillée. L'oiseau m'avait laissée seule avec mon chagrin. " 

Didier Millot
  ( Auteur )

Mercredi 23 juillet 2008 à 8:22


Affiche Bobino 1966-67

 En 1965, Barbara tenait l'affiche pour la première fois en vedette à Bobino assise à son piano, vêtue d'une tunique de velours noir et d'une jupe longue en crêpe, fascinant la salle autant par sa voix que par sa présence. La première du spectacle avait eu lieu le 15 septembre 1965  :  " Cette soirée qui avait été l'une de mes plus belles nuits d'amour "   Ce fut un soir en septembre...  " Quand j'écris  Ma plus belle histoire d'amour  vous ne le savez pas encore, déclare-t-elle sur la scène de Mogador le 13 mars 1990, mais moi qui vous attends depuis 17 ans, je sais que ma plus belle histoire d'amour, à moi, c'est sûr, c'est vous. Après on m'a dit  :  mais c'était pour un homme ? Non, ce n'était pas pour un homme. J'ai écrit des chansons d'amour pour des hommes mais une comme ça, non, je n'ai jamais écrit avec cette fidélité-là, parce que je ne pourrai pas dire d'un homme ce que je dis de vous. y'a pas d'homme qui soit, Ma plus belle histoire d'amour c'est vous. C'est tout  "  Barbara se constitue à Bobino un nouveau public. Les gens qui avaient écouté ses disques étaient venus la voir sur scène, souvent pour la première fois. A la question  " A quoi voulez-vous réussir? "  qui lui est posée en 1964, quelque temps après la sortie de son premier album chez Philips, Barbara répondait  :  "  A chanter toujours, pour le public, pour provoquer chez lui une émotion ou une joie, ce qui est ambitieux et simple à la fois. Je ne pars pas en guerre pour sauver la bonne chanson, c'est absurde, le temps des croisades est révolu, je n'ai ni une âme de missionnaires, ni l'importance nécessaire pour assumer une telle tâche, non j'aime seulement chanter, c'est mon moyen d'expression  :  voilà la seule vérité un peu égoïste  "  Mission accomplie, quand on sait que Barbara a attiré tout au long de sa carrière un public très jeune et très éclectique, qui lui est resté fidèle, et s'est élargi d'année en année jusqu'à représenter au moins trois générations de spectateurs. Un public d'amoureux qui vient avant tout pour elle, comme à un rendez-vous d'amour. Avec leur histoire, plus ou moins douloureuse, leur passé, leur projets. Barbara est quelqu'un que l'on revoit fidèlement, comme une amie au retour de chacun de ses voyages.


Extrait du livre
 
 

Lundi 21 juillet 2008 à 8:22

 

Elle avait inventé un mot. Un verbe. Pour dire toute l'attention portée au monde.  " Vigilons ! "  répétait-elle sans cesse. Il faut vigiler et agir.  " Restez en colère, sinon on est foutu "  Savoir s'indigner, ne jamais se résigner, ni accepter les blessures du monde comme une fatalité. Barbara se sera battue, tout au long de sa vie, avec ses mots d'amour et ses gestes empreints de discrétion. La militante des causes justes. Celle qui avait tant donné, par exemple, pour la lutte contre le sida...  Cette peste de l'amour qui l'avait bouleversée. Discrète, comme toujours, c'est à peine si l'on devinait que l'entourage avait été frappé. Étonnante, comme toujours, elle avait crée son  " Sid'amour à mort "  dans un Châtelet complet et l'avait jeté, tel une gifle, à un public médusé. C'était en 87.  " Elle m'avait contactée quelques temps auparavant  -- rappelle Line Renaud --  pour me dire qu'elle voulait, elle aussi, mener ce combat. "  A l'époque, ils n'étaient pas si nombreux à oser parler du sida avec tant de douceur et de rage à la fois. Elle aurait pu se contenter de chanter, Barbara,  faire son métier d'artiste, dénoncer ce qui la révoltait, distiller ses doses d'amour. Mais c'était mal la connaître.  " Je n'ai jamais pensé que la chanson allait changer le monde. Pour ça il faut descendre dans la rue "  Alors elle a voulu bouger. Quitter le rouge des théâtres pour le blanc des hôpitaux, aller frapper aux portes, visiter les malades.  " Je demande toujours la permission avant d'entrer "  Elle avait même fait installer une ligne de téléphone entre l'hôpital et sa maison de Précy. Ce qu'elle leur disait ? Ce qu'ils lui disaient ? Motus. Et puis il y avait ce public, son public, qu'elle voulait protéger.  En 90, à Mogador puis en tournée dans toute la France, elle fait distribuer des préservatifs à la fin de ses concerts. Les petits paniers en osiers sont là, il n'y a qu'à se servir. Et tout le monde se sert. Quelques minutes plus tôt, sur scène, elle avait prévenu  :  " il n'y a pas trente-six solutions contre le sida...  Alors, mettez-les moi, ces préservatifs... Ou abstenez-vous, si vous préférez... Mais bon... "  Le message était délivré avec tant de tendresse et d'humour que personne n'y résistait. Barbara ne s'est jamais renfermée dans sa bulle à contempler ses états d'âme. Elle était tout ouverte sur le monde, sur ceux surtout qui n'y trouvent plus leur place. Les malades bien sûr, mais aussi les enfants délaissés ( elle participe à des collectes pour les orphelins ) ou les femmes emprisonnées qui l'avaient si profondément touchée. Pour elles, elle avait écrit ses  " Rêveuses de parloir "  Surtout, elle était allée chanter dans les prisons. A mille lieux du mythe de la femme intouchable dont on l'a si souvent parée. A Fresnes, il y a toujours ce piano noir, cadeau de Barbara...  Et puis, dans ces temps de misère rampante, elle avait voulu réchauffer les oubliés de la prospérité. Les femmes du tiers-monde, d'abord, en participant à un disque collectif, en 1986 ( La chanson de la vie ) Les sans abris, ensuite, en essayant de réveiller la solidarité. Un soir d'automne 1993, sur la scène du Châtelet, elle demande  :  " Faites-moi plaisir. Lorsque vous rentrerez chez vous, ouvrez votre armoire, prenez un pull et donnez-le au SDF de votre quartier " ...  C'est cet étendard-là qui flotte toujours au sommet de son île. Ses  " Soleil noir "  et " Perlimpinpin "  titres de colère et de combat, sont ses cris de révolte, spontanés et déchirants. " J'ai souvent honte de ce monde "  confessait Barbara. Alors elle chantait. Elle se disait  " impudique et impuissante "  mais parvenait à adoucir les bleus du corps et de l'âme. Comme avec  " Göttingen "  par exemple, son premier grand texte d'engagement. Titre écrit pour une ville allemande, ses roses et ses enfants blonds, vingt années seulement après la fin d'une guerre qui avait vu sa famille fuir et se disloquer. Titre lourd de sens, de passé meurtri et de promesses d'avenir. Mais là encore, pas de politique, rien que de la tendresse.  " Je ne fais pas de chanson engagée, je ne fais que des chansons d'amour. Göttingen est une chanson d'amour "
 
Valérie Lehoux  ( Journaliste )

Jeudi 10 juillet 2008 à 7:39

 

Barbara était en phase avec son public, habitée, transfigurée. Le spectacle tenait de l'ordalie. Elle ne chantait pas Nantes, les yeux fixes et embués, elle était réellement à Nantes. Ou à Göttingen. Ou à Marienbad. Ou dans le petit bois de Saint-Amand. Ou dans l'île aux mimosas. Ou à Drouot. Ou dans la voiture de Monsieur Victor. Chacune de ses paroles était incarnée. Ses larmes pleuraient d'obscures souffrances, ses rires étaient aussi francs que ceux d'une enfant. " La scène, m'avait-elle un jour confié, est sans doute le seul endroit sur terre où je n'ai jamais souffert, où je n'ai jamais eu l'idée de souffrir. Je ne peux pas t'expliquer. C'est un lieu magique " Elle m'assurait y avoir marché de long en large, sur quelques trente mètres, avec une cheville cassée, sans en souffrir. Elle me racontait aussi s'être coupé la main, un soir, en coulisse  :  " Quand je suis entrée sur scène, le sang s'est arrêté de couler, puis a recommencé quand j'en suis sortie. Tu comprends ça, toi ? "  Non, je ne comprenais pas. Mais j'y croyais. Tant de comédiens m'ont tenu les mêmes propos, décrit ce singulier état de transe, ce phénomène de dédoublement, expliqué cette version artistique du mystère de la rédemption.

Jérôme Garcin
   ( Journaliste )

Vendredi 4 juillet 2008 à 8:22

 

Göttingen, qui est une chanson de réconciliation entre deux peuples, la France et l'Allemagne que la guerre a séparés, n'est pas très bien perçue lors de ces premières interprétations en public :
Quand ils ne savent rien nous dire,
Ils restent là à nous sourire
Mais nous les comprenons quand même,
Les enfants blonds de Göttingen.


L'allusion aux enfants blonds allemands, un archétype de la race aryenne a de quoi faire tousser, de même que :
Et que personne ne s'offense,
Mais les contes de notre enfance,
" Il était une fois " commence
A Göttingen.
Pour un auditeur qui a passé sa jeunesse en subissant les horreurs de la guerre avec ce que tout cela comporte, l'Allemagne ne représente certainement pas un joli conte de l'enfance. La chanteuse, qui a visité dans la ville la maison des frères Grimm, fait juste un rapprochement de culture commune et rappelle aussi avec :
Ils savent mieux que nous, je pense,
L'histoire de nos rois de France,
Hermann, Peter, Helga et Hans,
A Göttingen.
que nos rois de France avaient bien des liens de parenté avec leur homologue d'Autriche ou de Prusse. Le malentendu dissipé, la chanson va s'avérer être un des titres majeurs du répertoire de Barbara, non seulement pour sa mélodie, mais aussi pour le message de paix et de réconciliation que contiennent les paroles.

Mardi 1er juillet 2008 à 8:32


Jacques Degor, Geneviève Brunet et Barbara au petit théâtre de Paris en 1960 dans  Le Jeu des dames


Une femme qui chante ne sait pas forcément jouer la comédie. Barbara pourtant était comédienne dans sa propre vie. Elle jouait aussi pour ne pas légitimer le reflet exact du profil de sa tragédie. Vivre est un effort de tous les instants si l'on décide de vivre et non de survivre. Ce qu'elle fit. Pleinement. Goulûment. Sa vie fut un théâtre. Elle y sera actrice parfois sans chanter, deux fois en jouant une femme qui chante. De passage et si jolie dans l'opérette Violettes impériales de Vincent Scotto en 1948. Puis en passagère déterminée au théâtre moderne dans l'opérette Le jeu des dames. Elle est travestie, figurante et choriste. Déjà, de fait, elle pose la question  " Qui est qui? "  Elle est à croquer en petit page, garçonne déployée en jeune femme épanouie Capricia. Ce nom lui va bien, mais elle doit redevenir la chanteuse de minuit tous les soirs à L'Écluse. Remo Forlani lui propose d'oublier les années 1960 en devenant Madame. Une histoire qui s'inspire parfois du destin de la femme qui chante. Madame régnait aux destinées du plus grand bordel d'Afrique. Souvenir d'elle et moi parlant de la musique africaine. Celui qu'elle a aimé vivait en partie en Afrique... Madame rêvait d'être putain pour la beauté du geste. Monique Serf a failli vendre son corps pour manger. Madame faisait des ses amants ses victimes. Barbara fait de ses hommes des tatoués de son amour vorace. Madame était folle et fantasque. Barbara s'amuse toujours à être une excentrique sauvée du bordel humain par ses démesures. Madame et Barbara n'ont eu de cesse de conseiller avec une certaine gouille affriolante  :  " Regardez le regard des hommes "  Madame et Barbara se sont connues et reconnues. Et tant pis si la critique jugea l'incursion théâtrale de Barbara malheureuse.

Vendredi 27 juin 2008 à 8:18


Porte de la maison de Précy


A l'automne 1993, elle m'avait lancé au téléphone : " Si vraiment c'est si bon que tu le dis, apprends-moi à faire du thé ! " J'étais passé chez Mariage frères, à l'angle de la rue des Grands-Augustins et de la rue de Savoie, avais choisi une théière chinoise et du Darjeeling. J'avais pris la nationale qui mène à Meaux et à Lagny, puis, au milieu des grands champs de blé, emprunté sans me presser la petite route de Fresnes-sur-Marne bordée de peupliers, qui conduit à Précy. La maison avait deux entrées. Le portail de bois en ogive donnait sur la rue de Verdun, la petite porte sur la grand-rue. Les volets verts étaient fermés jour et nuit sur l'extérieur mais les fenêtres toujours ouvertes, au milieu de la bourdonnante glycine, sur le jardin de curé, le petit cloître de verdure, où cinq chiens et chats se chamaillaient dans l'ombre portée d'un tilleul, d'un bouleau et d'un orme pleureur au tronc noueux. Mieux qu'une maison, c'était un royaume où elle s'enfermait des mois durant, une clôture d'où elle pouvait ne jamais sortir. Elle aimait y vivre seule. Seule, avec son piano noir auquel elle avait offert, au premier étage, la plus belle pièce, peinte en blanc. Quand elle accueillait ses musiciens, elle les emmenait au fond du jardin, dans une aile vaste baptisée " Grange aux loups " on y rangeait autrefois la paille et le foin, elle l'avait équipée d'un podium et transformée en salle de répétitions. L'Olympia aux champs. Bobino-sur-Marne. Barbara aura vécu vingt-cinq ans dans cette vieille ferme sans luxe qui sentait sa bohème, celle des années soixante-dix, avec ses amples châles jetés sur les canapés, ses coussins ambre disposés sur les divans, ses tables de bridge recouvertes de nappes brodées main, ses plateaux marocains argentés, ses abat-jour à franges, ses miroirs de guingois, ses marionnettes vite accrochées aux murs, ses vieilles affiches dont une d'Yvette Guilbert, ses effluves d'encens, de roses, de thym sauvage, et ses longs " soirs de mélancolie ". C'est à Précy qu'elle cultivait l'insouciance et la pivoine, qu'elle émiettait le pain pour les verdiers et les mésanges à tête noire, qu'elle protégeait aussi, comme un trésor, comme un secret, ses rêves inassouvis, ses morts aimés et, souvent, son mal de vivre. Prévenante, elle épinglait partout des apophtegmes grinçants : " Ne tournez pas la tête, le miracle est derrière ", des commandements hospitaliers : " Pas la peine de crier. Je ne vois rien mais j'entends clair. Merci. Quand je chante, je suis difficile à vivre. Pardon ! "
Cinq heures sonnaient au clocher du village. On s'installa dans la cuisine, où l'eau frémissait. J'initiai Barbara au rituel du thé, qu'elle jugea " pittoresque " et " trop compliqué " Mais elle voulut bien reconnaître, au breuvage rose orangé, de " la délicatesse " Elle en aima la légère brûlure.


Jérôme Garcin
   ( Journaliste )

<< Page précédente | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | Page suivante >>

Créer un podcast