Barbara était un personnage hors du commun. Elle arrivait chaque fois trois bonnes heures avant de chanter. Elle se maquillait, elle regardait ce qui se passait tout autour, elle discutait avec nous. Je la revois en coulisses, juste avant son récital. Les musiciens commençaient à jouer. Elle, elle avait la tête baissée, le corps cassé, puis elle se relevait en prenant une énorme respiration, elle se gonflait, les bras en arrière, et entrait en scène. C'est l'une des images qui m'a le plus frappée... Cette force de concentration. J'ai aussi des tas de souvenirs très joyeux. Pour la dernière de Bobino, par exemple, en 66, je lui ai fait un gag. Je suis allée dans sa loge pendant qu'elle chantait, j'ai enfilé son deuxième costume de scène, je me suis maquillée, et j'ai débarqué comme ça sur scène, au moment des rappels. Vu qu'on avait à peu près le même profil, on aurait dit une deuxième Barbara. Elle a eu un énorme éclat de rire en me glissant " Quelle imbécile ! " C'était une femme très drôle. Quand on était en tournée, elle me disait toujours " Monte dans ma voiture. Avec toi au moins, on rigole " ... Barbara n'était pas une star. Elle parlait d'égal à égal avec tout le monde. Elle avait autant de respect pour les premières parties que pour les grosses vedettes. Après le spectacle, elle aimait réunir son monde autour d'un repas. Il y avait un vrai esprit d'équipe, une grande complicité. On se serait fait coupé la tête pour elle. Et on riait beaucoup. C'était extraordinaire. Elle n'était ni une mante religieuse ni un cadavre ambulant ! Je suis désolée du visage que lui ont donné certains. La première fois qu'elle a chanté " Ma plus belle histoire d'amour " restera inoubliable. Ce jour-là, elle a quitté son piano et elle est venue s'asseoir sur le bord de la scène, les jambes dans le vide. Il y avait des larmes dans la salle et sur la scène. Il y avait de l'émotion comme jamais. Barbara a eu un public très large, car elle touche tout le monde. Elle plaît aux vieux, aux jeunes... Elle plaît aussi aux homosexuels car elle a toujours chanté la tolérance. Elle a fait des tas de choses pour les enfants, les vieux, les malades, sans rien dire. Chez elle, il n'y avait pas d'esbroufe. Il n'y aura pas deux Barbara. Même parmi les plus grands. Elle en avait tellement vu avant d'être reconnue que le succès ne lui est pas monté à la tête. Elle est restée très lucide sur ce métier. Barbara, on ne peut rien lui reprocher. C'était une femme intègre. Je suis très heureuse de l'avoir connue. On ne passe pas à côté de ce genre de personne sans être changé.
Micha Bayard ( Comédienne )