Début 1948 : audition au théâtre Mogador. On recherche des mannequins choristes pour l'opérette Violettes impériales, livret d'Albert Willemetz sur une musique de Vincent Scotto. Les deux principales vedettes en sont Marcel Merkès et Lina Wals. Cette dernière, je n'en entendrai plus jamais parler. Michel Merkès, chantera longtemps à Mogador avec son épouse, Paulette Merval. Je me rends à l'audition. Dans les coulisses, un brouhaha de jeunes femmes de vingt, vingt-cinq ans au plus. Les unes tricotent, les autres papotent en attendant leur tour. Aucune angoisse, il règne là une ambiance presque familiale. Henri Varna auditionne ce jour-là des choriste hommes et femmes, soit pour Mogador, soit pour le casino de Paris dont il est aussi le directeur. C'est la première fois que je chante sur une scène, dans un théâtre. " Artiste " aux cheveux longs, j'avais une robe bleue Nattier, une formation classique, et dix-huit ans. - Vous nous chantez ? J'annonce mon morceau en articulant bien fort : - La tombe obscure, musique de Ludwig van Beethoven, parole de... Aucune réaction. Quand même, Beethoven ! Le pianiste attaque les premiers accords. C'est à moi, je vais chanter - In questa tomba oscura. Lachiami reposar. Quando vivero ingrata... Je suis tout de suite interrompue. J'entends mal la voix qui me parle et qui monte de la salle. Je fais répéter en me penchant, les mains en visière. - Ça suffit. Vous pourriez marcher en relevant votre jupe ? - Mais, monsieur ! Je mets mes mains en visière. - Oui, oui, pour la voix ça va, mais on veut vous voir marcher, on veut voir vos jambes. Marchez, marchez ! J'avais travaillé un mois ce morceau en vue de mon audition ! J'ai marché en relevant ma robe bleue, puis je suis retournée rejoindre les autres candidates dans les coulisses, le " coeur en pointe " dans l'attente des résultats. Comme pour le bac, à cette différence près que le bac, je ne l'ai jamais passé, pas plus d'ailleurs que le certificat d'études ! Je suis la seule engagée sur trente-cinq et je commence dès la semaine suivante. Le régisseur tête-de-gargouille m'explique que je vais remplacer une choriste " un peu trop âgée " maintenant pour se trouver sur le devant de la scène. Je ne comprends pas très bien ce que cela veut dire, mais je signe mon premier contrat : treize mille francs par mois pour jouer tous les soirs, sauf le lundi, mais excepté le premier lundi du mois parce que c'est le jours des commerçants ! Les samedi et dimanche, il y a deux matinées et une soirée, mais les matinées ne sont pas payées. Ah bon ! Je trouve que c'est révoltant, mais je ne discute pas et signe. Gargouille me donne une place pour venir voir le spectacle le soir même afin de bien retenir ce que j'aurai à faire. Huit jours plus tard, je débute. Que c'est difficile de se déshabiller pour la première fois dans une loge où vingt-quatre filles à demi nues vous jaugent ! Et me voilà sur scène sans avoir répété, emperruquée, dans ma robe de crinoline, avec mes faux cils mal collés qui piquent les yeux. Parmi les décor de Violettes impériales, il y a, dans un des tableaux, une plate-forme tournante. Le premier soir, par solidarité avec leur camarade reléguée quelque rangs en arrière, aucune fille ne m'a prévenue de rien, et je coince ma chaussure dans le rail de la plate-forme pivotante. En essayant de la retirer, je bouscule un grand pan de décor représentant une église ; il vacille. Je me garde de me plaindre en remontant dans la loge, comprenant que j'ai été mise en quarantaine.
Extrait du livre écrit par Barbara