Mercredi 14 mai 2008 à 8:56

 


Début 1948 : audition au théâtre Mogador. On recherche des mannequins choristes pour l'opérette Violettes impériales, livret d'Albert Willemetz sur une musique de Vincent Scotto. Les deux principales vedettes en sont Marcel Merkès et Lina Wals. Cette dernière, je n'en entendrai plus jamais parler. Michel Merkès, chantera longtemps à Mogador avec son épouse, Paulette Merval. Je me rends à l'audition. Dans les coulisses, un brouhaha de jeunes femmes de vingt, vingt-cinq ans au plus. Les unes tricotent, les autres papotent en attendant leur tour. Aucune angoisse, il règne là une ambiance presque familiale. Henri Varna auditionne ce jour-là des choriste hommes et femmes, soit pour Mogador, soit pour le casino de Paris dont il est aussi le directeur. C'est la première fois que je chante sur une scène, dans un théâtre. " Artiste " aux cheveux longs, j'avais une robe bleue Nattier, une formation classique, et dix-huit ans.  - Vous nous chantez ?  J'annonce mon morceau en articulant bien fort  :  - La tombe obscure, musique de Ludwig van Beethoven, parole de... Aucune réaction. Quand même, Beethoven ! Le pianiste attaque les premiers accords. C'est à moi, je vais chanter  - In questa tomba oscura. Lachiami reposar. Quando vivero ingrata... Je suis tout de suite interrompue. J'entends mal la voix qui me parle et qui monte de la salle. Je fais répéter en me penchant, les mains en visière.  - Ça suffit. Vous pourriez marcher en relevant votre jupe ?  -  Mais, monsieur ! Je mets mes mains en visière.  - Oui, oui, pour la voix ça va, mais on veut vous voir marcher, on veut voir vos jambes. Marchez, marchez !  J'avais travaillé un mois ce morceau en vue de mon audition ! J'ai marché en relevant ma robe bleue, puis je suis retournée rejoindre les autres candidates dans les coulisses, le " coeur en pointe " dans l'attente des résultats. Comme pour le bac, à cette différence près que le bac, je ne l'ai jamais passé, pas plus d'ailleurs que le certificat d'études ! Je suis la seule engagée sur trente-cinq et je commence dès la semaine suivante. Le régisseur tête-de-gargouille m'explique que je vais remplacer une choriste  " un peu trop âgée "  maintenant pour se trouver sur le devant de la scène. Je ne comprends pas très bien ce que cela veut dire, mais je signe mon premier contrat  :  treize mille francs par mois pour jouer tous les soirs, sauf le lundi, mais excepté le premier lundi du mois parce que c'est le jours des commerçants ! Les samedi et dimanche, il y a deux matinées et une soirée, mais les matinées ne sont pas payées. Ah bon ! Je trouve que c'est révoltant, mais je ne discute pas et signe. Gargouille me donne une place pour venir voir le spectacle le soir même afin de bien retenir ce que j'aurai à faire. Huit jours plus tard, je débute. Que c'est difficile de se déshabiller pour la première fois dans une loge où vingt-quatre filles à demi nues vous jaugent ! Et me voilà sur scène sans avoir répété, emperruquée, dans ma robe de crinoline, avec mes faux cils mal collés qui piquent les yeux. Parmi les décor de Violettes impériales, il y a, dans un des tableaux, une plate-forme tournante. Le premier soir, par solidarité avec leur camarade reléguée quelque rangs en arrière, aucune fille ne m'a prévenue de rien, et je coince ma chaussure dans le rail de la plate-forme pivotante. En essayant de la retirer, je bouscule un grand pan de décor représentant une église ; il vacille. Je me garde de me plaindre en remontant dans la loge, comprenant que j'ai été mise en quarantaine.
La suite demain ...


Extrait du livre écrit par Barbara

 

 http://mybabou.cowblog.fr/images/9782253147305-copie-1.jpg

Mardi 6 mai 2008 à 13:54


Croquis de Luc Simon  ( 1963 )


Le succès en lui-même n'existe pas parce que plus les gens vous aiment plus ils attendent de vous. Chaque soir, il faut recommencer. Ce n'est pas parce que le mardi à Bordeaux, on a très bien chanté que le mercredi, à Toulouse, ce sera aussi bien. Mais c'est fantastique que ce soit toujours neuf, toujours à gagner.

Barbara

Lundi 5 mai 2008 à 9:25

 


En ce temps-là, on chantait encore, on fredonnait dans la rue, partout. On sifflotait, c'était joyeux. Il y a longtemps que je n'ai plus entendu un " ouvrier du bâtiment " siffler. Il est vrai que les échafaudages sont plus en plus hauts, les éventuels sifflets couverts par le bruit des villes. Comme c'était bien, les chanteurs des rues, avec leur porte-voix ! Tout le monde alentour reprenait en choeur et les vieux porte-monnaie de cuir s'ouvraient pour acheter des partitions ornées de têtes des stars de l'époque. Ça bougeait, ça guinchait, ça dégingandait, ça chaloupait, ça enamourait, ça déclamait férocement, ça peinturlurait l'hôpital, ça racontait l'amour d'une mère, le corps chaud d'un homme, les roses du dimanche, les hanches des filles, les hommes à rouflaquettes ou en haut-de-forme, chaussés de leurs vernis à guêtres, ça politiquait ferme, c'était la criée du quotidien, le journal de pas d'heure en plein air. En ce temps là, les femmes chantaient encore au lavoir, à l'atelier, à la veillée. Aujourd'hui, on " Karaoke " devant sa télé, ce qui est peut-être une façon d'en revenir aux veillées d'antan, sans feu de bois, sans vraie connivence, dans le bruit. La chanson est dans le quotidien de chacun ; c'est sa fonction, sa force. Sociale, satirique, révolutionnaire, anarchiste, gaie, nostalgique... Elle ramène chacun de nous à son histoire : Les feuilles mortes, Parlez-moi d'amour... Le mot n'existait pas encore, mais les interprètes étaient drôlement  lookès ! Mayol, avec son toupet sur la tête. La Goulue, si bien peinte par Lautrec. Fragson, Yvonne George, Jane Avril. Valentin le Désossé, tout en noir, tout en jambes. La Guilbert avec ses longs gants noirs. Marianne Oswald, la rousse, la  " rockeuse " Et bien d'autres ! C'étaient quand même de sérieux  " allumés " qui, s'ils revenaient aujourd'hui, en remontreraient à beaucoup dans le non-conformisme. Chaque chanteuse a son phrasé. Un look, c'est bien, mais ce n'est qu'une image qu'on peut reprendre. En revanche, on ne peut pas calquer la respiration, l'accent, l'empreinte vocale d'une artiste, sa vraie différence. Aujourd'hui, la musique s'écoute plus qu'elle ne se chante. Est-ce parce qu'elle est devenue moins mélodique ? Parce que nous vivons plus repliés sur nous-mêmes avec notre Walkman collé aux oreilles? Il est vrai que les bruits de la ville sont devenus si tonitruants et cacophoniques que nous sommes obligés d'écouter la musique et les mots de plus en plus fort. Et cette musique et ces mots qui étaient censés nous rapprocher, nous éloignent plus que jamais les uns des autres.

Barbara

Vendredi 2 mai 2008 à 10:09

 


Quand je me suis installée à la campagne, je n'avais jamais vu le soleil se lever... ou mal. D'ailleurs avez-vous remarqué, à Paris, comme le chant des oiseaux est angoissant au petit matin ?

Barbara

Mardi 29 avril 2008 à 8:37

 


J'habite à Marcadet, métro Lamarck, et je suis plongeuse. Nous sommes en 1951. Le Tout-Paris se déplace à la fontaine des Quatre Saisons pour venir voir, entendre et applaudir le Dîner de têtes de Jacques Prévert, avec Roger Pigaut, Mouloudji, qui fait ses débuts dans la chanson, les marionnettes de Lafaye, Boris Vian et Jacques Prévert, Francine Claudel qui chante Christiane Verger et Jacques Prévert, Louis Bessière, compositeur-pianiste, et Henri Crolla accompagnent cette magie, magiques eux-mêmes. Durant presque une année, je lave les verres du tout Paris.
Émerveillée, je vois défiler par la petite lucarne de ma plonge, Edith Piaf, Eddie Constantine, Simone Signoret, Yves Montand, Daniel Ivernel... Jean Wiener vient quelquefois m'offrir des frites au Petit Bougnat d'en face où mon ardoise s'allonge. La Fontaine était vraiment un endroit extraordinaire. C'est grâce à ma place de plongeuse que je pus admirer tous les soirs un spectacle que je n'aurais jamais pu m'offrir. Mais porter des caisses et faire la plonge, c'est dur. Un jour, exténuée, malade, je pars. Privations, épuisement... Hospitalisation. Je me souviens de la salle commune avec ses trente-quatre lits, de la vieille Philomène, toute menue, dans sa chemise de grosse toile blanche, le cheveu raide, tout blanc, qu'elle portait défait sur ses frêles épaules comme une vieille enfant. Ancienne surveillante de salle, elle vieillissait seule à l'hôpital et courait de lit en lit, croyant encore qu'elle était de garde ! Je me souviens des malades atteints de tuberculose qui se rejoignaient à la chapelle pour de brefs et intenses échanges amoureux. Je me souviens des odeurs et surtout des attentes interminables, de l'arrivée des visiteurs et visiteuses, souvent cramoisis, essoufflés, perdus dans leurs habits sombres qui faisaient d'autant plus ressortir le blanc des chemises de lin et les figures blêmes des malades. Ce fut ma première hospitalisation. Ce ne fut pas la dernière !

Barbara

Lundi 28 avril 2008 à 7:52


La première fois que j'ai parlé sur scène, je ne sais plus ce que j'ai dit. Mais j'ai senti que tout à coup, ils me voyaient différemment. Dans le même monde qu'eux, dans le même monde horrible, mais vivant. Quand je chante Nantes et que j'annonce sur scène la mort de mon père, peut-être que je dis tout haut ce que eux ont vécu tout bas. Ils savent que c'est vrai, que je ne triche pas avec ça, et c'est pour cela qu'ils applaudissent.
En fait, ils applaudissent pas ce que je dis, mais le fait que je le dise.


Barbara

Jeudi 24 avril 2008 à 7:51

 


C'est vrai, je suis grande, je suis brune et je chante en noir... Cela suffit pour qu'on dise de moi que je suis mystérieuse. Mais c'est faux !  Je ne vois pas où est mon mystère ?  Si j'aime le noir, c'est parce que c'est chic. Si mes robes sont longues, c'est parce que je n'aime pas qu'on voit mes jambes. Si je mets des lunettes, c'est parce que je suis myope. Si je vis à l'écart, ce n'est pas pour qu'on me dise  : "  Ah ! que fait-elle donc ?  "  Je ne fais d'ailleurs rien d'extraordinaire. Je veux seulement, autant que possible, sauvegarder ma liberté de penser et d'agir. De toutes façons, je parle de moi dans toutes mes chansons. Je ne vais pas, en plus, raconter ma vie en dehors. Sachez une bonne fois pour toutes que je suis gaie, timide aussi, et qu'il m'arrive même de tricoter.

Barbara

Mardi 22 avril 2008 à 8:42


Croquis de Luc Simon ( 1963 )


Après avoir joué sur des claviers édentés, après des télégrammes d'insultes expédiés en urgence au  " tourneur "  du moment, après m'être battue pour moi, mais aussi pour mes camarades artistes, après des crises de colère où tu ressembles à un tyran alors que tu n'es qu'exigeante, respectueuse d'un public qui ne vient pas au spectacle pour que la fête soit ratée, après en avoir discuté un jour avec Brel, révolté aussi par les mauvais pianos que l'on proposait à François Rauber et qui me disait avoir résolu le problème en pissant dedans pour en obtenir un autre, après des heures de combats, d'explications inutiles à des directeurs sourds et qui, de surcroît, s'en moquaient, j'ai décidé d'emporter partout mon propre piano. C'est ainsi qu'a commencé l'escalade et que la caravane a progressivement pris du volume. Au départ, une Mercedes contient la sono. Petit à petit s'installent le son, la lumière, les musiciens, l'équipe, puis les équipes, et tu es passé d'un simple coffre de voiture à une tournée comportant deux semi-remorques transportant le  " son "  et les  " projos "  puis, un beau jour, les  " ponts "  de lumière. Le tout pour que tous les soirs, tu évolues à peu près dans le même espace avec le même son. C'est d'ailleurs un leurre, car garder le même son ne dépend pas seulement du matériel, mais aussi du décor, des coulisses, de la lourdeur des tapis, de la hauteur des cintres, de la température. Par exemple, j'ai toujours exigé qu'il ne fasse pas plus de 18 degrés en coulisses ; ne l'obtenant pas toujours en dépit des avenants et codicilles aux contrats, je me suis longtemps promenée avec une clé anglaise spéciale pour fermer les radiateurs atteints de surchauffe ! La chaleur coupe en effet la voix, asphyxie les poumons. Le jour où j'ai eu un régisseur de plateau, je n'ai plus eu à résoudre ce genre de problèmes. Tu peux chanter sans éclairage, mais, sans le  " son "  tu ne peux rien. Au moment du montage des spectacles, il y a toujours conflit entre l'équipe-son et l'équipe-lumière. Pour le réglage des lumières, tout est fonction de la place du piano. Je n'ai jamais manqué l'heure de l'installation du piano, sauf peut-être à mes débuts, en tout cas jamais après. De la place du piano vont en effet dépendre celle des lumières. de la place du piano dépend aussi le confort du public des premiers rangs lorsque la scène est trop haute ; pour résoudre cette difficulté, nous avons décidé un jour, l'équipe et moi, de faire fabriquer un faux pied qui confèrerait au piano une légère pente. C'était moins confortable pour chanter, mais beaucoup mieux pour le public.

Barbara

Samedi 19 avril 2008 à 9:51

 


J'ai surtout été marquée par Marianne Oswald. C'est d'un modernisme, d'un désespoir, d'une férocité stupéfiants. Je connaissais tous les gens de cette époque, celle du caf 'conc', beaucoup mieux que ceux de ma génération, parce que je suis passée à côté de Saint-Germain-des-Prés.

Barbara

Jeudi 17 avril 2008 à 7:49

 


Moi, j'ai la joie facile et le malheur aussi. Le plus difficile à vivre, c'est évidemment le quotidien, pas les choses exceptionnelles, qui ne sont exceptionnelles que parce qu'elles sont brèves. Ce qui est intéressant, ce n'est pas de continuer sa vie, c'est de la recommencer.

Barbara

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | Page suivante >>

Créer un podcast