En ce temps-là, on chantait encore, on fredonnait dans la rue, partout. On sifflotait, c'était joyeux. Il y a longtemps que je n'ai plus entendu un " ouvrier du bâtiment " siffler. Il est vrai que les échafaudages sont plus en plus hauts, les éventuels sifflets couverts par le bruit des villes. Comme c'était bien, les chanteurs des rues, avec leur porte-voix ! Tout le monde alentour reprenait en choeur et les vieux porte-monnaie de cuir s'ouvraient pour acheter des partitions ornées de têtes des stars de l'époque. Ça bougeait, ça guinchait, ça dégingandait, ça chaloupait, ça enamourait, ça déclamait férocement, ça peinturlurait l'hôpital, ça racontait l'amour d'une mère, le corps chaud d'un homme, les roses du dimanche, les hanches des filles, les hommes à rouflaquettes ou en haut-de-forme, chaussés de leurs vernis à guêtres, ça politiquait ferme, c'était la criée du quotidien, le journal de pas d'heure en plein air. En ce temps là, les femmes chantaient encore au lavoir, à l'atelier, à la veillée. Aujourd'hui, on " Karaoke " devant sa télé, ce qui est peut-être une façon d'en revenir aux veillées d'antan, sans feu de bois, sans vraie connivence, dans le bruit. La chanson est dans le quotidien de chacun ; c'est sa fonction, sa force. Sociale, satirique, révolutionnaire, anarchiste, gaie, nostalgique... Elle ramène chacun de nous à son histoire : Les feuilles mortes, Parlez-moi d'amour... Le mot n'existait pas encore, mais les interprètes étaient drôlement lookès ! Mayol, avec son toupet sur la tête. La Goulue, si bien peinte par Lautrec. Fragson, Yvonne George, Jane Avril. Valentin le Désossé, tout en noir, tout en jambes. La Guilbert avec ses longs gants noirs. Marianne Oswald, la rousse, la " rockeuse " Et bien d'autres ! C'étaient quand même de sérieux " allumés " qui, s'ils revenaient aujourd'hui, en remontreraient à beaucoup dans le non-conformisme. Chaque chanteuse a son phrasé. Un look, c'est bien, mais ce n'est qu'une image qu'on peut reprendre. En revanche, on ne peut pas calquer la respiration, l'accent, l'empreinte vocale d'une artiste, sa vraie différence. Aujourd'hui, la musique s'écoute plus qu'elle ne se chante. Est-ce parce qu'elle est devenue moins mélodique ? Parce que nous vivons plus repliés sur nous-mêmes avec notre Walkman collé aux oreilles? Il est vrai que les bruits de la ville sont devenus si tonitruants et cacophoniques que nous sommes obligés d'écouter la musique et les mots de plus en plus fort. Et cette musique et ces mots qui étaient censés nous rapprocher, nous éloignent plus que jamais les uns des autres.
Barbara
Et ça s'est empiré avec le temps je pense ...