" Je vais vers le soleil. "
Lundi 23 mars 2009 à 12:38
" Je vais vers le soleil. "
Jeudi 19 mars 2009 à 9:31
Mercredi 18 mars 2009 à 14:19
Croquis de Luc Simon ( 1962-1963 )
Lundi 16 mars 2009 à 10:28
Barbara revendiquait son statue de femme révoltée : " (...) Tout me met en colère et je tiens à le rester ma vie durant. Plus précisément, la grossièreté, la mauvaise foi, l'injustice, mais ça, c'est plutôt une révolte. Je crois qu'il ne faut pas s'anesthésier. Il faut à la fois être tolérant et " vigiler " sans arrêt. (...) " Elle détestait par-dessous tout le " prêt à penser " imposé par la " police culturelle " Pourtant , ayant toujours su considérer sa position dans le paysage de la chanson française avec humilité, elle est demeurée fort tolérante à l'égard des artistes évoluant dans un univers opposé au sien. Ses deux préoccupations essentielles reposant sur le respect de l'humain et la cohérence d'une démarche artistique, elle posait en effet un regard indulgent sur les carrières de Sheila, Vanessa Paradis, ou Elsa. Estimant que ces chanteuses exerçaient leur métier d'une façon différente d'elle, mais avec un égal talent. Pareillement, elle a pu apprécier Johnny Hallyday ou Jacques Brel avec la même ferveur, car ces deux chanteurs on la sincérité en commun. Tout en se montrant méfiante vis-à-vis de certains lions anarchistes dont le rugissement lui semblait truqué. En fait, ce que Barbara détestait avant tout était le manque d'authenticité. En 1969, elle faisait part à la presse belge d'une analyse musicale intéressante : " (...) Je préfère mille fois, quelques mauvais yéyés à de faux Brassens ou Brel. Je hais les gens qui pensent que parce qu'ils chantent " le ciel bleu " croient faire de la poésie, ainsi que ceux qui se disent intellectuels, je n'attribue d'ailleurs aucune valeur à ce mot. Le public de Johnny Halliday est quelquefois le même que le miens ou que celui de Monsieur Georges Brassens ; je crois aussi que la chanson yéyé nous a fait beaucoup de bien et a permis, à certains d'entre nous, d'exister parce que les gens ont éprouvé le besoin de silence. (...) [ à propos de Léo Ferré ] Je ne veux pas faire d'allusions, mais quelqu'un qui écrit des chansons très humaines et qui ne l'est pas dans la vie, triche avec la vérité et cela, je ne peux pas le supporter. Pour recevoir, il faut savoir donner, sans pour autant jeter ce que vous avez à partager. (...) " Déclarant ce qu'on n'attend pas d'elle, sans doute Barbara se montre-t-elle ici un tantinet provocatrice. Mais il est certain que la prétention ou l'ostracisme culturel ne sont pas son fort ( rappelons-nous qu'elle a quitté le conservatoire de chant en grande partie parce qu'elle supportait mal d'évoluer dans un milieu élitiste ) En 1987 ( soit presque vingt ans plus tard ) elle tenait un discours du même ordre, empreint d'une ouverture d'esprit, d'un goût pour la modernité et d'une grande modestie : " [ à propos des groupes de rock ] Qui d'autre a poussé la variété française à soigner ses orchestrations, à s'ouvrir à des rythmes plus contemporains ? Quoi d'autre a entraîné les jeunes à se réunir de plus en plus nombreux dans des grandes salles, unis par la même musique ? (...) [ à propos d'elle-même ] Je n'ai jamais vendu beaucoup de disques, j'existe sur la durée ; je vis mon métier comme un grand luxe, me permettant de refuser des choses, d'attendre, de considérer qu'il y a des silences plus importants que tout (...) " Ces silences, Barbara a su les utiliser pour écouter les autres artistes, porte-paroles d'un monde en permanente évolution, avec une bienveillance et une curiosité exceptionnelle ( n'oublions pas que, dans le milieu du show business, le chanteur d'à côté est souvent appréhendé comme un concurrent menaçant ) Ainsi encensa-t-elle, par exemple les talents des Rita Mitsouko, William Sheller ou Gérard Manset, en déclarant humblement : " (...) J'ai pas du tout la prétention d'avoir le talent d'orchestrateur, moi, j'entend des choses, mais eux ce sont vraiment des orchestres, quoi ! (...) Manset paraît être un homme qui reste fermé, mais il est fatalement à l'écoute (...) moi je reste très fermée sur ma bulle quand j'ai à écrire ou quand j'ai à chanter, je suis repliée comme ça sur mon intériorité, parce que j'ai pas envie de me disperser (...) je crois qu'on se connaît tous, on n'est pas obligés de s'aimer, mais de se reconnaître, parce que c'est tellement particulier ce métier, c'est tellement une chose extraordinaire, moi, je tiens à la différence des gens qui font ce métier, y a des gens que j'aime et que j'aime pas, dans ce métier, je suis pas allée voir beaucoup de gens etc..., mais, je suis à l'écoute des choses, et je sais ce que ça demande d'abnégation, d'amour, d'égocentrisme aussi, de difficultés, de combats pour savoir que jamais je vais te dire du mal d'un artiste (...) je te dirai pas non plus du mal d'un boulanger, mais je te dirai que ses croissants sont moins bons (...) " Et ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, la nouvelle génération avoue avoir puisé son inspiration dans son encre poétique. Le chanteur de Slam, Grand Corps Malade, confie : " Je n'ai pas appris à écrire. Sans doute Renaud, Brassens et Barbara, que mes parents écoutaient beaucoup (...) m'ont aidé à manier la plume " Et Françoise Hardy d'ajouter, au sujet des représentantes de " la nouvelle scène française " : " Aujourd'hui, tout le monde veut chanter. Mais je pense que Barbara allait sûrement plus loin que les nouvelles venues en abordant des thèmes comme " Le Mal de vivre "
( auteur du livre " Barbara, parfums de femme en noir " )
Jeudi 12 mars 2009 à 8:41
Mardi 10 mars 2009 à 11:30
Gabriel qu'elle appelait " Mon ange " et qui sait, maintenant ce qu'est une voix juste.
Je pensais à tout cela quand la main de Gabriel lâcha la mienne. Je le vis courir vers la scène et s'arrêter net, tour à tour curieux, tendre, narquois, devant Barbara, au plus fort de sa tempétueuse répétition. Petite tête blonde tutoyant, en contre-plongée, une dame brune, dans l'immaculée chaleur provençale. Image arrêtée, inoubliable. Je m'attendais à ce qu'elle le rabrouât. Elle accueillit au contraire le jeune visiteur comme un prince, esquissa une révérence, lui présenta ses musiciens, lui expliqua le conducteur du récital, lui fit visiter son royaume d'un jour : une simple scène en ar-en-ciel face à un amphithéâtre désert où, depuis que l'accordéon s'était tu, les cigales furieuses avaient repris leur strident concert. Le soleil tombait à la verticale sur cet étrange couple morganatique autour duquel, soudain, le vide s'était fait. La conversation se prolongea. Autour d'eux, les musiciens et les techniciens commençaient à s'impatienter. La récréation avait assez duré. Barbara consentit à se remettre au travail, non sans avoir convoqué son chauffeur : " Emmène-le à Saint-Tropez pour qu'il s'achète un cadeau ! " Et, en s'adressant à Gabriel, tout étonné de ce qui lui arrivait : " Tu prends ce qui te plait, et tu reviens me voir après. Il faut absolument qu'on continue notre conversation. " Une heure plus tard, Gabriel déboulait en trombe sur la scène en exhibant, tout neuf, prêt à servir, un polaroïd. " On l'essaie ? " proposa-t-il. " Allez, on a assez bossé, maintenant, c'est la séance-photo " décréta Barbara devant ses musiciens d'autant plus médusés qu'ils savaient combien la chanteuse était allergique aux photographies. Car si on voulait la prendre, il fallait l'avoir vivante. J'assistai alors à un singulier pas-de-deux, Gabriel mitraillant, avec le sérieux de l'apprenti, une Barbara qui posait à l'envi, à la demande, debout et assise, hilare et grave, marmoréenne et volatile, provocante et attendrie, tandis que sortaient l'un après l'autre, comme d'un tour de magie, les clichés de ces vacances dont on sait bien qu'elles sont aussi éphémères, illusoires, que le goût du sel marin sur la peau hâlée. Le fou rire gagna Barbara. On eût dit deux cousins préparant, dans la garrigue, un mauvais coup. Le ciel d'été vira au rose tendre. Barbara se leva et donna rendez-vous à Gabriel pour le soir même. Elle lui indiqua sa place, au pied de la scène, face à elle : " Je veux te voir, au milieu de ce public que j'aime " Respectant le rituel des fins de tournée, Barbara ouvrit, en coulisse, les vingt cadeaux et les vingt lettres que les femmes et les hommes de son équipe avait disposés à son intention dans une grande passoire en plastique bleu. Elle leur écrivit, en réponse, une jolie lettre pleine d'émotion et de majuscules : " Demain, vous serez en vacances, oubliez-moi, dormez, riez, soyez heureux. Prenez soin de vous et des autres, respirez près des arbres. Je suis fière de vous. Merci " A vingt et une heure trente, comme poussée par une légère tramontane, Barbara entra en scène, chaloupante et coquine. Elle dédicaça son récital à " un petit garçon que j'ai rencontré cet après-midi et que j'aime beaucoup " chanta longtemps dans l'air pur jusqu'à ce que le ciel étoilé recouvrît la presqu'île où elle avait bien voulu accoster, laissant sur la plage une improbable image de polaroïd.
Jerôme Garcin
Lundi 9 mars 2009 à 10:36
Ce fut, sur la scène d'un théâtre à l'antique creusé dans la roche rose, un après-midi caniculaire. Derrière ses volets italiens, Ramatuelle sacrifiait au rituel de la sieste. L'air sentait le romarin étouffé, la résine brûlée. Une brume de chaleur ajoutait au mirage de l'instant. Soudain, jaillie comme de la pierre pour rompre la somnolence de l'été, une petite cantate très pure s'éleva droit vers le soleil, grimpa le long des gradins, tourna autour du vieux figuier à la frondaison équitable, résonna le long des ruelles sarrasines et fit taire les cigales, cachées dans les lauriers-roses. C'était Barbara, à la conquête des maures. Pour clore une tournée à travers la France, la " nomade heureuse " avait accepté d'ouvrir, le 1er août 1990, le sixième Festival Gérard Philipe " Un ange romantique vole au-dessus de nous " assurait-elle et répétait, en tenue de campagne, son récital du soir. Elle testait l'acoustique avec une autorité maternelle et malmenait ses trois hommes du voyage : Gérard Daguerre, qui jouait du piano debout, Serge Tomassi, prolongé par son accordéon, et Manut, percussionniste en short. L'amphithéâtre à ciel ouvert était vide. Barbara travaillait. A cette heure et à cette température-là, elle devait même être la seule, dans tout le Var, à travailler. Fors une poignée de techniciens, qu'elle commandait à la voix et au geste, personne n'eût osé s'approcher de la scène. Car Barbara pouvait aussi faire peur. J'était caché en coulisse avec mon fils aîné, Gabriel, alors âgé de six ans, que le protocole de la célébrité n'intimidait guère. C'est que Barbara ne figure pas, pour lui, une grande artiste ; elle était une voix familière, la compagne des soirées à la maison, la complice des balades en voiture, une invitée permanente, la douce paix des familles où même les morts qu'on a aimés continuent de solfier, au crépuscule, avec les vivants. Comme beaucoup d'enfants de France, Gabriel avait grandi avec les chansons de Barbara que nous écoutions, Anne-Marie et moi, depuis toujours, depuis que nos propres parents avaient bercé nos dimanches avec Ma plus belle histoire d'amour et soigné nos scarlatines au Bois de Saint-Amand. Pour trois générations, Barbara était restée la même. Une intime universelle. A peine remarquait-on que l'on était passé du 78 tours au compact, du Teppaz à la chaîne. Comme certaines statuettes de Tanagra, elle avait connu tous les supports. Je me souvenais de mon père, déjeunant tous les jours à la maison parce qu'il ne supportait pas les repas professionnels, assis, à l'heure du café, dans son grand fauteuil d'osier pour écouter ses enregistrements préférés : ceux du concert de Bobino, en 1967, et de l'Olympia, en 1969. Il fermait les yeux et, à la fin du disque, repartait, rasséréné.
Mardi 24 février 2009 à 20:58
Une timide hardie
J'ai passé une audition à Écluse. Je n'ai pas été retenu d'ailleurs. Barbara était dans la salle. Et, à la fin de mon passage, elle est venue me demander de lui donner une de mes chansons. Je la lui ai donnée et elle en a fait ce qu'elle a voulu c'était " Veuve de guerre " Elle a changé l'harmonisation, je crois. A l'époque, elle ne chantait pas ses propres textes.
C'était sympa de m'en prendre un à moi...
Barbara, c'était quelqu'un de très timide qui pouvait parfois être hardie, comme tous les timides. C'était quelqu'un d'écorché, aussi, en la voyant j'ai pensé qu'elle avait eu des coups durs. Elle m'avait demandé de lui écrire une autre chanson sur le thème de la séparation. Et puis ce texte, c'est elle-même qui l'a écrit finalement. C'était " Dis quand reviendras-tu ? " Au fond, elle a toujours eu envie d'écrire ses propres textes, je crois.
Mais elle n'osait pas.
Marcel Cuvelier ( Comédien )
Dimanche 15 février 2009 à 11:17
Quand Barbara téléphone à Catherine pour la rencontrer… Catherine n’en croit pas ses oreilles, elle se croit dans un rêve… mais ce c’est pas un rêve…
" Je n’ai pas écrit pour beaucoup de gens, juste pour des femmes, Françoise Hardy entre autre. Un jour Barbara a souhaité me rencontrer. Nous avons beaucoup ri, passé des moments fabuleux et sommes devenues très amies "
" Dans un demi-coma, je crois comprendre que nous fixions un rendez-vous. Je ne manquerai pas de m’y rendre… Si je survis à ce coup de fil !!! ... Le jour fatidique je me présente au rendez-vous, le visage taillé dans un cachet d’aspirine et le reste du corps agité par des soubresauts incontrôlables. Devant mon état Barbara ne sais plus s’il vaut mieux me tendre la main… ou bien une chaise ! "
Pour elle j’ai composé deux chansons " Accident " et " Au clair de la nuit " ( album " Amours incestueuses " ) Elle m’a apporté une foule de chose et par dessus tout une grande émotion : la joie d’avoir pu écrire pour " La grande dame en noir " Si je vous dis que Barbara est gémeaux, vous comprendrez pourquoi nous nous entendons bien dès le départ. A nous deux, nous sommes quatre…! Et quatre fous plus passionnées, un jour rire, le lendemain la guerre, au total beaucoup d’humour, mais souvent noir. A jouer aussi à pile ou face, la seule perdante entre nous… c’est la pièce ! "
Catherine Lara ( L’aventurière de l’archet perdu )
Mercredi 4 février 2009 à 11:21
Elle était maladroite, sans-gêne, trop impatiente et parfois si brutale dans sa délicatesse, si myope dans sa clairvoyance, si fière dans ses doutes " Il y a deux femmes extraordinaires : elle et moi " avait diagnostiqué une autre exhibitionniste, Margueritte Duras. Elle n'imaginait pas que la nature pût lui résister. Je l'ai vue, avec une bêche, maltraiter, à Précy, des parterres de roses qu'elle retournait comme un vieux matelas : tout un chantier, pour une seule graine à l'avenir compromis. Elle cuisinait plus férocement encore, brûlait de confuses et surépicées poêlées de légumes qu'elle jetait à la poubelle, capitulant d'un geste rageur devant l'ennemi potager. Mêmes ses savantes œuvres de tricoteuse souffraient, dans la côte de cheval, de cette impétuosité naturelle ; telle une araignée prisonnière de sa toile, elle finissait par se perdre dans d'obscures mailles et des points imaginaires. Elle dilapidait aussi sa fortune, donnait sans compter, confondait anciens et nouveaux francs, ignorait jusqu'à l'usage des cartes de crédit, semblait jouer, avec de vrais billets, à une éternelle partie de Monopoly ( je dus la sermonner le jour où elle envoya à mon fils Gabriel, alors âgé de treize ans, de quoi s'acheter un scooter, et pourquoi pas un coupé sport ? Elle s'excusa à la manière de l'enfant pris en faute ) Enfin, elle n'était pas moins sauvage, ardente et malhabile en amour. La seule fleur que Barbara ait entretenue avec un soin maniaque, la seule laine qu'elle ait filée précautionneusement, le seul trésor que cette dissipatrice ait conservé, le seul amour dont elle ait été à la fois le maître et l'esclave, qui ait été sa raison de vivre et la cause de son désespoir, pour lequel elle eût tout sacrifié, c'était sa voix. Elle la coulait dans des boissons chaudes de rebouteuse, l'enduisait d'un miel de sapin, la protégeait avec des écharpes, l'enroulait dans des boas, la mettait au vert, et, par crainte qu'elle ne lui échappât, réglait l'univers à sa hauteur. Pour cette voix si précieuse, le piano était invariablement accordé à 442, le tabouret de dentiste bloqué à 61 centimètres et la température fixé en coulisse à 18° ( toujours armée d'une clef anglaise, Barbara surveillait, menaçante et irascible, les radiateurs en surchauffe ) Car les chiffres la rassuraient. L'on ne dira jamais assez combien les grands maniaques sont des excentriques qui gouvernent leur névrose en lui infligeant un code de conduite coercitif. Tout au long de son existence, Barbara a poursuivi la chimère de pouvoir garder intacte, telle que nous la restituent ses disques des années cinquante marqués par le registre réaliste, son admirable voix de mezzo, tendance contralto. elle est à la fois grave et flûtée, caressante et impertinente, chaude comme la laine et légère comme la neige, elle monte, descend, ondoie sous le vent et n'en finit pas de jouer avec nous. Elle est son visage, son corps, son âme et sa mémoire. Elle tient de l'opéra et du caf'conc ( elle avait d'ailleurs réconcilié, sous de Gaulle, les esthètes du Palais Garnier et les forts des Halles, les lycéennes en kilt et les troupiers au cœur de porcelaine ) A partir de 1981, c'est-à-dire de Pantin, Barbara commença à perdre celle qui était devenue sa plus fidèle compagne et sa meilleure interprète. Sa voix se brisa. Elle s'en inquiéta. S'affola. Crut que jamais elle ne pourrait rechanter. Une bête blessée au sommet de la gloire. Elle entra dans cette guerre contre les ravages du temps dont elle n'allait jamais sortir. Ici et là, on se mit soudain à railler sa phonétique défaillante, stigmatiser son articulation fatiguée, regretter l'époque où le timbre était clair, l'intensité dramatique et l'accent, aigu. Les premiers enregistrements sont en effet d'une cantatrice, qui m'épate et me séduit ; le tout dernier, qui me bouleverse, d'une asthmatique. Je confesse pourtant n'avoir jamais tant aimé cette voix qu'à l'heure incertaine de ses combats pour sa survie car c'était, soudain, une voix qui avait vécu, qui avait souffert et qui avait voyagé sans se retourner. " Il faut, pensait Joubert, qu'il y ait plusieurs voix ensemble dans une une voix pour qu'elle soit belle. Et plusieurs significations dans un mot pour qu'il soit beau " A la fin, il ne restait plus, de l'ample registre d'antan, qu'un souffle court, une expiration voilée, un obstiné murmure, un mezzo brisé, un long soupir de saxo poursuivant en vain quelques mélodies de jeunesse, et leur virtuosité perdue. Même dans " Ma plus belle histoire d'amour " il y avait, sur le tard, du rauque, du rugueux, du roux d'automne, des ronces et des regrets ( dernier récital d'une inconsolée qui n'avait jamais si bien touché les cœurs ) Cette voix qui nous avait longtemps réconfortés, maintenant qu'elle était au crépuscule, c'est nous qui la protégions, comme on entretient un feu de bois, l'hiver, dans une grande maison vide.
Jérôme Garcin ( journaliste )
Barbara