Jeudi 29 janvier 2009 à 10:37

http://mybabou.cowblog.fr/images/bvnx.jpg



Pas facile, ah non, vraiment, Barbara n'était pas facile. Exigeante avec elle-même, d'abord, au point de préparer chaque rencontre avec sa plus belle histoire d'amour ( le public ) en hantant, des heures avant le concert, sa loge, les coulisses et la scène. Avec les autres, elle savait, aussi, se montrer odieuse. Comme avec ce journaliste qu'elle engueule pour avoir tenté de percer les secrets de sa vie en utilisant ses chansons.  " Vous les décortiquez devant moi et c'est comme si vous me déchiquetiez. Ce que je viens de chanter, ce soir, c'est ma vérité, mon second souffle et vous êtes là, comme un petit fontionnaire... agneugneu... agneugneu... C'est absolument horrible, ce que vous faites ! "  Sur scène, Barbara est reine. Rien ne lui échappe, tout lui obéit. Son image, elle en est le maître. Une grande prêtresse qui, avec les années, a édicté, entre son public et elle, des régles précises. Un rituel. Mais hors de son domaine ( ce lieu magique, protégé et policé ) comment faire confiance ? Comment ne pas être trahie ? Alors, elle fuit, elle se refuse, elle se cache. La télé ? Pffou, sûrement pas ! Trop crue. Trop cruelle. La sacro-sainte messe du 20 heures; par exemple, elle l'appelle volontiers le  " western de la mort "  Franchement, pourquoi irait-elle attendre sagement que le PPDA de service ait fini d'annoncer son habituel lot d'attentats, de meurtres et de catastrophes naturelles pour annoncer, juste avant le générique de fin, la bouche en coeur :  " Eh bien moi, je vais chanter deux semaines au Châtelet. "  Impossible. Pour être aussi indécent, il faudrait être inconscient. Et Barbara a conscience de tout.De son nez, pour commencer. Ce n'est pas qu'il la révulse, non, ni même qu'il la complexe. Mais  " Un visage avec ce nez-là, il faut quand même le mettre en image... En France, il n'y a pas de visage à caractère ; des visages beaux ou des visages laids et des visages qu'on arrange. En Italie, ce serait peut-être plus simple. "  Alors, lorsque François Reichenbach, qui l'idolâtre et ne se lasse ni de ses refus, ni de ses rebuffades, la force, en 1979, à accepter le "  Portrait "  qu'il rêve de réaliser, elle lui déclare avec sa brusquerie coutumière :  " D'accord, je veux bien que vous me filmiez, mais pas de profile, ni de face... "  Pas simple, bien sûr ! D'autant que les aléas techniques s'en mêlent : panne de son dès le premier jour, panne d'électricité dès le deuxième.  " Je crois qu'elle est comme les indiens  dira plus tard Reichenbach Il ne faut pas la filmer. Elle n'impressionne pas la pélicule. "  Avant de confesser, entre deux compliments pour celle qui l'aura bombardé d'oukases et d'interdits :  " Si j'avais pu faire ce que je voulais, j'aurais réalisé un film sublime... " Rebolote, trois ans plus tard, avec Guy Job, pour son spectacle de Pantin. Caprices ? Non, fidélité. Fidélité absolue à la foule venue l'applaudir.  " Tu comprends, dit-elle à Anne Paquotte, je voulais qu'on filme mon tour de chant, pas qu'on le revisite. A Pantin, le public était impliqué pas question d'une seconde de trahison. Des moments pareils, je ne pouvais pas ne pas veiller dessus jour et nuit. "  Résultat : quarante-huit heures d'images, réduites à cent minutes superbes qui défrissent, néanmoins, les dirigeants de TF1. Objet de leur courroux : les longues séquences où le public, en transe, se met à chanter lui aussi... Le sang de Barbara ne fait qu'un tour. Elle téléphone à Pierre Bouteiller :  " Ecoute, je ne suis pas Dallas. Couper Pantin, c'est me couper un bras. C'est comme ça ou je ne laisse rien sortir. "  Bien sûr, Bouteiller s'incline...
Pierre Murat  ( Journaliste )

Mercredi 21 janvier 2009 à 16:10

http://mybabou.cowblog.fr/images/BarbaraPantin81.jpg



A l'orée du périphérique de Paris, sur la route du Nord, Jacques Rouveyrollis, avec qui elle a commencé à travailler depuis quelques mois, lui fait découvrir le site de la porte de la Villette. C'est d'abord un non catégorique ! Mais la nomade se prend finalement de passion pour le théâtre de toile qui s'y dresse.
"  Victor, Mr Victor, j'avais la folie de chanter. "
 
Ni le Zénith, ni la cité de la musique, n'y ont encore vu le jour. Pantin, c'est un terrain vague, à l'occasion un hippodrome au milieu duquel Jean Richard a planté un cirque de toile jaune et bleue. Barbara rêve de devenir la funambule, la magicienne, l'écuyère du chapiteau. Personne ne pourra plus l'en dissuader.
" Victor, Mr Victor, j'avais la folie de chanter. "
La folie de chanter de ses vingt ans. Elle persiste et signe ! Elle est un peu médium, un peu sorcière. Barbara. Elle sait que c'est là, à la porte de Pantin, qu'elle doit ancrer son nouveau vaisseau. Pour ce rendez-vous, elle transforme l'espace un peu lugubre en un lieu teinté de rouge et de noir... Des mètres de tissu noir pour habiller la scène. Des mètres de velours rouge pour le rideau. De la moquette pour réchauffer les allées. En l'absence de loge, Barbara s'installe dans une roulotte adossée au plateau. Et comme toujours, celle-ci se transforme vite en un camp retranché aux allures de tente berbère  :  tapis, tissus, châles, bijoux, boîtes en tous genres, sans oublier les rokings, qui la suivent, toujours transportés de Précy.A Pantin, elle est une femme heureuse. Sur scène, elle est la vague qui s'enroule au bras de chaque spectateur. Pantin marque un tournant dans sa carrière. C'est un public renouvelé, élargi qui découvre médusé, la magie Barbara.
Le soir de la dernière représentation, elle écrit  Pantin, à l'intention de son public. " Vous avez bousculé le ciel, vous avez repoussé l'hiver et réinventé les étés. Pantin merveille, Pantin miracle... "
A cette occasion, Barbara accepte pour la première fois que son tour de chant soit filmé intégralement par les caméras de Guy Job, non sans avoir posé ses conditions. Exigence numéro un  :  si elle n'est pas satisfaite des images et du montage, le film ne sort pas. Exigence numéro deux  :  elle ne veut pas voir les caméras, ni qu'on change les lumières pendant les trois soirs de tournage, pour ne pas gêner les spectateurs ni elle-même. Au moment du montage, Barbara mettra en scène son spectacle. Pas de pianos volants ni d'effets spéciaux, mais une heure quarante de connivence, d'émotion pure, de frissons, d'ivresse et de vérité entre Barbara et son public.

Mardi 13 janvier 2009 à 11:26

http://mybabou.cowblog.fr/images/barbararueremusat.jpg

Barbara rue Rémusat


 Barbara veille sur ses proches, protectrice et féroce comme une louve aux aguets. Pas de méprise : cela ne veut pas dire qu'elle soit toujours tendre avec eux, au contraire ! Mais son intransigeance et sa possessivité ont aussi leur bon côté : dès qu'elle vous admet dans son cercle, vous pouvez être sûr qu'elle va monter la garde. " Si on l'avait appelée au milieu de la nuit en lui disant " Je suis perdue "  elle serait venue immédiatement,  a insisté Nadine Laïk. Il ne fallait pas toucher à un seul de nos cheveux ! "   Barbara peut tout lâcher en une seconde pour sortir un ami ou un parent d'une mauvaise passe. C'est arrivé plusieurs fois. Avec sa mère, bien sûr, qu'elle avait installée dans son immeuble de la rue Rémusat ( Barbara loue un appartement récent composé d'un salon, une cuisine et une chambre au septième et avant dernier étage de l'immeuble ) pour pouvoir veiller sur elle quasiment jour et nuit. D'ailleurs, ceux qui les ont observée de près ont gardé en mémoire des dizaines d'histoires et de coups de main en catastrophe... Barbara a toujours été là pour soutenir Esther, moralement et matériellement. Madame Serf n'avait pourtant rien de ces femmes âgées perdues sous le poids des ans et de la fatigue : en 1961, date de l'installation rue Rémusat, elle n'a que cinquante-six ans. Mais rappelez-vous : entre elles les rapports s'étaient curieusement inversés après la mort du disparu de Nantes. " Elle deviendra elle-même mon enfant chérie que j'assumerai, protégerai toujours et du mieux que je pourrai. "  C'est effectivement ce qu'elle fit. Avec son frère aussi. Le plus jeune, le plus fragile. Celui qu'elle promenait en chantonnant dans son landau de nouveau-né sur la place de Saint-Marcellin. Toute sa vie Barbara s'en est occupée, de loin ou de près. Elle fut là. Attentive et soucieuse. Infiniment délicate, malgré les écorchures de l'existence.  " Comment l'épargner sans pour autant se laisser déchirer au point de ne plus être suffisamment disponible pour lui ? "  Il y a, dans se mémoires, des questions rares qui en disent long. Barbara aimait profondément les siens et tentait de les protéger du mieux qu'elle pouvait.

 Idem avec ses amis, son autre famille. Barbara déploya pour eux des trésors d'écoute et d'attention. Elle a su les comprendre et les rassurer avec un raffinement et une perspicacité hors du commun, presque terrifiants, tant ils sortaient de l'ordinaire. Il n'est que de lire les quelques pages que Marie Chaix a consacrée à la dame de Rémusat, dans son roman  L'âge du tendre, pour saisir à quel point Barbara a pu l'aider à accoucher d'elle-même. Lui tenir la main pour passer le gué de ses angoisses enfouies, lui souffler les mots justes pour permettre aux siens de s'échapper enfin, la deviner tout entière pour pouvoir mieux la guider. Au moment de leur rencontre, Marie avait une vingtaine d'années, elle n'avait encore rien raconté de son père, égaré pendant la guerre, mais Barbara, sûrement, avait senti...  " Parle-moi de ton père "  Je me suis mis en route. Elle venait de déverrouiller une porte. Je ne sais plus ce que je lui dis. Sans doute tout. Ce jour-là, Barbara écouta et apaisa, ce qui changea tout. Plus tard, Marie Chaix expulsa le passé dans des livres bouleversants.


http://mybabou.cowblog.fr/images/remusat2.jpg

14, rue Rémusat 75016 Paris

Mardi 30 décembre 2008 à 8:44

http://mybabou.cowblog.fr/images/CarteastraldeBarbara.jpg


Thème astral, carte du ciel et planètes pour
BARBARA,
née le lundi 9 juin 1930 à 16h00 à Paris (France)

Soleil en 18°02 Gémeaux, AS en 25°05 Balance,
Lune en 28°58 Scorpion, MC en 2°17 Lion

Astrologie chinoise : Cheval

Son élément : Métal

Sa planète : Saturne

Son métal : Mercure

Sa pierre : Beryl

Mardi 4 novembre 2008 à 7:54

http://mybabou.cowblog.fr/images/cbggh.jpg


Le lendemain matin, après une courte nuit en dents de scie, jalonnée des beaux souvenirs de la veille, je suis réveillée à 8 heures par le téléphone.  " Allô, Alice ? C'est Barbara... Tu sais, je n'ai pas cessé de repenser à cette journée d'hier... C'était magnifique... Et chanter comme ça L'aigle noir avec eux... Alors je viens d'appeler mon agent, Charley Marouani, et je lui ai commandé quatre-vingt-dix places pour le Châtelet pour tes petits, tu penses que ça les intéressera de venir me voir sur scène ? ... "  Non, bien sûr ! Ils vont détester ! Cette femme est incroyable.  " ... Mais je me trouve devant un dilemme... et je voudrais avoir ton avis là-dessus... Soit je les invite pour la première publique et je peux les loger à l'orchestre, soit je les invite pour la générale de presse, où là ils seront en corbeille, au premier balcon, mais pile en face quand même, parce qu'en bas ce sera blindé avec les invités, la presse et tout et tout... Qu'en dis-tu ?  Moi, je dis que n'importe quel jour, et assis n'importe où, c'est bien !   " Bon... OK, mais tu ne m'aides pas, là... Alors on va dire pour le soir de la générale, ça te va ?... "  Allons-y pour la générale. Entre sommeil et réveil, j'ai du mal à articuler, ce qui ne freine pas l'enthousiasme de Barbara dont je me demande si elle dort de temps en temps.  " Alors, c'est OK. On dit quatre-vingt-dix places pour la générale. Je te rappelle dès que j'ai les billets pour te les envoyer. Ce sera début novembre. Tu crois qu'ils chanteront L'aigle noir avec moi du balcon ? C'était tellement beau, à Gentilly. Tu sais, cette chanson n'a jamais été reprise en cœur par le public... Il n'y a que lorsque je chante dans les prisons de femmes que le public la reprend... En tout cas, j'aimerais beaucoup... Bien sûr, toi tu seras en bas avec Lolo ! Je te laisse, je rappelle Charley pour les places. Je t'embrasse fort, mon Alice. Je t'aime "  Mais oui, bien sûr... Moi aussi je t'aime, tu sais, mais te dire ça, comme ça, au réveil, c'est dur ! Et ce qui fut dit fut fait. Barbara m'a appelée un jour du mois d'août, affolée par les quatre-vingt-dix billets qu'elle venait de recevoir et sur lesquels figuraient déjà son nom et la date du spectacle au Châtelet.  " ... Tu te rends compte, mon Alice, on est à trois mois du spectacle ! C'est la première fois que je vois des billets si tôt ! Il y a déjà mon nom dessus et je sais même pas encore ce que je vais leur chanter... Et je ne sais pas non plus dans quel état je serai dans trois mois... Tu te rends compte ?  "  Alors ça... C'est tout Barbara !
 
Le 7 novembre 1993, les quatre-vingt-dix élèves sont aux premières loges, répartis sur les trois rangées centrales du premier balcon du Châtelet. Pas un seul n'a osé se risquer à chanter L'aigle noir en même temps que Barbara. Mais aucun n'oubliera jamais sa plus belle histoire d'amour en musique, d'un beau jour mais aussi d'une nuit.

Extrait du livre

http://mybabou.cowblog.fr/images/5/4532021.jpg

Lundi 20 octobre 2008 à 20:52

Dessin Luc Simon  -  1963


Lorsque les mômes, à ma demande, et après qu'on leur eut distribué un texte, ont entonné L'Aigle noir, Barbara s'est tue, enfoncée sur sa chaise, tête baissée, les yeux fermés, tout à côté de moi. Jusqu'à la fin du troisième couplet. Et là, j'ai senti sa main venir chercher un des micros que j'avais conservés sur mes genoux. Puis elle s'est levée et a rajouté sa voix à celle des élèves, prenant le temps d'embrasser tendrement sur le front chacun des quatre-vingt-dix présents, avant de remonter doucement les quatre marches qui menaient jusqu'à la scène toujours en chantant, mais seule, et a capella cette fois. Instinctivement, certains ont alors rallumé leur briquet, ce qui m'a amenée à éteindre la lumière. Comme à son arrivée. Et Barbara est sortie dans le contre-jour du soleil déclinant qui filtrait par la porte, de la même façon qu'elle était entrée. Comme un aigle noir qui regagne le ciel. Une belle sortie de scène. Comme pour une dernière à Mogador. Elle m'avait dit 17 heures. Il était 20 heures, et tout le monde pleurait. Je n'ai pas tardé à suivre les pas de Barbara, avec qui il était convenu qu'elle rejoigne le bureau pour m'attendre avant de prendre congé. " Bah, tu vois, maintenant je boirais bien un p'tit coup ! " me lance Barbara sur un ton enjoué en me voyant enfin arriver. Puis elle ajoute : " Mon Alice, je me suis régalée. Ils sont beaux, ils chantent bien, ils semblent si heureux avec toi... C'est bien. Tu crois qu'ils sont contents de la journée ? " Comme dans sa loge à Mogador, quand elle m'avait demandé si j'avais aimé son spectacle. Bien sûr, qu'ils ont aimé. Et plus encore ! Je lui raconte ma sortie dans la cour avant de traverser le hall pour rejoindre le bureau, quand il m'a fallu enjamber quelques petits groupes assis çà et là, certains prostrés et silencieux sur les marches, d'autres enlacés par trois ou quatre qui pleuraient à chaudes larmes en me remerciant au passage. Oui, " Babou " vraiment, je crois qu'ils sont contents de la journée !

Extrait du livre


 

Samedi 18 octobre 2008 à 12:51

 


Noir. Tout le monde s'est tu et attend. Je ne sais pas pourquoi mes jambes se sont mises à trembler et mon cœur à battre la chamade. Mon front s'est mis à perler de sueur lorsque j'ai appuyé sur l'interrupteur et que Pompon a envoyé la musique que j'ai reconnue aussitôt. Mais plus le temps de réfléchir, car la porte vient de s'ouvrir doucement sur une immense silhouette uniquement éclairée par le soleil du dehors. Je comprends, bien avant tout le monde, que cette ombre magique qui vient de pénétrer sur scène n'est pas celle de Johnny Hallyday. Parce que je sais, pour l'avoir vue chanter depuis mon plus jeune âge, qu'il n'y a qu'une personne au monde capable de déployer aussi majestueusement ses longs bras dans l'espace, tandis que la porte vient de se refermer et seule la lueur des briquets éclaire maintenant la haute silhouette qui s'avance vers nous à petits pas. Quatre-vingt-dix mains sont tendues vers la scène, toutes flammes allumées, et en même temps que vient de jaillir un soupir unanime, la moitié s'est éteinte, puis se rallume, laissant Barbara plantée telle une statue d'ébène en plein milieu, juste au-dessus de nous, comme si elle venait d'entrer sur la scène de Mogador, un soir de première. Je suis le premier à m'aventurer pour l'applaudir, puisque j'en ai laissé tomber mon briquet. Tout le monde s'empresse de faire de même, tandis qu'Alice rallume la salle et pose sur moi un regard plein d'étoiles comme pour me dire " Tu vois, c'est elle, cette fois, qui est venue jusqu'à toi ! " Puis elle tend la main à Barbara pour l'aider à descendre l'escalier. Mais celle-ci est restée en place, derrière le micro, comme pour se mettre à chanter, et c'est un  :  " Bonjour à tous " qu'elle nous adresse, ne laissant apparaître de son visage qu'un large sourire, ses yeux étant dissimulés par de grandes lunettes cerclées de noir aux verres opaques que quelques mèches brunes obscurcissent encore plus ça et là. " Je suis si heureuse de vous rencontrer enfin ! Je vous ai observés depuis un moment, dehors, dans la rue... " Elle parcourt la salle du regard, comme à la recherche d'un visage particulier, et le pose enfin sur une brunette aux yeux rieurs. " Ah oui, c'est vous là... quel est votre prénom ? " - " Séverine, m'dame " Une vague de rires et de protestations s'est élevée dans la salle. " ... Mais que se passe-t-il ? " - " Euh, non... Enfin... C'est que... tout le monde me surnomme Lulu, m'dame ! " - " Lulu?... Alors allons-y pour Lulu ! Ca vous va bien, d'ailleurs, Lulu ! Bref, je vous ai vue tout à l'heure avec votre walkman, vous étiez très joyeuse, c'était magnifique... Vous sembliez si heureuse de chanter et de danser... Un vrai bonheur de voir ça ! " - " Pas d'quoi, m'dame ! " a rétorqué Lulu. Et toute la salle d'éclater de rire avant que Barbara n'ajoute  :  " Mais je suis là d'abord pour vous écouter un peu, et après, si vous voulez bien, on discutera tous ensemble, j'ai tellement envie de parler avec vous... " Puis Alice a attrapé la main que lui tendait Barbara pour l'emmener s'asseoir tout au fond de la salle. Et voilà ! C'est aussi simple que ça, Barbara ! A ce moment précis, je comprends pourquoi je suis entré un jour aux Studios Alice Dona : pour savourer, ne serait-ce qu'un court instant, la magie d'un moment comme celui-là ! Cet instant dont j'ai rêvé depuis ma plus tendre enfance : rencontrer Barbara, celle qui m'a donné l'envie des mots sur des notes de musique. J'ai alors plus que jamais la certitude de ne pas m'être trompé de parcours. Merci d'être passé sur notre chemin, mon cher Aigle noir. Mais que d'émotion en perspective, puisque Alice m'a fait savoir que je devrais aussi chanter devant l'invité. J'ai, bien sûr, accepté, ne sachant, à ce moment-là, de qui il s'agissait ! Alice, je te revaudrais ça !

Jean-Christophe ( Elève d'Alice Dona )

Mardi 14 octobre 2008 à 10:17


Trois ans plus tard, un matin d'avril 1993. " Allô, Alice ? C'est Barbara. Excuse-moi de ne pas t'avoir appelée plus tôt mais j'ai eu beaucoup de travail et quelques petits soucis de santé, aussi, qui m'ont obligée à reporter mon spectacle du Châtelet à la rentrée de novembre. Mais tout cela est passé et tout est en ordre maintenant... " Je n'ose pas lui poser de questions pour avoir plus de détails sur son état de santé, puisque l'allusion qu'elle vient d'y faire n'appelle pas de demande de supplément d'information. " Je t'avais proposé de venir voir tes petits et j'aimerais vraiment le faire, alors si tu penses que ça peut toujours les intéresser... " Il y a des moments où l'on n'ose plus penser à quoi que ce soit, et je m'entends bredouiller un banal : " Bien sûr... " , avant qu'elle poursuive. " Dis-moi, mon Alice, c'est quand, la dernière date des cours ? " Vite le calepin ! " C'est le vendredi 2 juillet... " Ok donc, on va s'adapter ! " Alors c'est parfait, je viens le 2, d'accord ? Tu me rappelles quelques jours avant pour que nous convenions de l'heure et que tu me donnes l'adresse et tout... Je me réjouis à l'avance, mon Alice. Je t'embrasse et je t'aime fort ! " Oui, évidemment, c'est aussi simple que ça avec Barbara ! Moi aussi, je l'aime fort, bien qu'on ne se connaisse que depuis peu, et encore mal, mais je n'oserai ni ne saurai jamais comment le lui dire... En attendant, me voici avec un bel engagement à respecter sur les bras ! Comment recevoir dignement Barbara ? Une femme rare, que nul ne voit jamais autrement que sur scène, et encore ! Je suis certaine que la moitié des élèves ne connaissent d'elle que L'Aigle noir. Trouvez le " truc en plus " qui fera de ce dernier jour de cours de la session 92-93 un des plus beaux derniers jours que nous ayons vécus au sein des SAD. 14 heures ( précises ) On a frappé à la porte du bureau. Avec le cœur qui bat dans tous les sens, j'ouvre à Barbara, qui déploie de ses long bras les ailes de son grand châle noir pour m'envelopper et m'embrasser. " Quel bonheur, mon Alice... Ils ont l'air adorables, tes petits... " Comment ça, " Ils ont l'air adorables, mes petits ? " Elle ne les a même pas encore vus ! Devant mon air dubitatif, et après que je l'ai invitée à s'asseoir, Barbara s'explique et se confond en excuses, en se pelotonnant dans le grand fauteuil noir. " J'espère que tu ne m'en voudras pas... Je suis arrivée avec mon chauffeur vers 12h30. Je lui ai demandé de stationner à bonne distance pour qu'on ne nous repère pas ; j'ai regardé " tes petits " sortir pour aller au bistrot d'en face par petits groupes. J'en ai même aperçu une géniale, avec son walkman sur les oreilles, qui dansait et chantait en traversant la rue, très gaie, très joyeuse, formidable. Ils ont l'air bien, ces enfants. " J'explique à Barbara le scénario de l'après-midi, en lui précisant que, à 14H30 pétante, elle devra se poster derrière la porte de la cour jusqu'à ce qu'elle entende de la musique, puis entrer en faisant attention au fait que la scène sera ensuite dans le noir total. Sentant sur moi un regard inquiet, je tente de la rassurer en ajoutant : " Je t'attendrai juste au pied de l'escalier de la scène pour t'accompagner au fond de la salle, là où j'ai placé deux sièges vides avec deux micros pour le débat... " - " Bien, bien ! tout ça me semble peut-être un peu trop, non ? Mais si tu as prévu les choses ainsi, je te fais confiance. Dis-moi, surtout tu ne me laisses pas seule dehors trop longtemps, n'est-ce pas ? " Mais, non, bien sûr ! " Alors, d'accord ! On y va, mon Alice ?... dit-elle en se déployant de son siège. Ah ! j'oubliais, juste une petite chose... Sois gentille de me prévenir dès qu'il sera 17 heures, j'ai de la route ensuite, et je ne voudrais pas rentrer trop tard à Précy... Et puis-je utiliser tes toilettes avant ? " Mais bien sur ! Où avais-je la tête ? Il est vrai que même lorsqu'on s'appelle Barbara, on va aux toilettes ! Comme tout le monde !

Extrait du livre


 

Lundi 13 octobre 2008 à 9:21


Je m'autorise malgré tout, certains soirs, à assister aux concerts des artistes que j'aime. Or ce soir-là, il n'est pas question pour moi de manquer le récital de Barbara à Mogador. La plus belle leçon qui soit d'échange d'émotions, de générosité et d'amour entre le public et la grande dame brune. Depuis un enregistrement mémorable au début des années 80 avec vingt-six chanteuses d'un titre écrit en collaboration avec Claude Lemestre au profit des femmes d'Afrique ( La chanson de la vie ), j'ai aimé ce contact qu'on a gardé, Barbara et moi, à travers les faxs que nous échangeons périodiquement pour nous donner des nouvelles de l'instant. Et Barbara adore les choses d'un instant ! Coups de blues, grandes joies, quelques mots suffisent pour conserver le lien affectueux qui nous unit, même à distance, même rarement. Il m'apparaît donc tout à fait normal d'aller, ce soir là, la féliciter dans sa loge à Mogador, chose que je n'aurais jamais osé faire avant de la connaître personnellement, comme c'est le cas avec quelques rares chanteurs. Dans l'entrebâillement de la porte, j'aperçois alors Barbara, affalée dans son fauteuil, le visage encore tout ruisselant de la performance accomplie. Elle se lève d'un bond en découvrant ma présence et me tend les bras pour m'envelopper chaleureusement.  " Ah, mon Alice ! ça me fait tellement plaisir que tu sois venue. Alors ?... Tu as aimé ? "  Ca, c'est la question qui tue ! Comment trouver les mots quand on vient d'être, comme moi, submergée par l'émotion du début à la fin du spectacle ? Je ne peux que me blottir fort dans les grands bras qui m'entourent et l'embrasser tendrement en ponctuant l'étreinte d'un  :  " Merci "  Tout court ! Mais voilà notre Barbara qui s'emballe soudain.  " Alors, Alice ! Comment va ton école ? C'est une idée formidable que tu as eue là. J'aimerais bien venir voir tes petits. J'aurais plein de choses à leur dire, car je sais que ça ne doit pas être facile pour eux tous les jours. Alors, je te propose un truc : je fini Mogador, après je pars en tournée, je m'occupe un peu de mon jardin et je me terre à Précy pour écrire un peu pendant l'été... Bref, je t'appelle après tout ça et, si ça te dit, on prend date ! "  Autant demander à un aveugle s'il aimerai voir, ma chère  " Babou "  !  Mais bien sûr que ça me dit ! Dimanche ou lundi aussi, si tu veux ! Ne t'inquiète pas, nous saurons attendre, et on fait ça quand tu peux, quand tu veux. Les mômes seront aux anges. En même temps que je lui réponds, je n'y crois pas trop... Et pourtant...

Extrait du livre

Mercredi 24 septembre 2008 à 14:06


 

Il a signé les lumières de Gainsbourg, d'Hallyday, de Renaud, de Jane Birkin, de Goldman, de Julien Clerc, de Dutronc, et de beaucoup d'autres. Il garde pourtant de ses vingt années de travail et d'amitié avec Barbara une saveur toute particulière. L'affiche de Pantin trône en bonne place dans son appartement. Dessus, une dédicace de la dame : " magicien, tu es un magicien "


Barbara a toujours eu vingt ou vingt-cinq ans d'avance sur son temps. Dans sa façon d'être comme dans son travail. C'était une femme terriblement libre. L'un des êtres le plus libre que je connaisse. Elle imaginait des spectacles fantastiques. Si Lily Passion ne fait pas l'unanimité, c'est parce qu'il est très audacieux, novateur, fondamentalement d'avant-garde. Barbara doit être la seule avec Michel Berger à avoir fait mentir ceux qui prétendent qu'on ne sait pas faire de comédie musicale de ce côté-ci de l'Atlantique... Pour travailler avec elle, il fallait enfiler sa robe de bure et être disponible à 100% C'est chez elle que se faisait l'essentiel de la préparation. Je passais deux ou trois jours à Précy, on débattait des chansons, on parlait de climat, d'univers. Quand elle arrivait sur scène, nous étions tous hypnotisés, captivés par cette énergie, cette femme qui se donnait à fond. Elle savait parfaitement se déplacer, d'une façon étrange... Elle était d'avant-garde, là encore, avec ses gestes exagérés, son genou levé très haut, sa façon de tourner comme un Derviche ! Elle aimait la mise en scène. C'était une femme de spectacle, une femme de music-hall. Elle était totalement incontrôlable, elle prenait parfois des risques énormes. Je me souviens d'un récital en Hollande où l'on avait prévu de baisser une trappe entre deux chansons. Je lui avais dit  :  " pas question de revenir à ce moment-là, il y aura un trou énorme dans la scène, Restez en coulisses. " Devinez  :  elle a voulu revenir ! Il a fallu que Romanelli la retienne de toutes ses forces pour qu'on évite la catastrophe. Elle a eu de la chance. Elle sortait toujours de scène au bord de l'évanouissement. Elle n'a jamais compté ses efforts, même quand elle était fatiguée. On lui disait  " doucement, doucement. "  Mais on savait que c'était peine perdue. Et puis jamais personne ne m'a fait autant rire. Il fallait la voir, sur la plage de Marseille, avec tous ses froufrous noirs, nous regarder jouer au foot à neuf heures du matin et hurler pour nous encourager ! Barbara n'était pas une femme noire. Elle était terriblement drôle. On riait, avec elle, jusqu'à l'asphyxie. Tout le monde l'adorée. Je me souviens d'Hallyday au Zénith me disant  :  " fais-moi des lumière comme tu as fait à Barbara  "  Je me souviens aussi d'elle, allant voir Sardou en coulisses, et lui faire changer trois fois de ceinture... Il s'exécutait sans mot dire ! Pour moi, Barbara restera une sorte de mère spirituelle. C'était une très très grande humaine. Colossale d'âme. Tous les artistes m'ont apporté, mais elle...particulièrement. Pour moi, elle n'est pas morte. J'ai encore ses fax sur mon bureau, ses petits mots  :  "  viens voir l'automne à Précy, il est magnifique  "...


Jacques Rouveyrollis

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | Page suivante >>

Créer un podcast