Vendredi 6 août 2010 à 8:01

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Il y a une grande différence entre éclairer un spectacle à Paris dans le même lieu chaque soir et l'éclairer chaque soir dans une ville différente. Si c'est un théâtre, il vaut mieux travailler avec les éclairages de ce théâtre ; si c'est une salle polyvalente, il faut inventer. Van Huan, très beau, très fin, très introverti, a exellé dans ce travail ; j'ai aimé travailler avec lui.
J'ai également eu affaire à un personnage pittoresque, un Chilien que j'avais surnommé " Yo-no-sé " : quoi qu'on lui demandât, il répondait invariablement par cette formule. A ma demande, Rouvey avait placé de trois quarts un projecteur gélatiné en rouge dans les coulisses, derrière Gérard Daguerre, qui nous permettait de bien nous voir, les musiciens et moi. Cet éclairage était impératif ; sans lui, nous étions dans un trou noir. Pas une seule fois  " Yo-no-sé " ne le  " mémorisa " dans la console. Je hurlais, la tête tournée vers les coulisses, et  " Dada ", qui me voyait en difficulté, hurlait à son tour dans le casque de  " Yo-no-sé " pour obtenir le  " trois quarts rouge ". Un soir, dans un  " Zenith " où je ne voyais plus rien, vraiment rien, et où je vitupérais, menaçante, un machiniste qui se trouvait là et qui m'entendait réclamer mon trois quarts rouge se tourna vers  " Dada " : 
" Elle réclame son rouge, c'est-y qu'elle boit ? " !
Lorsque  " Dada " m'a rapporté l'anecdote à la sortie de scène, le fou rire a calmé tout le monde... pour un soir !

Extrait du livre de Barbara  " Il était un piano noir "

Samedi 19 juin 2010 à 8:51

Lundi 8 mars 2010 à 7:30



Conversation autour de Barbara

Lundi 31 août 2009 à 8:45

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Mes premières chansons d'elle, je les ai entendues dans un juke-box, quand j'étais môme. Dis, quand reviendras-tu ? je me souviens... Je me souviens aussi de l'album à la rose, plus tard. Elle avait une manière de jouer du piano très spéciale, une technique  " raccourcie  "  un truc à elle. Tu peux essayer de faire comme elle, ça ne sonne pas pareil. A ses côtés, il y avait toujours un accordéon ; elle l'aimait pour sa voix humaine sans doute, pour son côté tzigane, tour à tour douloureux et joyeux, et peut-être parce qu'il est transportable, c'est un orgue à  pattes, un orchestre à lui tout seul. A mes débuts, elle m'écoutait poétiser au Port du Salut, un des derniers cabarets de Paris, le quartier général de Richard Marsan, le directeur artistique de Léo Ferré, et le mien. Juliette Gréco, Michel Piccoli, Maurice Fanon... étaient comme elle des habitués du lieu. Elle avait un charme fou, c'était une diva, comme Juliette. Même classe, ( elle, en plus auteur-compositeur : ça donnait une autre lumière ) Bien après je suis allé à Précy, pour essayer de lui écrire des textes, mais aussi pour rigoler. Même à la maison, elle avait l'air d'être en tenue de scène, pantalon fluide et col de reine. Elle répétait dans son théâtre, parfois seule ;  j'étais admis de temps en temps. Avant Mogador ( je l'y ai vue trois fois ) les répétitions ont été longues. Mogador, le Châtelet, c'étaient des théâtres parfaits pour elle. Pantin, c'était rock, je me demandais comme elle allait faire, et tu as vu : elle remplissait l'espace. On a tendance à mettre les divas dans des cocons ; elle était sortie du sien, et ça lui a ouvert un autre public. Difficile de chanter mieux qu'elle. Cette façon qu'elle a de placer les mots, ce contre-chant dans le chant... Difficile d'écrire mieux qu'elle, aussi. Elle a un amour gourmand des mots. Pierre par exemple, chanson intimiste, chanson-confiture, une des rares chez elle qui ne ressemble pas à un ouragan. Le mal de vivre, c'est un ouragan intérieur. Elle a le talent de scénariste, aussi : la situation se retourne toujours, dans ses chansons. Nantes est à part. J'ai toujours été intrigué par ce texte étrange, très pictural, en clair-obscur. Assis près d'une cheminée... La lumière était froide et blanche... On voit Vermeer, on entend Baudelaire. Et ce dernier vers, seul à parler du père, et de pardon, d'une certaine façon... La chanson est mystérieuse, mais quand tu sais ce qui s'est passé avec son père, elle l'est encore plus, à cause de ce pardon suggéré. Tu peux l'écouter à plusieurs niveaux. Dans d'autres, on sent le travail, dans celle-là, le jaillissement. Pour moi, Barbara est à la même altitude que Léo. Chez les deux, il y a du baroque, et du latin. Elle a un style plus dépouillé ( pas un mot, pas une virgule de trop dans Le mal de vivre ) et une interprétation plus théâtrale Férré " ténorise " comme un Italien, sauf dans La Mémoire et la Mer. Juliette Gréco a raison de dire que l'interprétation est une troisième écriture... Barbara est plus proche de Brassens ( qui, lui, s'éffaçait derrière ses chansons ) pour le dépouillement de l'écriture, et de la revue et du chant classique pour l'interprétation. Etonnant mélange. Cette femme à la fois sensuelle et masculine est elle-même un mélange mystérieux et attirant. Avec son côté grande liane exotique, je la vois bien dans les années 1920, garçonne habillée par Poiret et dansant sur un volcan...

Bernard Lavilliers  ( Chanteur Compositeur )

Jeudi 20 août 2009 à 8:47

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Au moment du procès de la transfusion sanguine, les audiences donnent lieu à de violentes manifestations. Barbara réagit  :

-  Les militants d'Act-Up bougent..., c'est leur raison d'être, leur vocation, leur courage, le silence c'est la mort. Pendant des années, on s'est tu. Et sur la prévention, sur l'information, on s'est tu ! J'ai entendu souvent  :  "  On va le faire, on va le faire... " Nous avons tous entendu cela. Pendant ce temps, l'épidémie courait, le mal n'attendait pas.

Instant choquants où des familles endeuillées réclament la justice. Procès ambigu où tout ne peut être dévoilé, où la médecine se compromet..., où l'Etat est impliqué. Barbara souffre mais garde la tête froide, elle n'est pas dupe et porte un jugement sans appel au sujet des quatres inculpés.

-  Ce ne sont pas quatre personnes..., c'est beaucoup plus. S'il y a eu crime, c'est un crime collectif. Que dire ? Bien qu'on le nie, c'est une grosse affaire d'argent. Pourquoi certains médecins qui soignaient les hémophiles se sont-ils tus ? Pourquoi tant de gens se sont-ils tus ? Je ne suis pas là pour juger. Je ne sais pas qui est coupable, qui ne l'est pas. Il y a toujours des responsables. Ce qu'il y a aujourd'hui, c'est un état de désespérance.

Pas de haine dans les propos de Barbara, mais une révolte constante à une certaine indifférence collective, pour 
 "  ne pas laisser s'ensommeiller les consciences.  "

-   C'est terrible, il y a comme une lassitude autour du Sida. On ne peut pas continuer à dire  "  ah, c'est vrai, on a oublié de faire de la prévention, mais aujourd'hui, on vous le dit, c'est une maladie gravissime.  " 

O sid'assassin
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Qui a mis l'amour à mort

Drôle d'époque ! Les juges d'un tribunal du Sud-Ouest exigent la désinfection de la salle d'audience lorsqu'ils apprennent qu'a comparu devant eux une personne probablement atteinte du sida ! Le maire d'un petit village du Calvados, en 1993, fait murer un puits parce qu'un homme atteint du sida s'y était jeté pour se suicider !

-  Où allons-nous vraiment? On a honte d'exister dans ce monde frileux. Ne baissons pas les bras. Continuons à nous battre, comme les infirmières qui sont toujours présentes. Soyons vigilants. Vigiler, c'est ça..., il faut vigiler. A force d'être frileux, ce sera l'hécatombe. Ces morts, ce sont les nôtres. Il ne faut pas cesser d'espérer, il faut rester ensemble, les yeux ouverts.

Malgré les progrès constants, particulièrement fin juin 1997, où le département américain de la santé et un groupe d'experts internationaux émettront de nouvelles recommandations d'utilisation des médicaments anti-VIH, Barbara continue à penser qu'il y a un manque terrible et pas d'information.

-  On ne sait pas partout ce qu'est la maladie ; on ne sait pas que certaines infections peuvent être traitées et même prévenues. Il paraît invraisemblable qu'il n'y ait aucun spot aux heures de grande écoute sur les centre de dépistages gratuit. Il paraît invraisemblable que l'on n'ait pas montré comment on met un préservatif. Il n'y a toujours pas de distributeurs de préservatif dans la quasi-totalité des lysées. (...) Certains parents pensent qu'il ne faut pas laisser rentrer l'amour dans les lysées. Mais alors ? Faut-il laisser rentrer le sida ? De même, on connaît l'efficacité d'échanges de seringues. Qu'avons-nous fait ? On va regarder les enfants mourir, c'est ça ?

Extrait du livre

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Mardi 18 août 2009 à 8:41

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A chaque spectacle, la vérité absolue, elle se consume, elle est l'amante et instaure un véritable dialogue d'amoureux avec la salle. Sa sincérité est extrême, elle va, elle s'abandonne. Plus d'une fois, derrière le rideau, elle s'écroule... Avant l'enregistrement public, elle a un vrai problème physique, les musiciens la voient changer de couleur. Sergio ne la quitte pas des yeux. Au final de L'Aigle noir, pendant la reprise symphonique, le plateau est mis à nu. Magnifique, Barbara apparaît au fond, sur un  "  fly-case  "  de vingt mètres de long. Un soir, malgré quelques milliers de watts autour de lui, Sergio croit entendre hurler  "  Je t'aime  "  Il se dit  :  ça ne peut pas être elle, pourquoi ferait-elle ça ?  "  J'essaie de distinguer, j'ai un doute. Je pense que ce  "  Je t'aime  "  est lancé par un admirateur passionné, je ne dis rien. Tout d'un coup, j'ai l'absolue conviction que ce cri d'amour vient de Barbara. Le lendemain, avant le concert, je vais lui parler  :
- Barbara, vous êtes folle, vous ne pouvez pas faire ça...
- Mais pourquoi ?
- Vous n'avez pas le droit de prendre ce risque tous les soirs !
- Pourquoi tu l'entends ?
- Bien sûr. Vous vous rendez compte du danger de crier comme ça ?
- Viens, viens...
Elle m'emmène au fond de la scène, sur le  "  fly  " ...
- Sergio, tu ne peux pas savoir, tu ne peux pas savoir, je ne peux pas me retenir. Quand tu vois l'amour de ces gens, quand tu vois l'amour qu'ils m'envoient comme ça et que je prend, je ne peux pas me retenir, je suis obligée de leur dire que je les aime aussi. Ca me rentre de partout, ils m'envahissent, c'est un cri que je leur donne, je n'en suis pas consciente, je sais que je rentre dans un état second, je ne peux pas faire autrement...

Sergio Tomassi  ( Accordéoniste )

Vendredi 14 août 2009 à 9:01

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La semeuse de refrains est une amoureuse. Exaltée et volage, amante passionnée et victime consentante. Elle n'imagine pas que l'amour puisse être tiède, qu'il lui soit autorisé de s'éroder lorsqu'il se frotte aux habitudes et au temps. Elle se veut livrée entière à la chaleur de la brûlure, à la douleur de ses morsures. Hubert la découvre un soir à L'Ecluse et leur amour prend comme un feu d'été, indomptable et exubérant. Elle voudrait être certaine qu'il l'aime, le lui réclame jusqu'à plus soif. Quand son diplomate la quitte pour retourner à Abidjan où il vit à mi-temps, elle se désarticule, se dévitalise. Elle chante à minuit et attend un signe tout le reste du jour  :  une poignée de mots cachetés, un coup de fil, ou qu'il pousse une porte. Lorsqu'il reparaît, les jours ne sont plus assez longs pour contenir tant d'amour. Il s'échappe à nouveau, l'exhorte à le rejoindre. Ils ont des orages. Barbara, féline, rentre ses griffes et ses violences. Elle se fait petite et douce aux heures de l'amour mais bondit soudain, pareille au cabri. Elle chatouille la quiétude du moment pour lui donner quelque fulgurance, tire sur ses liens pour en garder aux poignets la trace rougeoyante et douloureuse. L'assurance de se sentir vivante, infiniment aimée et désirée. J'ai besoin d'être dominée, je crois, comme beaucoup d'entre nous. Moi, j'ai besoin d'avoir constamment au poignet un bracelet d'argent cerclé, d'esclave. Parce que l'absence d'Hubert est un poison dans ses veines, elle convainc finalement les patrons de L'Ecluse de la laisser s'échapper un temps pour se rendre en Côte-d'Ivoire. Il n'est pas question de dépendre de lui, et encore moins de ne pas chanter, aussi la proposition d'engagement de Jo Attia, qui vient d'ouvrir un cabaret à Abidjan, tombe-t-elle à point nommé. Le Refuge, c'est un peu Chicago en pleine Afrique avec son lot de brigants bien sapés et de réglements de comptes à l'emporte-pièce. Ici les hommes ont le sang chaud, et c'est bien étrange de faire chanteuse entre une danseuse du ventre et une strip-teaseuse. Il y a aussi les soirées des nantis, blanc, bien sûr, qui contemplent leurs nombrils et leurs riches atours, et toutes ces femmes qui battent des cils sur le passage d'Hubert et qui, pire, réclament à Barbara une chanson, ce dont elle ne leur fera jamais la grâce. Ce spectacle pathétique lui porte au coeur et elle enrage de se nier de la sorte, même par amour. L'Ecluse la rapelle, elle laisse Hubert mais s'en va avec la promesse qu'il la rejoindra dans quelques semaines. Les arbres se dépouillent de leurs cheveux d'été, le ciel s'alourdit et se grise, et lui qui ne revient pas... L'absence est une maladie terrible, une lèpre qui grignote l'âme.

Je vais, je viens, je vire, je tourne et je me traîne. (...)
Et j'ai le mal d'amour et j'ai le mal de toi.

Face à son piano, Barbara met en forme le manque qui l'assaille. Elle cisèle un lamento dont les aigus sont pareils aux pics qu'elle porte plantés dans le coeur. Dis, quand reviendras-tu ? demande-t-elle à Hubert alors qu'elle lui fait écouter sa chanson par téléphone, avec en prime la menace d'un ultimatum qui a le mérite d'être limpide.

Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs. (...)
J'irai me réchauffer à un autre soleil.
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin,
Je n'ai pas la vertu des femmes de marin.

La déclaration d'amour est de taille. Hubert revient. Il obtient d'elle qu'un temps elle ne succombe à l'appel d'aucun piano. Il la veut pour lui seul. Elle rôde autour de son instrument et tient bon. Elle flanche finalement dans le hall d'un hôtel, il ne décolère pas, elle le rattrape encore. Hubert doit regagner Abidjan, mais avant il met sa belle à l'abri. Au 14, rue de Rémusat, dans le seizième arrondissement, tout près du pont Mirabeau. Son Rémusat est dans les nuages  :  un septième ciel-étage sur terrasse, avec un beau salon où trône le piano à queue et une chambre bleu nuit. C'est beau le bleu, c'est couleur de repos, de paix. Hubert continu d'aller et venir. Barbara se défend d'avoir la vertu des femmes de marin ; pourtant elle veille comme telle, son piano et son magnéto pour seuls compagnons. Il propose de ne plus repartir si elle renonce à sa vie de chanteuse. Les mots d'amour, ceux d'humour, les souffles caressants entre deux notes, les sourires complices et le grand frisson quand vient le rendez-vous de minuit, il ne les partagera plus. Elle doit choisir entre lui et son amant de mille bras - son public.Elle aurait bien aimé être sa danseuse, une cocotte poudrée et docile dans un salon aux murs de soie tendue. Elle aurait bien aimé vivre alanguie dans sa chambre bleu nuit, à attendre son retour. Mais elle brûle d'un autre feu. En elle tourbillonnent des chansons. C'est triste Rémusat depuis qu'il n'y a plus l'espoir d'y voir Hubert. Toutefois, ils ne se quittent pas fachés. Elle lui a offert une chanson, il lui laisse le mobilier. Quand ses solitudes manquent de la faire se jeter par-dessus bord, elle s'arrime et se sangle à son piano-vaisseau. C'est alors une aventure merveilleuse, un voyage épatant. La liberté est un luxe qui se paie cher. Qu'importe... Barbara n'a pas le sens de l'économie !

Quand on aime un homme, mieux vaut se quitter quand l'amour est à son maximum. Rien n'est plus atroce que ces amours qui meurent lentement, qui se dégradent. De toute façon, un homme ne peut pas faire une vie. J'ai brisé un amour par amour du public et de la scène, car ce métier vous permet de faire du bien, de donner de l'amour à mille personnes en un soir. Vous comprenez ? D'ailleurs, un homme n'accepte pas que sa femme qu'il aime se  "  déshabille  "  tous les soirs devant mille personnes.

D'autres hommes viendront l'aimer. De passage, par intermittence, passionnément... Mais la passion de chanter est plus forte que celle de former un couple.

J'ai passé plus de nuits à chanter
Que de nuits dans les bras d'un homme.


Extrait du livre

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Mardi 11 août 2009 à 8:56

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Barbara occultera les moments douloureux pour ne se souvenir que de l'ambiance chaleureuse qui régnait sur le petit monde des prostituées, des voyous et autres maquereaux. Au moment où Jacques Brel enregistre son premier disque Philips, Barbara va où le vent la mène, et flirte avec les situations dangeureuses. L'insouciance de la jeunesse, avec pour seul but, chanter et chanter encore ! Un soir, dans un cabaret où elle se produit, elle va trouver le patron, un  "  caïd  "  qui maltraite son personnel, les artistes, surtout une certaine danseuse  :  
Je te préviens, je ne chante pas ce soir si tu ne donnes pas ce que tu dois à cette fille !
Quand j'y pense...,
avouera-t-elle plus tard à Serge Tomassi, futur complice musical, j'aurais pu me faire massacrer ! Mais il était hors de question de laisser faire ce voyou !
De septembre à Noël 1954, Barbara est engagée à L'Ecluse en numéro trois, en vedette après une parodie comique. Sur la rive gauche, elle chante sans micro avec une désinvolture qui fait rire le public, jouant de sa voix et de son corps. Pendant ce séjour, la direction remarque pour la première fois que Barbara 
"  fait recette  "
Place de l'Odéon dans les années cinquante. Raymond Lévesque égrène ses souvenirs...
Lorsque j'arrive à Paris en 1954 avec peu d'argent, je me retrouve à Saint-Germain-des-Prés avec tous les paumés de la terre. C'est là que je fais sa connaissance, elle est comme nous. Nous fraternisons et passons nos après-midi au Café de l'Odéon, au Quartier Latin, où le patron nous laisse nous éterniser devant un verre de rouge. Très effacée,elle me présente Claude Sluys, qui est vaguement imprésario, en me disant simplement  :  "  c'est mon mari. "   
Le 14 décembre 1956, elle est engagée par Jacques Canetti aux Trois Baudets, dans Hi-Fi, aux côtés de Francis Lemarque, Raymond Devos, Pierre Dac, Francis Blanche, Colette Chevrot et Monique Sénator.
Cette année-là, lorsqu'il est nommé directeur artistique du service Variétés pour le compte de la maison Pathé Marconi, Serge Beucler invite son ami montpellièrain Henri Saccazes dans un petit restaurant du quartier Saint-Michel  :  il tient à lui présenter sa découverte... Plus tard, retiré à Millau, Henry Sacczes se souviendra de son tout premier contact avec cette  "  femme-échalas en point d'exclamation, à la démarche un rien féline et au port de tête de danseuse-étoile  "
Jamais je n'oublierai cet instant magique. Du haut de sa longue silhouette filiforme, avec un timbre de voix si étrange, elle paraît accrochée à sa branche, dans une pénombre feutrée et intimiste. Barbara qui ne laisse déjà nul indifférent est une femme impressionnante d'intelligence et de culture, mi-Callas par la silhouette, mi-Garbo par le mystère. Si le therme d'atmosphère est lié à tout jamais à la gouailleuse personnalité d'Arletty, c'est avec Barbara qu'il a pris sa pleine dimension romantique avec des émotions à nulle autre pareille, une intimité, une ambiance d'envoûtement proche de la cérémonie vaudou...
En 1958, engagée pour six semaines, elle chante à nouveau à L'Ecluse. L'ambiance est familiale, Barbara arrive chaque soir, très tôt, vers 21h, bien avant l'ouverture.
Dès les premiers jours, je remarque sa grande intégrité, raconte Marc Chevalier. Chanter c'est sa vie, elle sacrifie tout à ça. Barbara a une  "  élégance de coeur  "  :  elle donne tout, c'est spontané ! Avant le spectacle, on prend le café ou bien on mange au restaurant d''à côté. Plus tard vers 1h ou 2 h  du matin, nous allons boire un dernier verre ensemble place Saint-Michel. Nous vivons très liés sans véritablement nous connaître. Nous parlons beaucoup, mais je ne vais jamais chez elle et je ne sais rien de sa vie privée... Une fois, elle se dévoile et me dit  "  tu vois quand je chante, je ne fais pas venir ma mère... Le fait qu'elle soit là me trouble et m'empêche d'être moi-même totalement... "
Au fils des jours, ses inflexions de voix au timbre personnel sont très remarquées. Barbara croise, entre autres, Yves Joly et ses marrionnettes, sans oublier Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras, inséparables, avec leurs personnages de Louis XIV et Racine. Elle gagne dix francs par jour. de quoi se payer le taxi et le dîner.


Extrait du livre

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Vendredi 7 août 2009 à 9:01

 
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Croquis de Luc Simon

Barbara a habité un an et demi chez moi, me confiera France Olivia, la pianiste de L'Ecluse. Avec mon époux, Olivier Grégoire, nous étions jeunes mariés et habitions dans l'île Saint-Louis, sur les quais de Béthume. Une vie merveilleuse. Olivier, cinéaste et peintre de grand talent, hébergeait notre ami intime Paul Braffort. C'était une maison de bohème et d'accueil, Dadzu ( le dessinateur humoriste ) y séjournait avec nous, François Billetdoux, notre ami d'enfance, nous y retrouvait. Mon métier de pianiste me permettait de rencontrer toute la rive gauche. Je connaissais bien Boris Vian. Je ne peux pas dire que j'ai aidé Barbara, ce serait orgueilleux de ma part  :  je suis une femme de l'ombre et de l'amour. En 1951, tout en faisant parallélement des tournées avec des artistes, je commence à jouer à L'Ecluse, un étroit bistrot en longueur, avec tout au bout, une scène minuscule et un piano situé à gauche de telle façon qu'on l'aperçoit depuis la porte d'entrée. Chaque soir, de mon poste, j'entrevois une grande fille avec une crinière fabuleuse. Une Juive de l'Antiquité, superbe, généreuse et terrifiante à la fois..., une Walkyrie ! Elle me regarde fixement et je me dis mais enfin, qu'est-ce qu'elle me veut ? Ce manège dure plus d'un mois et demi. C'est impressionnant. Un soir, elle vient jusqu'au piano et me murmure  :  Je veux vous parler... Nous allons prendre un verre. Là, elle me confie  :  Je n'ai aucun domicile à Paris. J'apprendrai par la suite qu'elle habite dans un appartement, rue Vitruve, avec sa mère et son frère. Comment ne pas être attendrie par son triste sort ? Mon mari a un atelier au-dessus de chez nous. Elle s'y installe pendant un an et demi. J'ai un point de repère assez particulier..., je me souviens de ma fille qui, à trois ans, lui répète inlassablement  :  Barbara, tu chantes faux ! Non seulement, poursuit France, Barbara a le goût du piano, mais, en plus, elle est fort douée ( on a envie de la pousser au maximum ) Très intuitive, avec un sens de la répartie décapant  :  un aigle. Bien plus tard, lorsqu'elle écrira L'Aigle noir, je la reconnaîtrai. Dès le début, elle se montre surdouée dans tous les domaines, une véritable extrémiste. Son humour est unique, et son mystère, fou. Elle a un sens exacerbé de sa valeur. Nous avons des fous rires inimaginables. Un soir je rentre de L'Ecluse plus tôt que prévu... Ce soir-là, nous parlons beaucoup, je lui demande  :  Qu'est-ce que tu veux faire plus tard de toi ? Elle me dit  :  Je veux être chanteuse, c'est sûr, je veux être chanteuse, je veux faire carrière... Olivier s'en mêle  :  Ecoute, je t'en supplie, il faut l'aider, fais-le pour moi... Emmène-la dans les cabarets où tu travailles, il faut qu'elle y arrive ! Je la présente à L'Ecluse, mais après sa première audition  "  malheureuse  "  rien à faire... ( elle est beaucoup trop grande, trop  "  énorme  "  pour notre cabaret, elle  "  occupe  " trop la scène ! ) J'insiste auprès de mes copains,  "  les patrons  " ( Léo Noël, Brigitte Saboureau, André Schlesser et Marc Chevalier )  :  Prenez-la en audition, au moins une semaine... C'est ainsi que Monique, flanquée du prénom de sa grand-mère russe, chante en première partie du spectacle toute une semaine sur le fameux piano droit que je connais bien, face au mur décoré par une bouée. Chaque soir, soixante-dix personnes ( la capacité maximale de L'Ecluse ) découvrent Barbara. Par la suite, France Olivia la présente à La Rose Rouge, rue de Rennes, un établissement plus important, plus vaste ( un petit théâtre ) Ensemnle, elles voient aussi La Fontaine des Quatre-Saisons, un cabaret dirigé par Pierre Prévert ( le frère de Jacques... ) Barbara rêve toujours de l'Opéra-comique ! Une anecdote piquante dont se souvient France, elle est engagée à La Fontaine... en tant que  "  plongeuse  "  situation saugrenue mais qui lui permet de côtoyer  "  par la petite porte  "  les grands de ce monde ! Quand Barbara se déchaîne, elle est passionnée... Un moment elle s'éprend de Dadzu, un petit bonhomme, charmant, plein d'humour. Folle amoureuse, elle tombe sur lui comme un oiseau de proie. Il habite vers la rue de Seine, un studio au septième étage..., le septième ciel ! Lorsqu'elle découvre l'étroite pièce sous les toits, elle décide de vivre avec l'humoriste. Dadzu, tout surpris...  : 
- mais c'est tout petit chez moi...
- ça ne fait rien,
répond Barbara, on s'aime ...!
Après deux jours et deux nuits...
- je suis bien, mais mon piano me manque.
ton piano
, s'étonne Dadzu, tu veux dire  "  un petit piano  " ?
Le lendemain, marche par marche dans un escalier infernal en colimaçon, un piano à queue est hissé par huit spécialistes jusqu'au septième étage ! Une aberration ! L'instrument installé, pas question d'accéder au coin cuisine. On n'entre plus dans le studio, on tombe sur le piano ! Qu'importe, les deux tourtereaux se faufilent. Au bout de huit jours, Barbara ne tient plus  :
- Dadzu, ce n'est pas possible de vivre comme ça, vraiment, ce n'est pas possible... je m'en vais !
- tu t'en vas..., mais ton piano ?
- je te le laisse en souvenir !
L'humoriste confiera  l'anecdote à ses amis, notamment à André Gaillard et Roger Pierre, compagnons de cabaret. Roger, malicieux, dévoilera l'histoire de  "  l'encombrant cadeau  "
Barbara ne pouvait pas vivre sans Dadzu, après elle ne pouvait pas vivre sans piano. Finalement, elle ne pouvait pas vivre du tout !


Extrait du livre

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Jeudi 6 août 2009 à 9:17

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Nous nous étions téléphoné pendant l'été, se souvient Michel Portal, le saxo de cristal de Pierre ...
J'avais une amitié assez particulière avec Barbara. On s'aimaient beaucoup. Lors de mon dernier appel téléphonique, elle ne m'avait rien dit de sa maladie, je ne me doutais de rien. L'année précédente, elle m'avait invité pour participer à son dernier disque mais je n'y suis pas allé  :  elle m'avait adressé Fatigue, par cassette. J'en était très touché. A cette période, je n'étais pas très bien, je n'avais pas osé rentrer là-dedans, je ne sais pas pourquoi... Cette chanson était très curieuse pour moi, un peu clef, un tournant. Je lui ai dit que je n'avais pas ma place dans ce morceau et que je n'osais pas le faire. Elle m'a écrit quelques mots  :  Je ne t'en voudrais pas, tu le fais ou tu le fais pas, mon chéri, je t'aime. Elle était l'extrême générosité, l'extrême enthousiasme, elle était la vie, la vigueur. Ensemble, nous parlions souvent de la solitude, nous sommes tous deux des solitaires. S'il fallait faire des recueils avec des dessins humoristiques, on marquerait pour nous  "  les solitaires  "  Pour d'autres,  "  les plaintifs  "  Nous parlions simplement de la solitude par rapport au Métier. Elle me disait souvent  :  Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Nous sommes des solitaires, mon chéri. Tu comprends, on ne peut pas faire ce métier et puis réaliser autre chose à côté. Mon chéri, tu étais fait pour vivre seul, toi aussi, on est là, comme ça, c'est la vie.
Barbara et moi, poursuit Michel Portal, nous parlions constamment de notre  "  mal de vivre  "  Personne ne la remplacera. Comme elle, je suis un musicien d'instinct. Quand on cherchait cette fragilité dans la chanson, c'était comme un murmure. Quand elle jouait, quand elle chantait, elle se basait sur une sensibilité extrême, aiguë. Avec mon saxophone, j'essayais de l'imiter. On aurait pu faire une chanson à nous deux, tout seuls. Elle avait aussi un amour caché pour la musique classique. Je ne lui ai jamais parlé de Mozart, de Chopin ou de Schubert. Sa façon de chanter était  "  classique  "  influence de ses études musicales. Depuis qu'elle a disparu, je n'ai pas bougé, je ne suis pas allé à l'enterrement, je suis paralysé. Je suis en colère contre la mort !

Michel Portal  ( Saxophoniste, Clarinettiste de jazz )

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