Noir. Tout le monde s'est tu et attend. Je ne sais pas pourquoi mes jambes se sont mises à trembler et mon cœur à battre la chamade. Mon front s'est mis à perler de sueur lorsque j'ai appuyé sur l'interrupteur et que Pompon a envoyé la musique que j'ai reconnue aussitôt. Mais plus le temps de réfléchir, car la porte vient de s'ouvrir doucement sur une immense silhouette uniquement éclairée par le soleil du dehors. Je comprends, bien avant tout le monde, que cette ombre magique qui vient de pénétrer sur scène n'est pas celle de Johnny Hallyday. Parce que je sais, pour l'avoir vue chanter depuis mon plus jeune âge, qu'il n'y a qu'une personne au monde capable de déployer aussi majestueusement ses longs bras dans l'espace, tandis que la porte vient de se refermer et seule la lueur des briquets éclaire maintenant la haute silhouette qui s'avance vers nous à petits pas. Quatre-vingt-dix mains sont tendues vers la scène, toutes flammes allumées, et en même temps que vient de jaillir un soupir unanime, la moitié s'est éteinte, puis se rallume, laissant Barbara plantée telle une statue d'ébène en plein milieu, juste au-dessus de nous, comme si elle venait d'entrer sur la scène de Mogador, un soir de première. Je suis le premier à m'aventurer pour l'applaudir, puisque j'en ai laissé tomber mon briquet. Tout le monde s'empresse de faire de même, tandis qu'Alice rallume la salle et pose sur moi un regard plein d'étoiles comme pour me dire " Tu vois, c'est elle, cette fois, qui est venue jusqu'à toi ! " Puis elle tend la main à Barbara pour l'aider à descendre l'escalier. Mais celle-ci est restée en place, derrière le micro, comme pour se mettre à chanter, et c'est un : " Bonjour à tous " qu'elle nous adresse, ne laissant apparaître de son visage qu'un large sourire, ses yeux étant dissimulés par de grandes lunettes cerclées de noir aux verres opaques que quelques mèches brunes obscurcissent encore plus ça et là. " Je suis si heureuse de vous rencontrer enfin ! Je vous ai observés depuis un moment, dehors, dans la rue... " Elle parcourt la salle du regard, comme à la recherche d'un visage particulier, et le pose enfin sur une brunette aux yeux rieurs. " Ah oui, c'est vous là... quel est votre prénom ? " - " Séverine, m'dame " Une vague de rires et de protestations s'est élevée dans la salle. " ... Mais que se passe-t-il ? " - " Euh, non... Enfin... C'est que... tout le monde me surnomme Lulu, m'dame ! " - " Lulu?... Alors allons-y pour Lulu ! Ca vous va bien, d'ailleurs, Lulu ! Bref, je vous ai vue tout à l'heure avec votre walkman, vous étiez très joyeuse, c'était magnifique... Vous sembliez si heureuse de chanter et de danser... Un vrai bonheur de voir ça ! " - " Pas d'quoi, m'dame ! " a rétorqué Lulu. Et toute la salle d'éclater de rire avant que Barbara n'ajoute : " Mais je suis là d'abord pour vous écouter un peu, et après, si vous voulez bien, on discutera tous ensemble, j'ai tellement envie de parler avec vous... " Puis Alice a attrapé la main que lui tendait Barbara pour l'emmener s'asseoir tout au fond de la salle. Et voilà ! C'est aussi simple que ça, Barbara ! A ce moment précis, je comprends pourquoi je suis entré un jour aux Studios Alice Dona : pour savourer, ne serait-ce qu'un court instant, la magie d'un moment comme celui-là ! Cet instant dont j'ai rêvé depuis ma plus tendre enfance : rencontrer Barbara, celle qui m'a donné l'envie des mots sur des notes de musique. J'ai alors plus que jamais la certitude de ne pas m'être trompé de parcours. Merci d'être passé sur notre chemin, mon cher Aigle noir. Mais que d'émotion en perspective, puisque Alice m'a fait savoir que je devrais aussi chanter devant l'invité. J'ai, bien sûr, accepté, ne sachant, à ce moment-là, de qui il s'agissait ! Alice, je te revaudrais ça !
Jean-Christophe ( Elève d'Alice Dona )
Bises,
Philippe