Gabriel qu'elle appelait " Mon ange " et qui sait, maintenant ce qu'est une voix juste.
Je pensais à tout cela quand la main de Gabriel lâcha la mienne. Je le vis courir vers la scène et s'arrêter net, tour à tour curieux, tendre, narquois, devant Barbara, au plus fort de sa tempétueuse répétition. Petite tête blonde tutoyant, en contre-plongée, une dame brune, dans l'immaculée chaleur provençale. Image arrêtée, inoubliable. Je m'attendais à ce qu'elle le rabrouât. Elle accueillit au contraire le jeune visiteur comme un prince, esquissa une révérence, lui présenta ses musiciens, lui expliqua le conducteur du récital, lui fit visiter son royaume d'un jour : une simple scène en ar-en-ciel face à un amphithéâtre désert où, depuis que l'accordéon s'était tu, les cigales furieuses avaient repris leur strident concert. Le soleil tombait à la verticale sur cet étrange couple morganatique autour duquel, soudain, le vide s'était fait. La conversation se prolongea. Autour d'eux, les musiciens et les techniciens commençaient à s'impatienter. La récréation avait assez duré. Barbara consentit à se remettre au travail, non sans avoir convoqué son chauffeur : " Emmène-le à Saint-Tropez pour qu'il s'achète un cadeau ! " Et, en s'adressant à Gabriel, tout étonné de ce qui lui arrivait : " Tu prends ce qui te plait, et tu reviens me voir après. Il faut absolument qu'on continue notre conversation. " Une heure plus tard, Gabriel déboulait en trombe sur la scène en exhibant, tout neuf, prêt à servir, un polaroïd. " On l'essaie ? " proposa-t-il. " Allez, on a assez bossé, maintenant, c'est la séance-photo " décréta Barbara devant ses musiciens d'autant plus médusés qu'ils savaient combien la chanteuse était allergique aux photographies. Car si on voulait la prendre, il fallait l'avoir vivante. J'assistai alors à un singulier pas-de-deux, Gabriel mitraillant, avec le sérieux de l'apprenti, une Barbara qui posait à l'envi, à la demande, debout et assise, hilare et grave, marmoréenne et volatile, provocante et attendrie, tandis que sortaient l'un après l'autre, comme d'un tour de magie, les clichés de ces vacances dont on sait bien qu'elles sont aussi éphémères, illusoires, que le goût du sel marin sur la peau hâlée. Le fou rire gagna Barbara. On eût dit deux cousins préparant, dans la garrigue, un mauvais coup. Le ciel d'été vira au rose tendre. Barbara se leva et donna rendez-vous à Gabriel pour le soir même. Elle lui indiqua sa place, au pied de la scène, face à elle : " Je veux te voir, au milieu de ce public que j'aime " Respectant le rituel des fins de tournée, Barbara ouvrit, en coulisse, les vingt cadeaux et les vingt lettres que les femmes et les hommes de son équipe avait disposés à son intention dans une grande passoire en plastique bleu. Elle leur écrivit, en réponse, une jolie lettre pleine d'émotion et de majuscules : " Demain, vous serez en vacances, oubliez-moi, dormez, riez, soyez heureux. Prenez soin de vous et des autres, respirez près des arbres. Je suis fière de vous. Merci " A vingt et une heure trente, comme poussée par une légère tramontane, Barbara entra en scène, chaloupante et coquine. Elle dédicaça son récital à " un petit garçon que j'ai rencontré cet après-midi et que j'aime beaucoup " chanta longtemps dans l'air pur jusqu'à ce que le ciel étoilé recouvrît la presqu'île où elle avait bien voulu accoster, laissant sur la plage une improbable image de polaroïd.
Jerôme Garcin
J'aime beaucoup le témoignage de Monsieur Garcin!
BISOUS