Vendredi 12 octobre 2007 à 11:48


Mon premier lien avec Barbara remonte à  "  l'album à la rose  "  ( 1964 ), dont j'étais littéralement tombé amoureux. Les chansons  "  A mourir pour mourir , Pierre  "..., la pochette, tout était absolument magique, d'une grande classe et d'une grande beauté. Dès que j'ai entendu Barbara, j'ai été touché jusqu'au plus profond de mon être, comme si, d'un coup, mon âme était entrée en résonance avec la sienne. Et cela grâce à ses mots simples, puisés dans le quotidien de chacun. Elle se situe dans une dimension supérieure, elle est complètement folle, rêveuse, éclairée, tout en étant à la fois très proche de la réalité, de la vraie vie. J'ai eu la chance, le privilège devrais-je dire, de rencontrer cette femme, baignée par la grâce, d'une beauté absolument divine... Elle avait un rire magnifique, un goût prononcé pour les mauvaises blagues... Elle était malicieuse, enfantine, farceuse ! J'étais très amoureux de cet ange, comme tout le monde d'ailleurs... Par la suite, je me rendais souvent seul à ses concerts afin de préserver un espace d'intimité avec elle... pour être disponible à son regard qui viendrait me chercher au plus secret de moi-même. Chaque personne du public partageait cette même relation d'intimité... Barbara était douée du pouvoir de transmettre à chacun le sentiment qu'il était unique. C'est ce phénomène qui a rendu les gens amoureux d'elle ! Elle et moi avons passé des nuits interminables au téléphone. Peu importe ce qu'on se disait, mais c'était toujours naturel, lumineux, joyeux. Parfois je lui disais : " Et au fait, si je viens ? - Quand maintenant ?  Oui, viens !  " C'était aussi simple que cela. Plusieurs fois, j'ai foncé en voiture pour la rejoindre à Précy. Une nuit, je frappai à sa porte. Grandiloquente, elle ouvrit, m'adressa un signe théâtral, posant le doigt sur sa bouche comme pour me dire : " Chut " Silencieuse, elle m'invita à la suivre jusqu'à la cuisine où nous nous sommes assis. Puis, comme si nous étions tous les deux muets, elle m'écrivit : " Nous ne parlerons pas ce soir, nous nous exprimerons seulement par gestes ou par regards. " Jusqu'à l'aube, nous avons bu du thé, mangé des gâteaux et dialogué longuement sans prononcer un seul mot. Comme dans un jeu d'enfant. Nous étions hilares ! Puis, nous nous sommes fait comprendre que nous étions fatigués... Elle m'a offert sa chambre d'amis. Le lendemain, je me réveillai, prêt à poursuivre le jeu. Le déjeuner était prêt, Barbara arriva et me lança, exubérante et volubile : " Bonjour, comment vas-tu, tu as bien dormi ? " Puis, ses phrases, ses mots déferlèrent. Nous nous sommes ainsi mis à parler, parler, du déjeuner jusqu'à la nuit tombante. Contrairement à la veille, nous avons abordé des sujets sérieux : la politique, le monde, l'injustice... autant de thèmes qui nous révoltaient. Elle a subitement adopté une attitude de combattante, de vraie guerrière, empruntant une voix grave... Elle a également parlé du public, pas comme d'une entité vague, mais de chaque individu le composant. Et cela avec un immense respect : " Tu te rends compte du cadeau qu'ils nous font ! " Elle est la seule à m'avoir parlé du public en ces termes ! " Un beau jour ou peut-être une nuit " elle s'est endormie, et comme un enfant, je l'ai contemplée. Aucune ombre ne se glissait entre nous, c'était de l'amour pur ! La dernière fois que je l'ai vue, c'était à la halle aux Grains de Toulouse où elle se produisait. Et là, j'ai assisté à un spectacle éblouissant ! Celui d'une femme qui avait mis son âme à nu : ce don de soi, cette dignité, mais aussi cette solitude intense qui se dégageaient d'elle ! Inoubliable ! Lorsqu'elle chanta " Seule ", assise sur un fly-case, un projecteur braqué sur elle, je fus bouleversé par la beauté, le déchirement de cette femme. A la fin du concert, j'applaudissais les larmes aux yeux, unissant ma douleur et ma joie aux siennes. Là, j'ai réalisé que Barbara était une immense tragédienne, présente depuis des siècles. Donnant en offrande jusqu'aux fibres de son coeur, de son âme, de sa chair ! Après le spectacle, elle m'a embrassé et m'a tendu un bouquet de roses en me demandant de les offrir au public. Alors, à la sortie du théâtre, j'ai distribué les fleurs à chacun des membres de sa " plus belle histoire d'amour " Si je devais lui dédier une chanson de mon répertoire, je choisirais " L comme beauté "

" Tu es la beauté flamboyante, rebelle comme un cri d'enfant "


Jacques Higelin 
( Compositeur - interprète )

Jeudi 11 octobre 2007 à 9:11

http://mybabou.cowblog.fr/images/fgghy.jpg


Denise Glaser


(
1981 )


Une femme a fait beaucoup pour moi à la télévision, il y a bien longtemps, c'est Denise Glaser. Elle a eu un courage fou ! Au début des années soixante, pour passer dans son émission Discorama, comme son nom l'indique, il fallait avoir fait un disque. C'était à l'époque de Nantes et je n'avais encore rien enregistré. Alors, elle a fait fabriquer une fausse pochette. Et je suis passée à Discorama.


(
1997 )


Denise Glaser ! Ah, Denise Glaser. Le corps de Betty Boop avec un décolleté vertigineux, une robe de crêpe blanc très moulante à très gros ramages, un visage de presque madone et une voix grave, presque privée d'intonations, languide, comme une seule et même note tirée par l'archet à la contrebasse. Toute pareille à son image sur le petit écran, la Glaser !


Barbara

Lundi 8 octobre 2007 à 9:06


Fatigue  ( Barbara/Barbara )   ( 1996 )

 

Fatigue
C'est la fatigue
Qui me vertige
Et je tombe
Fatigue
C'est la fatigue
Qui me dérive
Vagabonde
Mais
Qu'est-ce qui m'arrive
Où va-t-il, ce train
J'ai perdu la rive
Qui s'efface
Au loin
Vos voix qui s'éloignent
M'éloignent
De tout
Je crie
En silence
Mais
Personne ne vient
Mais
Qu'est-ce qui m'arrive
Nausée
J'ai la nausée
Dans la lourdeur
D'un ciel
Qui me plombe
Je cherche mon chemin
Mais c'est fatigue
Dans ma tête
Embrumée
Je tourne
Dans le vide
Mais
Où me poser
Je sombre
En silence
Je tombe
En eaux troubles
Diffuse
Ma pensée
Confuse
Se cogne
Et j'ai mal
J'ai peur
Dans ma fatigue
Arrêtez ce train
Qui m'emporte
Qui m'emporte
Au loin
Dans ma fatigue
Fatigue
Fatigue

Vendredi 5 octobre 2007 à 10:15


Le 6 novembre 1967, sa mère disparaît à l'âge de soixante-deux ans. Barbara est maintenant une vedette. Elle apprend la nouvelle alors qu'elle chante en Italie. Elle est effondrée. Elle rentre à Paris. C'est l'adieu à Esther, cette mère qu'elle ne perdait jamais vraiment des yeux. Celle qu'elle avait installée plusieurs années dans son immeuble de la rue Rémusat pour mieux veiller sur elle, faire en sorte qu'elle ne manque de rien. Celle qu'elle appelait quelquefois " la Juive " dans une distance teintée d'ironie, et qu'elle s'était mise à vouvoyer subitement à la mort de son père. Cette femme qu'elle avait " toujours adorée, même si ( elle avait ) eu tant de mal à l'aimer " Cette mère qui jadis avait si bien su l'éloigner des périls de la guerre, sans pouvoir la protéger du reste. Entres elles, au fil du temps, les rôles s'étaient inversés. " Elle deviendra elle-même mon enfant chérie que j'assumerai, protégerai toujours et du mieux que je pourrai " Mais, cette fois, Barbara n'a rien pu faire pour sa mère, et son chagrin est immense. Elle écrit une chanson : " C'est drôle, jamais l'on ne pense / Qu'au-delà de dix-huit ans / On peut être une orpheline / En n'étant plus une enfant. " Elle ne veut plus rester rue Rémusat. De nouveau, elle boucle sa valise.


Extrait du livre


Jeudi 4 octobre 2007 à 9:35


A toutes les rêveuses de parloir de Montluc, des Baumettes et de partout.


Rêveuses de parloir  (Barbara/Barbara )   ( 1990 )


Rêveuses de parloir
De cellules en couloirs,
De courage en espoir,
De rage en désespoir
Rêveuses de parloir
Dans votre vie placard
Sans ciel,
Sans fleur,
Sans berceau
Vous peignez des oiseaux
Derrière vos barreaux
Rêveuses,
Petites rêveuses de parloir

Orphelines de la dérive
Délits-délinquantes
Tous âges pour braquages
Stup-et-stupéfiantes
Petites filles sans square
Des cités-trottoirs,
De rêve en poussière,
De galère en galère
Cassées,
Brisées,
Balancées

Rêveuses de parloir
Sans soleil, sans maison,
Sans enfant
Vous n'avez plus rien

Le bruit des clefs,
Les grilles qui claquent
Rythment vos vies
Métalliques
Verrous-verrouillés
Derrière la lumière
Vous peignez des bateaux
Qui vous traversent
De l'autre côté
Des barreaux

Rêveuses de parloir,
Voyageuses de l'espoir,
Je pense à vous
Je pense à vos regards
Je pense à vos rires
Je pense à vos larmes
A vos vies de femmes
Sans Amour, sans rien

Je pense à vous, qui marchez vos vies
De courage en espoir, de rage en désespoir
Vers la lumière
Au bout du couloir
La p'tite Bonnie,
Julie, Fatima,
La fille à Dédé,
La femme à Frédo,
Nadia,
Oura,
La petite Victoria,
Faita,
Marie,
Cathy,
Rose,
Jeanne,
Claire,
Flora,
Joëlle,
Marion,
Aïcha,
Brigitte,
Hélène,
Maroussia,
Michèle,
Suzanne,
Johana,
Pierrette,
Louise,
Yasmina,
Maryse,
La petite Berthe,
Je pense à vous, je reviendrai vous voir
Rêveuses, mes petites rêveuses de parloir...

Mercredi 3 octobre 2007 à 12:04


Pour Barbara, Précy devient plus qu'une maison : un fabuleux repaire qu'elle aménage à son image : décor soyeux de mille et une nuits, objets chinés un peu partout, salon chaleureux, chambre sombre. Romanelli y vient souvent : " De cette vieille bâtisse elle a fait quelque chose de divin. Elle était tellement habitée, cette maison ! il y avait tant de choses à ressentir ! C'était vraiment elle. En la visitant, on sentait tout de suite quel personnage elle était. " Wertheimer approuve : Précy, c'était l'antithèse de la rue Michel-Ange : la maison était toute fermée à l'extérieur, mais à l'intérieur elle avait un grand jardin, des fleurs partout, des chiens. Et puis toutes sortes de pièces : des lumineuses, des sombres, des petites, des grandes...La maison a changé sa vie...A moins que ce ne soit parce que sa vie changeait qu'elle s'y est installée ? " Ce qui est sûr, c'est que Précy marque un tournant capital. En s'y installant, Barbara quitte définitivement Paris, délaisse le peu de mondanités auxquelles elle se prêtait encore, affiche désormais une solitude choisie et sereine. Elle y goûte le silence et découvre la nature. Elle se prend de passion pour les fleurs et les arbres de ce " monsieur Jardin " qu'elle regarde verdir ou rougir selon les saisons. Qui l'eut cru : c'est une révélation. " Je n'avais jamais vu le soleil se lever. Ou mal. J'avais entendu dire qu'on mettait une graine en terre et qu'il poussait une fleur, mais je ne l'avais jamais vu. Je ne savais pas ce que c'était un rouge-gorge. " Avec Barbara l'ancien corps de ferme devient une maison cloître. Son bureau est à l'étage. Dans une grange attenante, elle aménage une vraie salle de répétitions. " Elle l'appelait son théâtre, reprend Romanelli. C'est là qu'on répétait avant de partir en tournée. Il y avait une scène, une sono...Tout pour répéter en conditions réelles. " Sitôt installée à Précy, Barbara se met à répéter. Après les peurs, les doutes et les tâtonnements, elle se sent de nouveau prête à chanter sur la scène d'un théâtre. Mais pas n'importe comment, pas dans n'importe quelles conditions ! Pour sa rentrée parisienne, la première depuis les adieux de l'Olympia, elle exige que les places soient vendues beaucoup moins cher que d'ordinaire, à partir de treize francs seulement ( soit deux euros ). Elle argumente : " A quelqu'un qui vous aime et qui vient vous voir, on demande un effort, pas un sacrifice. " Quinze francs, c'est à peine concevable pour les producteurs. Mais, quand elle exige, elle obtient.


Extrait du livre


Mardi 2 octobre 2007 à 8:47


J'ai reçu tellement d'amour, tellement ! Et toute cette énergie qui m'a fait avancer, chanter, qui m'a permis de faire ce métier comme j'entendais le faire : en désobéissant, en refusant tous les archétypes, en ayant un instinct de préservation qui m'a toujours empêchée de me perdre dans le compromis, la confusion. Je ne détiens aucun secret, aucune formule magique. Il faut prendre le voile, préserver son désir, ne jamais s'en départir, rester bien à l'intérieur de soi. Exiger autant de soi que des autres. " Vigiler " pour les autres autant que pour soi. Vouloir avec une inentamable opiniâtreté. Être sa vérité. Ne jamais perdre espoir. Vouloir recommencer. Avoir peur mais avancer toujours... "


Barbara

Lundi 1er octobre 2007 à 9:52

 


En 1993, Christophe Martet le président d'Act Up rencontre Barbara. A cette époque, la France était encore dans le déni de la maladie, alors que nous étions le pays le plus touché d'Europe. Le sida restait un sujet tabou, et la mobilisation des artistes n'en était qu'à ses balbutiements. Quand à Barbara, nous savions qu'elle menait des actions de son côté, qu'elle allait dans les hôpitaux et les prisons...Mais nous n'en savions pas davantage. De cette première conversation Christophe Martet garde un souvenir un peu confus. " Elle parlait beaucoup, elle parlait très vite, elle disait qu'on faisait un travail formidable, qu'elle voulait nous soutenir concrètement, mais qu'elle ne savait pas trop comment. Je lui ai dit que le plus efficace, c'était de nous envoyer de l'argent. Alors, on a commencé à recevoir des dons de sa part. Des dons importants. Et, de temps en temps, elle envoyait un fax au bureau : < Bravo, je vous soutiens, continuez ! > Pour la soirée au Palace elle enregistre un texte inédit, Le couloir sur l'hôpital. Dans l'ultime album de Barbara, Le couloir devient une chanson mise en musique par Jean-Louis Aubert. " Ils ont tous les deux voulu donner les droit à l'association." J'ai donc pris rendez-vous chez l'agent de Barbara, Charley Marouani, pour signer les papiers. Barbara est arrivée, accompagnée de son assistante. C'était la première fois que je la voyais. Elle était très grande, habillée en noir, des lunettes fumée et une espèce de boa autour du cou. Tout est allé vite : on a signé, et on l'a raccompagnée jusqu'à sa voiture. Je la revois assise, vitre baissée, nous dire à quel point Act Up était utile. Et surtout elle répétait : < Bougez-moi tout ça ! Bougez-moi tout ça ! > Une fois l'album sorti, les droits se mirent à tomber dans la cagnotte d'Act Up : aux alentours de deux cent mille francs par an, somme considérable pour une association ! " Barbara, c'est l'artiste qui a le plus contribué à notre lutte, et nous en sommes très fiers. Elle avait une vraie légitimité, un engagement personnel. Beaucoup se contentent de signer un chèque de temps en temps, quand on les sollicite, et de passer à autre chose...Elle, elle allait beaucoup plus loin, sans qu'on lui demande quoi que ce soit. Tenez : l'un des anciens présidents d'Act Up, Clews Vellay, mort du sida à l'âge de trente ans, nous a raconté qu'un jour, dans sa chambre d'hôpital, il a vu débarquer Barbara. Elle venait là en toute discrétion pour soutenir les malades. " Clews Vellay n'est pas le seul à avoir reçu la visite surprise de la chanteuse : durant plusieurs années, Barbara s'est rendue régulièrement dans deux ou trois hôpitaux parisiens afin d'y rencontrer ces " sidamnés " qu'elle chantait sur scène. Faut-il s'en étonner ? " Je l'ai dit dans mes chansons : il faut être là quand les gens s'endorment, pour les accompagner " rengaine de toute une vie. Elle disait aussi : " Dans les hôpitaux, j'ai vu des malades solitaires qui appréhendaient de prévenir leurs familles. [...] J'ai vu des hommes et des femmes mourir en colère. [...] Je les ai vus partir, et je ne pourrai jamais oublier. " Que leur racontait-elle ? Cela leur appartient. Ce que l'on sait, c'est qu'elle se tenait toujours auprès des plus seuls et des plus rejetés. Et qu'elle n'hésitait pas à leur donner un numéro de téléphone, à Précy, pour qu'ils puissent l'appeler s'ils en avaient envie, à n'importe qu'elle heure du jour ou de la nuit. " J'ai toujours essayé de parler d'amour : il m'a paru évident de parler du sida qui, est un grand mal d'amour."

Samedi 29 septembre 2007 à 11:15


La fleur, la source et l'amour  ( Barbara/Barbara/R.Romanelli )  ( 1972 )


Il y avait une source
Elle serpentait sa course
Dans le creux du vallon
Il y avait une fleur,
Il y avait une fleur
Dans le creux du vallon

L'une à l'autre, pareilles,
Vivantes de soleil
Une source,
Une fleur d'amour

Il y avait des enfants
Qui allaient, s'émerveillant
Dans le creux du vallon,
Dans le plein cœur de l'été
Il y avait des enfants
Dans le creux du vallon

Ils regardaient la fleur
En baignant leurs pieds nus
Dedans la source,
Près de la fleur d'amour

Une grande éclatée,
Des arbres décapités
Dans le creux du vallon
Et des enfants allongés
Dans le plein cœur de l'été,
Dans le creux du vallon

Une source rougie,
Une fleur meurtrie
Et le silence de la mort,
De la mort.
Rien ne bouge,
Pas même pas le cri d'un oiseau.
Rien ne bouge,
Pas même pas le cri d'un oiseau.
Le silence,
Le silence,
Et puis

Elle est revenue, la source
Elle a refleuri, la fleur,
Elle a refleuri, la fleur,
Elle est revenue la source
Ils ont brûlé, piétiné,
Déraciné, endeuillé,
Mis à feu et à sang
Mais jamais ils n'y pourront rien,
Non, jamais ils n'y pourront rien

Dans le creux du vallon
Comme miraculée
En plein cœur de l'été
Près de la source
S'ouvre la fleur d'amour

Il y avait une source,
Il y avait une fleur,
Il y avait une fleur,
Il y avait une source
Et l'amour,
Et l'amour

Elle est revenue, la source
Elle a refleuri, la fleur,
Elle a refleuri, la fleur,
Elle est revenue, la source,
Elle est revenue, la source,
Elle a refleuri la fleur, la fleur
D'amour...

Jeudi 27 septembre 2007 à 21:11


Imaginez-la entrant en scène, ce mardi soir de novembre 1963, s'asseyant au piano, la voix claire mais le regard absorbé par les souvenirs, dévoilant les premiers mots du texte qu'elle vient à peine de terminer : " Il pleut sur Nantes, donne-moi la main / Le ciel de Nantes rend mon coeur chagrin... " Devant une salle suspendue, Barbara, chanteuse de trente-trois ans totalement inconnue du grand public, est en train de créer un morceau de légende. Un peu plus tôt, pendant les répétitions, elle peaufinait encore son texte sous l'oeil intrigué de Sophie Makhno. " Je ne sais pas si quelqu'un a retrouvé tous les brouillons de Nantes, mais elle a noirci je ne sais combien de feuilles ! Elle était dans sa bulle, il fallait la voir... Pourtant, il y avait une loge commune qu'on devait libérer pour les autres... Mais elle, elle semblait isolée. Et elle raturait, elle raturait. Nantes, c'était une chanson horriblement difficile à finir. Elle la réécrivait d'une façon compulsive. D'ailleurs, aux Capucines, elle en a chanté une version un peu différente de celle qu'on a connue plus tard. Nantes... La plainte est lente, les mots pudiques, la mélodie lancinante, la douleur immense et la perte lourde. " Au chemin qui longe la mer / A l'ombre du jardin de pierre... " Dans la chanson, un homme se meurt. Qui est donc celui qu'elle pleure, qu'elle dit avoir " couché dessous les roses " ? Sa voix s'élance dans le silence. " Mon père, mon père..." Le public des Mardis de la chanson en a le souffle coupé, tant l'émotion est forte. Au sortir du théâtre des Capucines, tout le monde est remué Louis Hazan, le directeur de Philips, se dit sous le charme, Sophie Makhno , impressionnée, accepte de travailler pour Barbara, Denise Glaser, l'animatrice du célèbre Discorama, décide sur-le-champ de lui consacrer une émission et d'y présenter cette fabuleuse chanson qu'elle vient de découvrir. Nantes n'existe pas encore sur disque ? Pas grave, s'il faut absolument montrer quelque chose a la caméra, elle fera fabriquer une fausse pochette ! Depuis, ce Discorama est entré dans les annales du petit écran : une émission très sérieuse qui fait la promotion d'un disque virtuel, c'est pour le moins cocasse ! Mais en l'occurrence, pas très étonnant : Denise Glaser adorait Barbara. Elle l'invite souvent sur ses plateaux télévisés, et les interviews qu'elle y réalisa furent parmi les plus belles. D'ailleurs, Barbara lui manifesta toute sa vie une indéfectible fidélité. Et quand, dans les années 80, le cancer emporta la journaliste dans le dénuement et l'indifférence à peu près générale, Barbara fut l'une des seules artistes à se déplacer au petit matin pour lui rendre hommage. Nantes... Chaque fois qu'elle la chante, c'est le même silence dans la salle. Aux Capucines comme à Écluse. Marc Chevalier se rappelle : " Pour moi, c'est un souvenir splendide et absolument inoubliable. J'étais en coulisses, elle s'est mise à chanter et on a tous écouté comme ça... Suspendus l. C'était splendide. Il y avait une atmosphère d'écoute remarquable. Tout le monde se taisait. Ce fut l'un des moments les plus forts de toute l'Écluse " Marie Chaix ne connait pas encore Barbara quand elle entend Nantes pour la première fois : " Cette chanson m'a fait un effet extraordinaire. Tellement fort que je me rappelle très bien : j'étais assise à l'Écluse, à la table juste sous son nez, contre l'estrade et le piano droit. Et puis elle a commencé à chanter Nantes... Je l'ai entendu comme une femme qui est en deuil et qui pleure son amour. La fin, évidemment, est fracassante et m'a laissée... j'ai cru que je n'allais plus pouvoir me lever. C'était la chanson la plus incroyable que j'avais jamais entendue. Et la mieux faite. J'ai été liquéfiée d'admiration.

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