( 1996 )
C'est le dernier, c'est formidable. Soixante-six ans, c'est rien, on s'en fou, mais j'ai fini ça. C'est le dernier cri. Le dernier silence... Le dernier trait d'union. Je sais le dérisoire de ce disque face au quotidien. Il n'y a aucun cynisme à garder une distance et un humour face aux choses qui viennent de vous. D'ailleurs, je déteste le glacé du mot " cynisme "
C'est bouleversant. Après douze ans de silence entre nous, Eddy louiss est arrivé de Poitier dans une camionnette. Il a posé ses doigts sur l'orgue et c'était mille soleils qui sortaient ! J'ai vu débarquer, avec son accordéon, Richard Galliano qui était pourtant en tournée ! Et Jean-Jacques Milteau qui m'a demandé, l'harmonica à la main : " Est-ce que je vais savoir ? " Alors, que c'est moi qui avait le trac ! Et le merveilleux Didier Lockwood, et Loïc Pontieux, le premier batteur qui m'ait demandé à lire les textes de mes chansons... Et tous les autres !... Si le disque est raté, j'en suis responsable. Si il est réussi, ils en sont responsables.
Ce disque-là je voudrais qu'il me ressemble, avec seulement le temps qui a avancé sans me changer. Quand je l'écoute, je pense que je suis OK avec cette femme-là, que je n'ai pas honte ... Je n'ai honte que de la misère, du malheur, de la souffrance et de l'exclusion. Je sais bien que je suis au bout de ma route, mais ça n'est pas triste. C'est même plutôt joli, car plus le temps passe, plus je me sens libre.
Mon dernier album remonte à seize ans, c'est vrai, mais depuis, j'en ai fait des chansons ! Regarde, Pantin, Raison d'état, Sid'amour à mort, Gauguin, Rêveuses de parloir, Vole de nuit, et bien d'autres encore ! Cela dit, en seize ans, je n'ai pas vu ma vie passer. J'ai chanté. Il me fallait prendre un temps plus long pour entrer en studio. Les théâtres sont des navires de pleine mer. Le studio est un sous-marin. C'est un autre voyage.
Si j'en avais le pouvoir, ce disque serait pour épargner l'hiver à ceux qui vont le traverser rudement. Mais le monde a besoin d'autre chose que de chansons. D'une autre chaleur, moins éphémère. En tout cas, pour moi, c'est un bonheur de l'avoir fait avec des gens que j'aime. Je l'ai mené jusqu'à la gravure. Aujourd'hui, j'ai un peu peur. Mais j'en suis très heureuse. Je peux tout donner, on peut tout me prendre, mais qu'on ne touche pas à un mot, à une note. Ca me met dans des colères de tigre. Quand ce disque aura pris son envol, je vais me reposer, regarder la douceur de l'automne. Et rester à l'écoute. En retrait, mais attentive. Cet album, c'est un moment magique : une liberté totale de choix et de rencontre. Comme toute ma vie.
Barbara