Jeudi 2 avril 2009 à 9:02

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Tours, et puis s'en va. C'est dans le chef-lieu de l'Indre-et-Loire que, le 26 mars 1994, Barbara, qu'elle était longue la route ! mit un terme à son ultime tournée.
Comme chaque soir, plus que chaque soir, elle donna le meilleur d'elle-même. Peu avant minuit, les mains tendues en offrande dans la lumière des projecteurs, ces soleils noirs, Barbara dit adieu à tous ceux qui comptaient, dans la liesse populaire et les applaudissements rituels, sur un simple au-revoir. Eût-elle confessé que, à cet instant-là, elle tirait sa révérence, on ne l'aurait pas crue. N'avait-elle pas tant de fois, dans le passé, annoncé son départ, programmé ( ainsi à l'Olympia, en février 1969 ) qu'elle se retirait par crainte de se répéter, par haine du confort, pour ne pas tricher ni ressembler à  " une cousine de famille " mais n'était-elle pas toujours revenue ? Car elle n'avait jamais su vivre à deux, sauf avec son public. Une célibataire mariée à une foule. Couple mythique. Personne n'aurait imaginé que, en cette nuit d'un doux printemps tourangeau, son  " Je vous remercie de vous " était si lourd de gratitude, de nostalgie, si plein de sanglots muets et d'une infinie tendresse dont elle seule savait qu'elle était désormais inutile. Son corps bancroche venait de capituler, mais le cœur résistait et la tête refusait de se rendre. Au pied de sa loge, la voiture attendait l'artiste désarticulée. Elle s'y précipita, recroquevillée sur sa douleur, et fendit la nuit sans âge. Elle ne reviendrait pas sur sa décision. Barbara s'enferma à Précy, dans son  " tout petit morceau de France " Elle tricota beaucoup, avec les gestes mécaniques d'une veuve de marin, devant la fenêtre du salon, d'où tombait une lumière sans relief. L'église du village sonnait les heures, elle entendait le glas. Le deuil dura presque deux ans, pendant lesquels elle s'abrita derrière des lunettes noires et son répondeur. Pour entendre le son de sa voix, il fallait attendre que sa joie revînt.
Et un matin, Barbara se réveilla légère. Une pousse verte, dans les ruines. L'aube était laineuse. Les premières roses venaient d'éclore, la glycine blanche coulait le long des murs. D'un jet, elle griffonna John Parker Lee. Le texte ne lui déplut point. Et puis, elle écrivit Fax-moi. D'autres chansons encore, mémoires d'outre-tombe dont elle tenait que ce sont de petites pièces de théâtre qu'il s'agit de réduire à l'essentiel pour atteindre à la nudité parfaite  : "  Pourquoi, m'assurait-elle, faire quarante-cinq notes quand trois seulement sont la vérité des choses ? "  Précy fleurissait donc, Précy exaltait, Précy claironnait.  " Tu sais, jamais je n'ai été aussi inspirée. J'ai vraiment eu, à ce moment-là, le sentiment d'une renaissance. " Barbara, telle qu'en elle-même la légende la fixe, redevint alors conquérante. Comminatoire, excessive, redoutable, adorable.  " Je croyais avoir quitté à Tours ceux qui m'aiment, j'ai compris que, pour ne pas leur être infidèle, je leur devais, faute de scène, un disque, mais un disque conçu à la manière d'un récital. " Elle monta donc au premier étage de la maison, ouvrit grand les volets de la pièce où dormait son piano, sautilla sur son tabouret, gambada sur le clavier. Les mains couraient, la tête explosait. Comme toujours, elle composa des musiques que, mauvaise élève prodige, elle n'avait jamais su transcrire sur des partitions. N'ayant pas reçu de leçon de piano, ou si peu, elle " jouait d'oreille " selon son expression favorite. Ignorer la grammaire usuelle des notes, la mathématique de la clé de sol, les règles coercitives du solfège avait toujours participé de son génie, elle osait ainsi des alliances impossibles, inventait des harmonies miraculeuses. Grâce à un magnétophone quatre-pistes, elle chanta ses propres orchestrations, sa voix multiple improvisa successivement les cuivres, les violons, l'accordéon, l'harmonica. Femme symphonie, femme rajeunie, femme accomplie, sous la charpente de la vieille ferme briarde. Barbara appela le fidèle Gérard Daguerre pour que, tel l'agent EDF préposé aux compteurs, il vînt relever les notes et les traduire sur le papier. Et puis, elle téléphona au non moins fidèle Charley Marouani, son producteur depuis trente ans  : " Puisque la scène, c'est fini, je veux entrer en studio ! " Et tout alla très vite. Jean-Louis Aubert vint toquer au portail en bois de la rue de Verdun.  " Il était au début, j'étais à la fin, nous avions ce jour-là le même âge " disait joliment Barbara. Et aussi  " C'est un petit seigneur, un voyant, c'est quelqu'un de beau. " Il avait sa guitare dans une main, un texte dans l'autre Vivant poème.  " Cette chanson, nous l'avons composée ensemble en vingt-cinq minutes, dans l'allégresse et l'évidence. " Puis arriva Frédéric Botton, Guillaume Depardieu, Eddy Louiss, Richard Galliano, Jean-Jacques Milteau, Didier Lockwood et Loïc Pontieux. Oui, ils étaient tous venus au rendez-vous. Ils ne l'avaient pas seulement accompagnée, ils l'avaient rajeunie. Pour leur exprimer sa gratitude, Barbara, sur un ton définitif, avait lâché ce mot merveilleux, cette exclamation de mère italienne  : " Si le disque est raté, j'en suis responsable ; s'il est réussi, ils en sont responsables. " Il parait que, pendant les répétitions à Précy, les enfants du village, intrigués par les accents aigus de cette soudaine symphonie du bonheur, collaient leurs oreilles contre le portail de la rue de Verdun, et qu'il vibrait, le vieux portail, vibrait au rythme des chansons. Jamais le bois de chêne n'avait en effet si bien travaillé.
 
Jérôme Garcin

Mardi 31 mars 2009 à 9:24

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Et Barbara, que dit-elle sur elle-même, que dit-elle de Barbara ? Que sait-on de celle qui ose déclarer d'emblée à un journaliste venu l'interviewer  :  " Je n'ai pas envie de parler "  D'un ton doux, sans provocation, d'une sincérité déconcertante qui donne plus envie encore de nous la rendre familière. Peu de choses en vérité. Barbara invite ceux qui cherchent à en savoir davantage sur elle à écouter ses chansons.Cela peut-il nous aider à mieux comprendre le pouvoir créateur de celle qui a bercé le mal de vivre de toute une génération dans le giron de ses chansons ? Le paradoxe avec Barbara naît justement de cette attention que l'on porte à ses chansons. Elle qui sait mettre des mots sur les choses que l'on est souvent soi-même incapable d'exprimer. Quand elle chante " Le mal de vivre " c'est un peu comme si elle nous prenait la main, disant au delà des mots de la chanson  :  " Viens, tu n'es pas seul à vivre cela, tu souffres, je sais cela. Et puis au bout, il y a l'espoir de s'en sortir, si tu cherches bien, de retrouver la joie de vivre. "  Ce qu'elle chante reflète tellement nos pensées que cela nous donne envie d'en savoir plus sur leur auteur, sur leur origine, leur naissance. Ce besoin d'intimité que le public ressent pour elle naît de cet amour-fusion, inexplicable en lui-même mais dont chacun voudrait détenir la clé. Barbara appartient à cette catégorie d'artistes que l'on aime pour eux-mêmes et dont on voudrait être toujours plus proche. Il n'y a sans doute pas d'autres mystère à percer. Barbara se situe dans le pays de l'art où l'exégèse de la création ne peut en dire davantage. Aujourd'hui, nous sommes face à l'œuvre d'une visionnaire, face à un tout dont les fils ne peuvent plus être démêlés. Barbara chantait déjà le XXIème siècle. Et si elle a si bien su parler de la vie, c'est parce qu'elle se projetait dans un avenir qui laisse toujours la porte entr'ouverte parce que comme elle l'a écrit, demain 
" Le jour se lève encore "
 
Didier Millot
 
Extrait du livre
 

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Lundi 30 mars 2009 à 8:16

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La première fois que j'ai entendu une chanson de Barbara, c'est par le biais d'une obscure chanteuse locale, lors d'une soirée de variétés à la salle des fêtes de mon village. Je devais avoir à peine une dizaine d'années, et j'avais râlé pour ne pas assister à ce truc ringard... Puis la chanteuse s'est mise à interpréter un titre que je n'avais jamais entendu auparavant. Il y était question de Nantes ( ma ville natale ) d'un rendez-vous manqué, d'une rue particulière et d'un père mort. J'ai reçu cette histoire de manière très forte. J'ai aussitôt voulu en savoir plus sur cette mystérieuse Barbara qui avait écrit cela. Je crois qu'alors le personnage m'avait trop impressionnée pour que je m'y attache. Cette longue femme toute noire et intimidante était trop éloignée de mes modèles, ou de mes idéaux féminins, pour que je me passionne pour elle. Ma véritable découverte de Barbara eut donc lieu plus tard. En fait, quand j'ai commencé à écrire des chansons moi-même, vers mes vingt ans, j'ai aussi commencé à écouter vraiment. J'était étudiante et j'empruntais beaucoup de disques à la médiathèque, mais en ce qui concerne Barbara, il m'a semblé évident qu'il fallait que je possède tout... Alors j'ai acheté l'intégrale, dans un grand coffret ( que j'ai d'ailleurs prêté par la suite à une personne peu scrupuleuse, qui ne me la jamais rendu. J'en ai parlé plusieurs fois en interview et un soir, une dame parmi les plus mordues de mes concerts est venue me l'offrir. La vache, quel cadeau... ) Ce qui m'a marquée tout d'abord chez Barbara, c'est sa grâce. J'avais l'impression que cette femme incarnait la grâce. Quand par la suite j'ai lu qu'elle se marrait tout le temps, et qu'elle n'aimait rien tant qu'amuser la galerie, j'ai pensé qu'elle représentait la femme parfaite ! J'ai tout de suite accroché avec la simplicité et la précision de sa poésie. Sa voix vibrante et parfois brisée m'a toujours donné le frisson, y compris dans les chansons de sa jeunesse, quand elle reprenait les autres. Sa façon unique de casser la tonalité d'un morceau me fascine, même si je comprends qu'on puisse penser qu'il s'agisse d'un savoir-faire... Moi, ça me parle à mort ! Aujourd'hui l'intégralité de son œuvre figure dans mon Ipode. Je n'ai pas l'âme d'une " fan " ou d'une inconditionnelle... mais Barbara fait exception à cette règle ( avec Sonic Youth et Brigitte Fontaine ) Parce que c'est une force de la nature. Et que c'est sa grande fragilité qui la rend aussi forte.

Jeanne Cherhal   ( Auteur-compositeur-interprète )

Vendredi 27 mars 2009 à 9:55


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Barbara


J'ai été une petite fille qui s'est construit un monde, comme beaucoup d'enfants, et qui s'y est enfermée. Dans ce monde, j'était pianiste chantante. Je tambourinais sur une table des musiques que je scandais ou miaulais infatigablement. Mes mains se posaient, s'agitaient au-dessus d'un clavier imaginaire et, durant de longues heures, j'étais la plus grande pianiste du monde !

- Viens mettre le couvert...

Ah, les briseurs de rêves qui m'ont fait à tout jamais détester l'obéissance !

Lorsqu'on est la plus grande pianiste du monde et que des arpèges noirs et blancs tourbillonnent et s'élèvent et s'envolent par les fenêtres ouvertes par-dessus les nuages, par-dessus le ciel, pour retomber en pluie-cascade au fond des mers, au bout des fleuves qui les roulent, les happent, les engloutissent, puis les rejettent au loin vers d'autres pays, lorsqu'on est la plus  " grande pianiste du monde "  on ne met pas le couvert ! Je ne suis pas devenue la plus grande pianiste du monde, mais des musiques j'ai continué d'en entendre et j'ai conservé cette phobie que l'on puisse briser le rêve, défaire l'instant. Je déteste que l'on surgisse bruyamment dans mes chambres de repli, je hais ces brusques interruptions, ces portes qui claquent, ces éclats de voix trop forts qui me blessent lorsque je travaille. Comment le dire et le redire sans prendre des allures de monstre, alors qu'en je ne demande que l'espace de silence auquel chacun a droit ?... J'écris ces quelques lignes dans un petit cadre noir :

Je suis difficile à vivre quand je travaille
Pas la peine de crier
Je ne vois rien
Mais j'entends clair
Merci !

Ca change les choses et  " veloute "  les voix. Pendant quelques temps, on murmure autour de moi...

Et les questions ! Ah, les questions des sempiternels curieux qui interrogent sur ce qui, pour nous, relève de l'évidence  :  " Quand avez-vous décidé de chanter ? "  Est-ce que l'on décide un jour de chanter, ou n'est-ce pas plutôt une longue et très belle maladie que l'on porte en soi sans parvenir jamais à en guérir tout à fait ? J'ai eu cette belle maladie dont j'ai eu tant de mal à guérir.
Aujourd'hui, convalescente, je peux écrire mon livre...
 
Barbara
 
Extrait du livre 

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Mercredi 25 mars 2009 à 10:03

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La chanson française, ce n'est pas mon truc. J'ai commencé la musique en écoutant les Sex Pistols... Et puis, un jour, je suis tombé sur un enregistrement vidéo d'un concert de Barbara. Et j'ai tout suite remarqué sa façon très particulière de s'assoir sur son tabouret : en équilibre tout au bord, les jambes écartées... Comme Jerry Lee Lewis ! Complètement rock'n'roll ! Ce genre d'attitude ne trompe pas ; c'est toujours un moment de vérité. Et tout ce que j'ai pu ensuite apprendre sur elle n'a fait que le confirmer : Barbara était peut-être la seule nana vraiment rock de la chanson française. Une rebelle face au système. La classe !

Camille Bazbaz  ( Auteur-compositeur-interprète)   

Mardi 24 mars 2009 à 11:13


   Pour mon amie Pascale 

Mardi 24 mars 2009 à 11:08

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Printemps  ( P.Eluard/Barbara )  ( 1973 )


Il y a sur la plage quelques flaques d'eau
Il y a dans les bois des arbres fous d'oiseaux
La neige fond dans la montagne
Les branches des pommiers brillent de tant de fleurs
Que le pâle soleil recule

C'est par un soir d'hiver
Dans un monde très dur
Que tu vis ce printemps
Près de moi l'innocente
Il n'y a pas de nuit pour nous
Rien de ce qui périt n'a de prise sur moi
Mais je ne veux pas avoir froid

Notre printemps est un printemps qui a raison
Notre printemps est un printemps qui a raison
Notre printemps est un printemps qui a raison
Notre printemps est un printemps qui a raison
 

Lundi 23 mars 2009 à 12:38


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La scène, le public, une histoire d'amour partagée, une passion magnifique.
 
Des artistes entrent sur scène. Barbara, elle, apparaît. Pour des milliers de gens et pour soi seul quand, sur quelques notes de " Pierre " elle met le pied dans la lumière. Dans ce halo, lentement elle avance. Elle pose une main sur son compagnon fidèle, le piano. C'est rassurant de pouvoir toucher l'instrument de bois noir. Le piano, c'est un peu elle aussi, un autre double. Celui qui accouche les sons et les mots qui donneront naissance à ses chansons. A cet instant-là où les projecteurs sont braqués sur elle, la salle est une immense nuée blanche applaudissante dont elle sent les vibrations. L'entrée en scène est un étrange moment de fulgurance. En un instant, l'angoisse et la peur s'évanouissent et se transforment en une puissante énergie permettant de ne plus être sur la défensive et de donner. Barbara ne chante pas pour elle. Elle ne se regarde pas chanter. Elle est là pour le public qui sait qu'elle chante pour lui. La salle est ce miroir à deux faces où se répondent les chapitres d'une histoire partagée. Sur la scène de Mogador, un soir de mars 1990, s'adressant au public, elle livrera cette émouvante confidence  :  " Pendant quarante ans de ma vie de femme qui chante vous avez suivi et précédé tous mes chemins, sur toutes les routes, des cabarets aux théâtres, en passant par les chapiteaux, en attendant mes absences, en vivant mes colères, en étant là au retour, toujours. Vous avez toujours été là, je vous ai emportés partout. Et vous avez fait des fêtes fantastiques. Et moi de mon côté, c'était inexplicable. Quand on me demandait d'expliquer cette chose extraordinaire qui existait entre vous et moi. Je n'ai jamais pu parce qu'elle est inexplicable. Il faut être là.  " Racontez-moi... "  Il n'y à rien à raconter. C'est une chose impalpable. C'est un secret, un secret entre vous et moi. Et personne... je ne pouvais pas traduire cette chose-là, elle est intraduisible pour moi. Elle sera intraduisible jusqu'au dernier instant où je chanterai. Parce que c'est une chose comme ça, exceptionnelle, rare. Ce n'est pas une chose comme on dit, mystique, femme en noir, la messe... Ce n'est pas ça du tout ! C'est une histoire d'amour magnifique, c'est une passion magnifique. " Le rapport que Barbara entretient avec son public a quelque chose d'instinctif, d'intuitif ayant pour élément fondateur et fédérateur l'amour, ce sentiment aussi mystérieux qu'irrationnel. Un public intergénérationnel et qui, tout au long de sa carrière, sera composé de jeunes qui ont souvent perdu leurs repères. Elle les écoute. Elle les entend ses fragiles, comme elle les appelle. Elle les connaît, les reconnaît. Ils vont sur la même route, ils partagent le même destin. A sa façon, elle leur tient la main. Elle incarne l'espoir pour tous ceux qui se reconnaissent dans ses chansons. Elle est un avenir. Une compagne de solitude quand tout va mal mais aussi une infinie présence dans la joie. Quand ils peuvent de nouveau regarder droit devant eux, ils ne l'oublient pas. Cette affinité crée entre eux des liens tout aussi imperceptibles qu'indestructibles. Quand ils peuvent enfin mettre des mots sur leur peine, qu'ils peuvent comprendre, parfois expliquer ce qui a pu se passer, ce qui est arrivé, le fond, le trou noir, l'envie de plus rien, ils mettent un visage, une voix sur celle qui leur a donné de la chaleur, du réconfort. Un peu d'horizon quand la vie n'était plus qu'un mirage, une ombre instinctive, quelque chose sans attrait que Barbara venait arracher du néant. Ils lui disent  : 

" Vous êtes la première voix que je veux entendre à mon réveil. "
" Vous avez lu dans mon cœur ces pensées si sombres qui m'envahissaient. "
" Avec vos mots et votre musique vous avez donné de la légèreté à mes maux. "
" Je vais de mieux en mieux. "
" Je revois du bleu."
"  Je vais vers le soleil. "
" C'est un peu comme si un hiver éternel allait s'achever. "
" J'ai envie de rire parfois. "

Ils lui disent encore  :

" Je ne sais pas exprimer les choses comme vous le faites mais je voulais vous le dire, comme cela, simplement  :  Merci. "
 
Didier Millot

Vendredi 20 mars 2009 à 8:00

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Seule   ( Barbara/Barbara )   ( 1981 )


Comme jour
Comme nuit
Comme jour après nuit
Comme pluie
Comme cendre
Comme froid
Comme rien
Comme un ciel déserté,
Une terre sans soleil
Comme pays perdu
Sans couleur,
Sans clarté
Sans étoile
Egarée
Comme épave perdue
Comme épave perdue

Comme jour
Comme nuit
Comme jour après nuit
Comme pluie
Comme cendre
Comme froid
Comme rien
Comme épave perdue
Je me cogne et me brise
Comme froide
Comme grise
Comme rien
Je suis seule
Comme froide
Comme grise
Comme rien
Je suis seule...

Jeudi 19 mars 2009 à 9:31

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Elle voulait régner mais n'aimait pas posséder ; d'ailleurs, elle ne savait pas thésauriser. Elle élevait l'autorité à la hauteur d'un bel art mais haïssait la violence, le mépris, l'indifférence. Elle contrariait le sens de la grandeur par la science de la douleur. Elle qui, tant de fois, s'était ouvert les veines et, pour le grand départ, avait embarqué sur son lit en costume de scène, feignait d'être assez forte pour porter, sur ses seules épaules, tous les malheurs de l'humanité. Elle aimait tant assister : elle eût rêvé de pouvoir soigner,  d'alléger la souffrance. Il y avait, en elle, d'incroyables réserves de charité, un trésor inusé de tendresse maternelle, une tendresse sans emploi. Barbara, les yeux ouverts. Un mythe au cœur blessé. Le long des couloirs d'hôpitaux, elle se promenait comme une infirmière bénévole sur un champ de bataille. Un ange, dans la campagne. Elle parlait ici, écoutait là, faisait les courses pour les impotents, serrait contre son cœur une main maigre, calmait, en caressant, un visage que la camarde avait commencé de sculpter dans la pénombre. Elle adoucissait, avec des mots aussi évident et cristallins que les paroles de ses chansons, le protocole compassionnel. Parfois, elle signait des chèques pour offrir d'improbables voyages, de grandes évasions. Et quand tombait le soir, des lits blancs montait vers elle un suppliant refrain  " Dis, quand reviendras-tu ? "  Barbara avait la vertu des femmes qui veulent corriger le monde. Cela supposait de la révolte, et elle n'en manquait pas  " Restons en colère "  Cela supposait de l'humour, et elle avait le goût de la formule  :  " Je suis contre la misère et pour la défense des pianos en péril que maltraitent les directeurs de théâtre. "  Cela supposait aussi de connaître la souffrance, et sa chair en portait les traces, aux poignets striés, de galons. Il lui arriva de quitter sa clôture pour réclamer haut et fort l'abrogation de la peine de mort. Il advint même à celle qui tout s'opposait au grégarisme idéologique de militer pour l'arrivée de la gauche au pouvoir. C'était, vous en souvenez-vous, en 1981  :  " Un homme/ Une rose à la main/ a ouvert le chemin/ Vers un autre demain " Et puis, faisant du combat contre le sida une affaire personnelle, elle rejoignit les rangs d'Act Up, fut la seule personnalité à signer un texte favorable à la fourniture de seringues dans les centrales, et ne cessa de distribuer sur la route de ses tournées des sacs entiers de préservatifs. Celle qui, à l'école collectionnait les qualificatifs punitifs  " frondeuse, meneuse, désobéissante, indisciplinée, trop rieuse "  avait inventé sur le tard un beau néologisme, le verbe  " Vigiler "  qu'elle ne se lassait pas de conjuguer au présent de l'indicatif. Car le spectacle quotidien de l'affliction et de l'humiliation la persécutait, elle ne s'autorisait pas d'être heureuse si les autres ne connaissaient pas le bonheur. Toute sa vie, elle avait chanté malgré ou plutôt contre sa propre certitude que monter en scène était un privilège. Malgré tous les témoignages de reconnaissance qu'on lui adressait, elle n'avait jamais voulu croire vraiment qu'elle pût faire le bien en faisant son travail. Celui d'  "une femme qui chante "  Secrètement, elle se préférait auprès des malades et des prisonniers ( dont elle jurait avoir  " reçu bien plus que je n'ai donné " ) que la lumière des projecteurs. Elle cultivait la complicité des grands blessés, des rescapés de guerres intérieures.
 
Jerôme Garcin

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