Mes premières chansons d'elle, je les ai entendues dans un juke-box, quand j'étais môme. Dis, quand reviendras-tu ? je me souviens... Je me souviens aussi de l'album à la rose, plus tard. Elle avait une manière de jouer du piano très spéciale, une technique " raccourcie " un truc à elle. Tu peux essayer de faire comme elle, ça ne sonne pas pareil. A ses côtés, il y avait toujours un accordéon ; elle l'aimait pour sa voix humaine sans doute, pour son côté tzigane, tour à tour douloureux et joyeux, et peut-être parce qu'il est transportable, c'est un orgue à pattes, un orchestre à lui tout seul. A mes débuts, elle m'écoutait poétiser au Port du Salut, un des derniers cabarets de Paris, le quartier général de Richard Marsan, le directeur artistique de Léo Ferré, et le mien. Juliette Gréco, Michel Piccoli, Maurice Fanon... étaient comme elle des habitués du lieu. Elle avait un charme fou, c'était une diva, comme Juliette. Même classe, ( elle, en plus auteur-compositeur : ça donnait une autre lumière ) Bien après je suis allé à Précy, pour essayer de lui écrire des textes, mais aussi pour rigoler. Même à la maison, elle avait l'air d'être en tenue de scène, pantalon fluide et col de reine. Elle répétait dans son théâtre, parfois seule ; j'étais admis de temps en temps. Avant Mogador ( je l'y ai vue trois fois ) les répétitions ont été longues. Mogador, le Châtelet, c'étaient des théâtres parfaits pour elle. Pantin, c'était rock, je me demandais comme elle allait faire, et tu as vu : elle remplissait l'espace. On a tendance à mettre les divas dans des cocons ; elle était sortie du sien, et ça lui a ouvert un autre public. Difficile de chanter mieux qu'elle. Cette façon qu'elle a de placer les mots, ce contre-chant dans le chant... Difficile d'écrire mieux qu'elle, aussi. Elle a un amour gourmand des mots. Pierre par exemple, chanson intimiste, chanson-confiture, une des rares chez elle qui ne ressemble pas à un ouragan. Le mal de vivre, c'est un ouragan intérieur. Elle a le talent de scénariste, aussi : la situation se retourne toujours, dans ses chansons. Nantes est à part. J'ai toujours été intrigué par ce texte étrange, très pictural, en clair-obscur. Assis près d'une cheminée... La lumière était froide et blanche... On voit Vermeer, on entend Baudelaire. Et ce dernier vers, seul à parler du père, et de pardon, d'une certaine façon... La chanson est mystérieuse, mais quand tu sais ce qui s'est passé avec son père, elle l'est encore plus, à cause de ce pardon suggéré. Tu peux l'écouter à plusieurs niveaux. Dans d'autres, on sent le travail, dans celle-là, le jaillissement. Pour moi, Barbara est à la même altitude que Léo. Chez les deux, il y a du baroque, et du latin. Elle a un style plus dépouillé ( pas un mot, pas une virgule de trop dans Le mal de vivre ) et une interprétation plus théâtrale Férré " ténorise " comme un Italien, sauf dans La Mémoire et la Mer. Juliette Gréco a raison de dire que l'interprétation est une troisième écriture... Barbara est plus proche de Brassens ( qui, lui, s'éffaçait derrière ses chansons ) pour le dépouillement de l'écriture, et de la revue et du chant classique pour l'interprétation. Etonnant mélange. Cette femme à la fois sensuelle et masculine est elle-même un mélange mystérieux et attirant. Avec son côté grande liane exotique, je la vois bien dans les années 1920, garçonne habillée par Poiret et dansant sur un volcan...
Bernard Lavilliers ( Chanteur Compositeur )
sympa ce témoignage du chanteur Bernard lavilliers
bises et bonne journée
A+ de Emmanuel