Barbara occultera les moments douloureux pour ne se souvenir que de l'ambiance chaleureuse qui régnait sur le petit monde des prostituées, des voyous et autres maquereaux. Au moment où Jacques Brel enregistre son premier disque Philips, Barbara va où le vent la mène, et flirte avec les situations dangeureuses. L'insouciance de la jeunesse, avec pour seul but, chanter et chanter encore ! Un soir, dans un cabaret où elle se produit, elle va trouver le patron, un " caïd " qui maltraite son personnel, les artistes, surtout une certaine danseuse :
Je te préviens, je ne chante pas ce soir si tu ne donnes pas ce que tu dois à cette fille !
Quand j'y pense..., avouera-t-elle plus tard à Serge Tomassi, futur complice musical, j'aurais pu me faire massacrer ! Mais il était hors de question de laisser faire ce voyou !
De septembre à Noël 1954, Barbara est engagée à L'Ecluse en numéro trois, en vedette après une parodie comique. Sur la rive gauche, elle chante sans micro avec une désinvolture qui fait rire le public, jouant de sa voix et de son corps. Pendant ce séjour, la direction remarque pour la première fois que Barbara
" fait recette "
Place de l'Odéon dans les années cinquante. Raymond Lévesque égrène ses souvenirs...
Lorsque j'arrive à Paris en 1954 avec peu d'argent, je me retrouve à Saint-Germain-des-Prés avec tous les paumés de la terre. C'est là que je fais sa connaissance, elle est comme nous. Nous fraternisons et passons nos après-midi au Café de l'Odéon, au Quartier Latin, où le patron nous laisse nous éterniser devant un verre de rouge. Très effacée,elle me présente Claude Sluys, qui est vaguement imprésario, en me disant simplement : " c'est mon mari. "
Le 14 décembre 1956, elle est engagée par Jacques Canetti aux Trois Baudets, dans Hi-Fi, aux côtés de Francis Lemarque, Raymond Devos, Pierre Dac, Francis Blanche, Colette Chevrot et Monique Sénator.
Cette année-là, lorsqu'il est nommé directeur artistique du service Variétés pour le compte de la maison Pathé Marconi, Serge Beucler invite son ami montpellièrain Henri Saccazes dans un petit restaurant du quartier Saint-Michel : il tient à lui présenter sa découverte... Plus tard, retiré à Millau, Henry Sacczes se souviendra de son tout premier contact avec cette " femme-échalas en point d'exclamation, à la démarche un rien féline et au port de tête de danseuse-étoile "
Jamais je n'oublierai cet instant magique. Du haut de sa longue silhouette filiforme, avec un timbre de voix si étrange, elle paraît accrochée à sa branche, dans une pénombre feutrée et intimiste. Barbara qui ne laisse déjà nul indifférent est une femme impressionnante d'intelligence et de culture, mi-Callas par la silhouette, mi-Garbo par le mystère. Si le therme d'atmosphère est lié à tout jamais à la gouailleuse personnalité d'Arletty, c'est avec Barbara qu'il a pris sa pleine dimension romantique avec des émotions à nulle autre pareille, une intimité, une ambiance d'envoûtement proche de la cérémonie vaudou...
En 1958, engagée pour six semaines, elle chante à nouveau à L'Ecluse. L'ambiance est familiale, Barbara arrive chaque soir, très tôt, vers 21h, bien avant l'ouverture.
Dès les premiers jours, je remarque sa grande intégrité, raconte Marc Chevalier. Chanter c'est sa vie, elle sacrifie tout à ça. Barbara a une " élégance de coeur " : elle donne tout, c'est spontané ! Avant le spectacle, on prend le café ou bien on mange au restaurant d''à côté. Plus tard vers 1h ou 2 h du matin, nous allons boire un dernier verre ensemble place Saint-Michel. Nous vivons très liés sans véritablement nous connaître. Nous parlons beaucoup, mais je ne vais jamais chez elle et je ne sais rien de sa vie privée... Une fois, elle se dévoile et me dit " tu vois quand je chante, je ne fais pas venir ma mère... Le fait qu'elle soit là me trouble et m'empêche d'être moi-même totalement... "
Au fils des jours, ses inflexions de voix au timbre personnel sont très remarquées. Barbara croise, entre autres, Yves Joly et ses marrionnettes, sans oublier Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras, inséparables, avec leurs personnages de Louis XIV et Racine. Elle gagne dix francs par jour. de quoi se payer le taxi et le dîner.
Extrait du livre