Vendredi 5 septembre 2008 à 7:30
C'est un " outil " extraordinaire, le fax ! Vous ne trouvez pas ?
Parmi ses " amis de fax " Christophe de Mirambet. Leur échange a duré des années. Ils ne se sont jamais vus. Ou plutôt : Christophe a vu des concerts de sa correspondante ; il n'est pas allé la saluer, après, dans sa loge, il ne s'est pas fait connaître. Leur histoire a tenu à un fil -- de téléphone aussi, souvent. C'est ainsi qu'elle a commencé. Ce décorateur et architecte d'intérieur bordelais apprend un jour d'un ami, ancien collaborateur de Barbara, que celui-ci l'a reçue à dîner la veille, qu'elle s'est mise au piano, que la fête fut belle. Dommage, Christophe n'y était pas. Dommage, elle a de longue date une place à part dans ses amours musicales, classique, opéra, chanteurs 1900, Fragson, Fréhel, Mireille... " J'avais entendu un disque d'elle chez ma tante, qui m'a offert un double album. La voix, les mots, j'en étais fou " Le jeune homme envoie ses voeux à la diva, lui dit ses regrets de l'avoir manquée à son escale bordelaise. Quelques jours plus tard, coup de fil à sa galerie : " Allô, c'est Barbara. Qu'est-ce que vous me racontez-là ? " Pas en colère, étonnée, amusée : cette soirée n'a pas eu lieu. Du petit mensonge d'un ami va naître un long dialogue amical, entamé par la dame : " Vous avez un fax ? Prenez mon numéro " Dialogue à distance rythmé de rires, de blagues, de malices : " Elle m'a commandé un canapé, on n'a jamais pu trouver la couleur qu'elle imaginait. Je lui ai envoyé des échantillons, j'ai reçu en retour des commentaires drolatiques... " De moments plus graves aussi, la nuit souvent. " Je faisais des pirouettes, des pieds de nez, elle parlait d'autre chose -- Qui aimez-vous comme chanteuse ? --- Kathleen Ferrier. -- Moi aussi, je l'adore. Quel livre offrez-vous le plus souvent ? -- Les Lettres à un jeune poète de Rilke. Elle m'a envoyé son enregistrement des Lettres " Ils ne se sont jamais vus, mais l'intuitive a su le décrire : grand, mince, cheveux clairs. Elle l'appelle " singe exquis " ou " p'tit blue " ( la galerie bordelaise de Christophe, fermée depuis, avait pour nom Le Singe Bleu ) Parle de tout et de rien avec lui, sauf de la chanteuse Barbara, même s'ils chantent ensemble des couplets de caf'conc. " Nous avions des amis communs, je ne lui en ai jamais parlé, pas plus qu'elle ne parlait de sa vie de dame brune. C'était un échange hors tout, et hors tout le monde. Une étonnante intimité, elle s'y sentait à l'abri, je crois. " Ces deux là connaissent leur douleur, et reconnaissent celle de l'autre au bout du fil ou du fax. Ce lien silencieux garde leurs secrets. " J'aimais la chanteuse, à la fois femme, homme, animal fabuleux, qui suscitait toutes sortes d'amours de toutes sortes de gens ; sur scène, elle me subjuguait... Mais bavarder avec elle, c'était différent. " Elle lui parle des prisons parfois, ou d'autres luttes : " Que faites-vous quand vous allez très mal ? " Quand elle apprend que Christophe a été victime d'une agression, elle l'appelle tous les jours, lui dessine des fleurs sur son fax. Elle s'adresse parfois à son chien : " Chez Pompon, tu diras à ton maître... " C'est à Pompon que s'adresse un dernier message. " Pas question de commencer l'hiver en allant mal, au lieu de courir et de sauter partout... " L'année précédente, elle avait glissé au " p'tit blue " " Sa " vieille " chanteuse, enfin pas trop, travaille à lui écrire une " tite " chanson " ... Ce sera Faxe-moi " J'entends / Je reçois / Votre humeur de l'instant / Qui passe / Dans vos mots / Écrits là...(...) C'est mieux / De ne pas / Se connaître / Cela changerait tout / Peut-être " ... (... ) Surtout / Ne perdons pas / Le charme étrange / De nos échanges ... " Le charme n'est pas rompu. " Elle n'a pas disparu. Je l'écoute toujours. Ce n'est pas une absence, mais une présence interrompue. Nos fax sont en sommeil, c'est tout "