Croquis de Luc Simon
Quand nous sommes arrivés chez elle pour les premières répétitions, raconte Gérard Daguerre, nous n'avons pratiquement pas joué, nous avons beaucoup parlé ; elle m'a laissé tout seul dans cette grande maison pour voir comment j'évoluais, c'était très particulier, je suis resté quatre jours avec elle. Elle était insomniaque. Il nous arrivait de faire de la musique jusqu'à quatre, cinq heures du matin, sans partition ; elle me disait " Faites ce que vous voulez jouer " ; elle jouait du piano. C'était hallucinant, c'était un souvenir incroyable, cette femme qui jouait pour moi seul. Tout cela est très difficile à expliquer, je ne savais pas encore si nous pourrions travailler ensemble. Elle savait comment je jouais du piano, ce n'était ni un problème de note ni de musique, c'était uniquement un problème de vivre ensemble et cela pour elle était primordial... On ne travaille pas, ce n'est jamais un travail, c'est un plaisir ; si ce n'est pas un plaisir, on s'en va. (...) C'est quelque chose d'inouï, car personne ne travaille comme elle. Elle demandait beaucoup aux musiciens, je me souviens qu'avec Roland Romanelli il était fréquent que l'on travaille jusqu'à cinq heures du matin, c'est épuisant. D'autres s'y sont essayés avant moi et n'ont pas résisté. (...) Je pense qu'elle lisait très peu la musique, elle arrivait à déchiffrer une ligne mélodique mais elle ne pouvait pas écrire la musique... Elle me chantait par exemple " tiens le violon il va faire loulouloulou. " et puis moi j'écrivais ce que j'entendais, ce qu'elle me chantait donc ; on faisait ça des journées entières. La fois où elle m'a le plus sidéré, c'est quand on a fait son dernier disque et qu'on a enregistré " Femme piano ", elle a voulu faire le mixe et je dois dire que je ne n'étais pas tout à fait d'accord avec son mixe parce qu'il y avait beaucoup de choses qu'on n'entendait pas, des choses magnifiques et c'était dommage parce que ces choses-là, c'était elle qui me les dictait par téléphone, le violon va faire ça, la trompette va faire ça et moi au bout d'un moment je me disais ça va faire une cacophonie incroyable ! Et quand tout ça s'est mis en route, c'était super. D'ailleurs je lui ai dit " Mais vous vous rendez compte de ce que vous avez fait là c'est inouï, c'est incroyable. " (...) Elle m'a dérangé une seule fois un jour férié en m'appelant chez moi, parce qu'il y avait un accord qu'elle ne trouvait pas. " Il faut que tu viennes immédiatement je ne trouve pas l'accord ", elle cherchait un truc, un accord, elle ne le trouvait pas, elle était sur son piano, elle tapait sans arrêt, elle n'y arrivait pas ; je suis arrivé chez elle ça a duré trois secondes parce que cet accord pour moi c'était évident, je savais ce qu'elle voulait alors je lui ai dit : c'est ça Barbara, vous voyez, je servais à ça en fait... C'était des renversements, des choses comme ça, on était arrivés tous les deux à une complicité incroyable. On avait plus besoin de parler, je savais ce qu'elle voulait, c'était formidable... L'exigence qu'elle s'imposait dans son travail, je la vivais comme elle en fait, parce que si on n'était pas dans son sillage, ça ne marchait pas, aucune concession n'était possible, pour faire un spectacle avec elle, on répétait six mois et je savais très bien que pendant six mois je ne pouvais rien faire d'autre. Le lendemain d'une répétition, lorsque j'arrivais, elle me disait souvent : " Ce qu'on a fait hier ça va pas du tout " , c'était pratiquement tous les jours... Et on recommençait à l'infini. Ca s'arrangeait quand on commençait à jouer sur scène ; là, c'était fini mais quelques jours avant ça continuait : il y avait un doute permanent sur beaucoup de choses et moi je trouvais cela extraordinaire ; ça peut paraître un travail pénible, mais pas avec elle (...), elle avait cette façon de le faire, je savais qu'elle avait raison, elle savait ce qu'elle voulait... Sur scène, on était trois souvent avec Mahut, Sergio ou Azzola, avant de jouer je parlais tout le temps avec Barbara, suivant la conversation que j'avais avec elle ou l'état où elle se trouvait je faisais jouer les musiciens différemment. Parce qu'on jouait jamais deux soirs pareil, c'était ce que disait Mahut, j'ai toujours réussi à rendre " carrées " les chansons qui ne l'étaient pas, on était arrivés à quelque chose d'incroyable ! Pour moi, ça va au-delà de la musique. Ca peut se rencontrer dans le jazz, en musique classique, mais c'est rare. (...) Dès que je la voyais se mettre au piano, même si elle ne chantait pas, qu'elle jouait comme ça, c'était Barbara, c'était incroyable ! Pas des problèmes de vélocité, c'est pas ça la musique, c'est pas des notes, comme elle le disait souvent, c'est pas de faire des notes, faire des notes c'est pas difficile, faut travailler, travailler, mais faire des belles notes, peu, ça c'est difficile, (...) Quelle que soit la musique que j'aborde, (...), je l'aborde dans cet esprit-là. Je vais à l'essentiel de la musique, dans la beauté des gens. (...) C'est inouï de penser que sa rencontre a non seulement transformé ma musique, mais aussi ma vie ; quand on croise quelqu'un comme Barbara et que l'on vit avec elle pendant des années, vous ne pouvez pas sortir indemne. C'est impossible.
Gérard Daguerre ( accompagnateur depuis Pantin 81 )
Après un peu de lecture par ici puis je viens glisser ce petit commentaire,.
bonne fin de journée et +
J'ai posté un nouvel article ,en ce jour sur jazz "Diana Krall"
bises musicales et A+ de Emmanuel