En 1963, à la mort de Piaf, mon ami le peintre Eugène Deckers me déclarait, effondré : " Maintenant, on n'entendra plus que des pisseuses. " Il ignorait, Eugène, qu'il existait déjà un autre volatile, un futur aigle noir, une autre chanteuse hors norme, connue seulement des habitués du cabaret de l'Écluse, qui pouvait, par sa stature, sa sincérité, sa densité, prendre la relève du défunt moineau. La sensualité presque initiatique qui émanait de son répertoire et de sa personne lui valait une cohorte de dévots de tous sexes qui, tremblant d'émotion, rôdaient autour de son hôtel, de sa loge et des coulisses avant de se rendre au spectacle comme on va à une messe. En 1994, la voix fêlée, avec deux musiciens autour d'elle, elle donna vie à un récital qui bouleversait toutes les données et rassemblait toutes les générations de spectateurs. Ceux-ci l'ovationnèrent debout toutes les trois chansons. Sous des dehors parfois arrogants ou autoritaires, souvent persifleurs, elle restait percluse de doutes et faisait régulièrement appel - inutilement ? - à des auteurs ou des musiciens qui l'impressionnaient. Sans se rendre compte qu'avec sa robe noire et son piano, ses paroles et ses mélodies, elle se suffisait à elle-même. La dame brune s'en est allée en novembre 1997. Peut-être y a-t-il quelque part un oiseau rare prêt à prendre son envol, à nous consoler de l'absence du piaf et de l'aigle. Un autre être d'exception, une femme chantante qui saurait offrir, avec le même absolu, ses rires et ses larmes, sa tendresse et sa véhémence, son humour et son désarroi, ses blessures, sa dignité, ses contradictions. Son talent.
Georges Moustaki
J’ai beau scruter le ciel, a part les étoiles au firmament… Pas d’hirondelle !
Bisous ma puce!