Suite d'hier...
Quelques jours plus tard, je suis définitivement admise par mes camarades qui m'ont surnommée " Bambi " Je suis la plus jeune de toutes, et d'humeur rieuse ; elles m'ont très vite prise sous leur protection et m'ont appris à me maquiller, à coiffer ma perruque, à enrouler mes faux cils, le soir, sur une allumette afin de les retrouver bien recourbés le lendemain. Il y avait une habilleuse, madame Blanche, qui, entre chaque tableau, nous dégrafait puis nous ragrafait prestissimo. Les loges étaient au deuxième étage, on grimpait à toute allure les escaliers étroits en retroussant nos lourdes robes à crinoline. Nous étions douze choristes et douze danseuses à partager une grande loge commune, toutes assises devant nos tables à maquillage. La multitude d'ampoules encadrant les glaces donnait un air de Noël à la loge et c'était tous les soirs comme une grande braderie bariolée ; toutes ces couleurs, toutes ces soies, ces taffetas, ces satins, ces dentelles, ces bijoux, ces perruques, ces guêpières, ces fanfreluches de french cancan, cette odeur de poudre de riz - qui me rappelait celle du sac à main de Granny - et de colle à faux cils... Que ça me plu ! Que j'ai aimé ça ! Que c'était chaleureux et vivant ! A cette époque-là, les choristes, les mannequins et les danseuses étaient professionnellement très mal défendues. Mes camarades m'ont appris comment, si je le voulais, je pouvais arrondir mes fins de mois. Un des machinistes jouait le rôle d'entremetteur et nous trouvait des " clients " dans des milieux plus ou moins interlopes, voire, dans certains cas, très particuliers, parmi ces messieurs de la haute. Je me souviens d'un homme qui payait très cher, disait-on, pour qu'on se laissât enfermer dans un cercueil installé dans une pièce attenante à son bureau, etc. Ces combines ne m'intéressaient pas du tout, mais il me plaisait assez d'être admise au point qu'on me les proposât. Chaque soir, après le spectacle, je reprenais le métro pour rentrer chez moi. Je descendais à la station " Maraîchers " et longeais longuement la rue des Pyrénées pour arriver, essoufflée, au deuxième étage du 50 de la rue Vitruve où ma mère, inquiète, m'attendait avant de s'endormir. Comment ça me semblait doux, de rentrer à la maison.
Extrait du livre écrit par Barbara
"Comment ça semblait doux, de rentrer à la maison" !
Très beau passage!
Bisous ma puce ;)