L'homme
Nous ne nous sommes pas vus depuis huit jours, un mois, un an. Je ne sais pas, et c'est sans importance. Gérard me téléphone. Il dit " c'est moi " et je sais exactement comment il est, comment il va. Je ne me souviens plus où ni comment nous nous sommes connus. J'ai le souvenir d'une table autour de laquelle nous étions. Je lui raconte Lily Passion. Il dit " C'est pour moi. David, c'est moi. Écris-le " David, ce sera lui. Mais durant six années, Lily se fait, se défait, se construit, se déconstruit ; toujours Gérard sera là. Autour de lui, autour de moi, on me laisse entendre que, bien sûr, il a envie de cette aventure, mais que ce sera peut-être pas possible : trop de films, trop d'absence... Je n'ai jamais cessé de croire qu'il viendrait à la date fixée. Je travaille sur Lily avec la pensée de David et la présence de Depardieu. Il est en Mauritanie. Il tourne Fort Saganne. Je lui envoie une cassette avec les premières chansons de Lily et la pluie que j'enregistre dans le jardin de Précy. Nous allons communiquer par cassettes pour ne pas nous perdre. A son retour, je lui lis au téléphone le premier jet d'un passage d'un monologue de David ; il n'y changera presque rien. Je lui lis chaque nouvelle scène que j'écris pour lui. Par ses silences ou avec l'infinie délicatesse de ses paroles; il va me guider. Il m'apprend à ne pas me censurer. Très intelligemment, il va, par son langage, par son attitude, me dicter ce qu'il a envie de dire, et comment il voudrait le dire. Il arrive un matin à Précy dans le désordre d'un bureau jonché de feuilles de cahier qu'il ramasse en riant... Toujours, entre nous, les fous rires ou cette émotion de la première rencontre. Il est venu me regarder, me rassurer, mais il repart en disant qu'il est venu prendre des forces ! Le voleur ! C'est un voleur magnifique ! C'est un voleur d'émotions. A Nantes où nous sommes en tournée, nous assistons au baptême de la rue de la grange au loup ( hommage de la ville à ma chanson Nantes ) Au moment où on découvre la plaque, Gérard dit : " C'est pour mon père " Il me vole mon histoire pour mieux y participer, pour pouvoir tout partager avec moi. Poète médium, hyperémotif, hyper-tout, il mangerait d'amour ceux qu'il aime. En scène, un soir, il s'aperçoit que je ne suis pas dans les projecteurs ; il va tout doucement sortir de la lumière pour m'y faire avancer. Tous les soirs, il y veillera, comme un porteur avec sa danseuse. Dans ses promesses, dans ses folies, dans ses incohérences, dans ses délires, dans ses amitiés, je l'ai toujours connu d'une grande exactitude. D'une grande séduction : il sait que si le jeu de la séduction n'existe pas, rien ne sera possible. Séduire, se laisser séduire. Je l'ai vu parler aux chats un langage de douceur. Nous ne nous sommes pas vus depuis huit jours, un mois, un an, quelle importance ? Il est en marche quelque part à nous inventer des miracles. Je ne sais comment il peut faire surgir de la zone glacée un arbre de lumière.
Barbara ( Précy; le 1er mars 1991 )
Et qu'importe le reste , elle a imprimer a jamais cet état de grâce que l'on a quand on aime .
Bisous Baboulove !