Lundi 4 mai 2009 à 8:54

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Croquis de Luc Simon

Barbara s'était installée dans cette principauté musicale au début du mois d'août 1996 pour y vivre pendant deux mois et demi, coupée du monde en marche, du monde souffrant que, d'ordinaire, elle ne laissait jamais de vouloir réconforter. Elle avait quitté son jardin de Précy quand les pivoines irradiaient, la glycine riait, le tilleul embaumait, à l'heure voluptueuse où les chats faisaient la sieste sur la pierre chaude. En fait de bagages, elle avait emporté son rocking-chair, son piano à queue, ses châles noirs, ses ballerines et son thermos pour la chicorée quotidienne à laquelle, jadis, André Schlesser, alias " Le gitan " l'avait initiée à l'Ecluse. Car elle buvait n'importe quoi. Je le lui disait. Elle riait de son mauvais goût. " Tu comprends, m'avait-elle alors avoué comme pour excuser son intransigeance, ce disque, c'est mon dernier enfant, mon dernier cri. "  Elle venait d'avoir soixante-six ans et, caressant son ventre, mimait en grimaçant la parturiente : " J'avais oublié l'angoisse joyeuse de la maternité musicale. "  Car, sauf pour mixer ses enregistrements live entre deux tours de chant, elle n'était plus retournée en studio depuis son album Seule, en 1981. Quinze années de scènes, de tournées, de stress, de trac, le corps qui danse de ville en ville, qui s'offre de foule en foule, la voix qui vibre dans l'ait pur, pas le temps de s'arrêter, pas l'envie de se cloîtrer pour être gravée sur un disque, entrer en studio, créer sans public, c'était donc, pour elle, l'antichambre de la mort. Barbara savait bien qu'à Suresnes, en cet automne trop chargé de souvenirs, menacé par l'orage, elle chantait une manière de testament. 8 octobre 1996 : au bout de la route. Quatre semaines avaient passé. Comme d'habitude, je guettais ses imprévisibles commandements. Coup de téléphone, un matin. " Viens, s'il te plaît ! "  J'accourus. A l'entrée du studio, elle me fit remettre une lettre sans ponctuation : " Cher toi Ecoute je suis très heureuse de te voir parlons nous très doucement j'ai du mal à sortir de ma bulle j'Arrive "  Je patientai dans l'entrée. Je savais que le mixage touchait à sa fin et que cela tenait, une fois encore, du miracle. Quelques jours plus tôt, en effet, Barbara avait dû être hospitalisé en urgence. On lui avait porté les dernières cassettes à la clinique, où elle écoutait sous perfusion, les corrigeait au scalpel. Ce fut un combat de chaque instant, qu'elle mena, comme toujours, tête haute, foudroyant d'un regard d'acier son ennemi intérieur. La lutte finale. Et puis, les médecins la laissèrent revenir en studio. Glissant vers moi sur le parquet blond avec une allégresse de rescapée, " Ca y est, c'est fini ! Ce disque-là, c'est du bonheur. Erreur ou pas, c'est ca que je voulais, c'est exact, oui c'est exact. On m'a tout donné pour que j'y arrive, on a accepté mes exigences, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Ce disque, je voulais qu'il me ressemble, avec seulement le temps qui a avancé sans me changer. Quand je l'écoute, je pense que je suis OK avec cette femme-là, que je n'ai pas honte, je n'ai honte que de la misère, du malheur, de la souffrance et de l'exclusion. "  Et soudain, murmurante, mais sans amertume : " Je sais bien que je suis au bout de la route, mais ça n'est pas triste, c'est même plutôt joli. Car plus le temps passe, plus je me sens libre. Tiens, je vais chanter pour toi tout seul. "  Jamais je n'oublierai cet instant-là, ce temps suspendu. Elle se dirigea vers le piano, ses yeux fixèrent les miens comme une voyageuse poursuivant du regard l'ombre qui s'éloigne sur le quai, ses doigts caressèrent tendrement le clavier et sa voix, cette voix qui venait de tout son corps, pas de la gorge, donna aux mots simples que Guillaume Depardieu avait écrits pour elle une sereine grandeur. A force de... Le 11 octobre, elle quittait sa " Bulle " pour toujours. Elle retrouva son jardin de Précy dans l'éclat roussâtre de l'automne, sa maison dans le tranquille épuisement du travail accompli, et puis elle accompagna son disque jusqu'à la gravure. Il sortit le 6 novembre. Une date qui lui tenait à cœur, une date inscrite dans le carrare des sentiments éternels. C'était le jour de la mort de sa mère. Le jour aussi où, trois ans plus tôt, elle était montée, une dernière fois au Châtelet pour chanter son credo, son espérance et notre reconnaissance : Le jours se lève encore. Trois cent soixante-dix-sept aubes plus tard, sans avoir pris la peine de vieillir, soucieuse que jamais on ne la vît  " fanée sous sa dentelle "  Barbara s'éteignit dans un hôpital de Neuilly. Elle repose dans le cimetière de Bagneux, tout près de celle dont elle ne fit jamais le deuil, qu'elle avait tant aimée, qui seule avait sécher ses larmes et recueillir, du bout des doigts très fin, son désespoir d'enfant, sa grand-mère, " Granny " Certaines nuits, il paraît même qu'on entend monter des tombes et les cippes du carré juif les notes réconfortantes d'une berceuse russe et que plane, avant l'aube, un léger parfum de strudel aux pommes, parfum de bonheur sauvé du désastre.
 
Jerôme Garcin  ( journaliste )

Par repermusiques le Lundi 4 mai 2009 à 9:48
Le 6 novembre rappelle cette chanson de l'album de 1973...

J'avais pensée à toi en mettant le lien pour ré-entendre allô Macha :)

bises
Par autresrimes le Lundi 4 mai 2009 à 11:17
un coucou par ici en ce début de semaine
après avoir lu ce nouveau commentaire
te souhaitant une bonne journée , bises et A+
de Emmanuel
Par Paskale le Lundi 4 mai 2009 à 19:35
Ce que nous voyons aujourd'hui, ce n'est pas nous…
Ce n'est qu'une enveloppe qu’on nous a prêtée,
le temps d'une vie terrestre.
Pour Barbara celle~ci lui a permis de nous connaître et de nous aimer à sa façon. Par ses chansons, ses mots, ses rires !
Elle aimait la Vie, tu le sais bien.
La mort physique, ce n'est pas la mort de l'âme !
Ce qu’elle avait à apprendre ou à faire
dans cette vie~ci a été accompli. Je ne pourrais pas en dire autant !
Encore un témoignage de ce monsieur qui c’est si bien dire les choses quant au croquis, il est d’une grand pureté comme si Barbara était sur un petit nuage à nous regarder se balançant sur son rocking chair, veillant sur ces" petits oiseaux" ^.^

Très bel article!


BISOUS!
Par interference le Lundi 4 mai 2009 à 22:49
c'est passionnant, carrément ! et le croquis est divin !
Par kaa le Mardi 5 mai 2009 à 9:36
Encore une superbe image pour illustrer ce témoignage !
J"adore !
Par Code Promo Uber le Samedi 5 septembre 2015 à 18:07
Avez vous un lien pour que je puisse télécharger l'article en PDF ?
Par serrurier paris 15 le Lundi 7 septembre 2015 à 10:27
Excellent article je vous soutient .
Par http://www.plomberie-draguignan.fr le Lundi 11 juillet 2016 à 5:47
Je soussignée une telle qui suis saine d'esprit
Qui suis folle de toi et ne s'en remets pas
Je te lègue aujourd'hui en ce doux soir de mai
Où j'en ai plus qu'assez tout ce qui est fini
 

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