Jeudi 16 juillet 2009 à 8:29

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Ma mère m'avait offert pour mes dix-sept ans Le portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde. Ce cadeau m'avait enchantée et, venant d'elle, bouleversée. Premier déclic.
J'avais connu, pendant que je vivais encore  " à Vitruve " un étudiant grec de forte et troublante personnalité et qui faisait des études de criminologie. C'est lui qui m'initia à André Breton, Maïakovski, Louis Aragon, Paul Eluard, Queneau, Desnos, etc. Je me promenais avec les livres qu'il m'offrait. Je les ouvrais et les touchais comme pour en caresser les mots. J'allais au quartier Latin hanter les vieilles librairies de la rue Monsieur-le-Prince ou de la rue de l'Odéon, où flottaient odeurs et poussières de grimoires, de reliures de cuir repoussé à la feuille d'or, de feuilles jaunies couvertes de taches de son. J'aimais me perdre seule dans ces lieux de pénombre et y reniflais les mots, les savourais. Je grimpais aux echelles de bois, faisait glisser les vitres coulissantes. Les livres m'intimidaient, m'émouvaient, me faisaient rêver...
Je commençai bientôt à lire Genet, Jouve, Proust, Maurice Sachs, Baudelaire, Max Jacob, Colette. Plus tard, Les iluminations de Rimbaud, Georges Bataille et Céline.
Il me semblait que je ne retenais rien de ce que je lisais. Je dévorais avidement des mots, des pages, des espaces. Je rencontrais des personnages légendaires, traversais les siècles, m'enroulais dans les spirales de la folie, de l'étrange, de l'horreur, m'engloutissais dans les profondeurs de ces nuits d'asphalte. Et puis, brusquement, j'ai cessé de lire.
Je n'ai plus lu.
Rien, plus rien du tout !
J'ai oublié que j'avais lu.
Oublié.
En fait, les mots, au lieu de rester dans ma mémoire visuelle, se sont agglutinés dans ma mémoire tactile, et, aujourd'hui, je sais que ce sont ces mots-là qui bougent au bout de mes doigts, qui cherchent à sortir du bout de mes doigts, de tout mon corps.
En chantant, je retrouve cette sensation de mots jadis avalés, déglutis, engloutis, qui remontent douloureusement par ma gorge avant que je ne les exhale avec violence ou douceur dans une chanson. Comme il est expliqué dans Lily Passion ( spectacle avec G.Depardieu ) :

Et les mots qui sortent de ma gorge, je ne les connais pas :
des mots qu'on a plantés là, des mots qui me font mal et qui m'étouffent :
alors je les crie, je les vovis pour pouvoir respirer, pour vivre...

C'est ce qui se passe justement ce jour là  " à Rémusat " : les mots se pressent au bout de mes doigrs, j'ai envie t'écrire !
Je crois que c'est alors que je commence Le temps du lilas :

Il a foutu le camp, le temps du lilas
Le temps de la rose offerte
Le temps des serments d'amour
Le temps des toujours, toujours
Il m'a plantée là, adieu Berthe
Si tu le vois, ramène-le-moi
Le joli temps du lilas

Avant qu'il me quitte pour me planter là
Qu'il me salue, adieu Berthe
J'en ai profité, t'en fais pas pour moi
Du joli temps du lilas...

Extrait du livre de Barbara Il était un piano noir...

Mardi 7 juillet 2009 à 18:36



<  Le verger en Lorraine  >



Le verger en Lorraine  ( J.Poissonnier/Barbara )   ( 1962 )


Tout le sang qu'ont versé
Les hommes dans la plaine
Et tous les trépassés
Des causes incertaines
Ont fait qu'à ce verger
Il pousse par centaines
La rose et le pommier,
Aussi la marjolaine

Tous ceux qui ont crié
Que leur mort était vaine,
Tous ceux qui ont pleuré,
Le front dans la verveine,
Tous ceux qui ont soufflé,
Là, leur dernière haleine
Ont fait de ce verger,
Sur la rive lorraine,
Un creux tendre où s'aimer
Quand les saisons reviennent

Tous ces désarçonnés
Qui n'eurent le temps même
De dire, émerveillés,
Ce sont tes yeux que j'aime
Toutes ces fiancées
Dont l'attente fut vaine,
Ces hommes arrachés
A leur noce prochaine
Sourient à regarder
Ceux que l'amour amène
Sur l'herbe du verger
Quand leurs bouches se prennent

Tous ceux qui ont laissé
Leurs amours quotidiennes,
Les membres fracassés
Et le sang hors des veines,
Tous ceux qu'on a pleurés
Lors des guerres anciennes,
Ceux qu'on a oubliés
Les sans noms, les bohèmes
Se lèvent pour chanter
Quand les amants s'en viennent
Insouciants, échanger
La caresse sereine
Qui leur fut refusée
Au nom d'une rengaine

Tout le sang qu'ont versé
Les hommes dans la plaine
Et tous les trépassés
Des causes incertaines
Ont fait qu'à ce verger
Il pousse par centaines
La rose et le pommier,
Aussi, la marjolaine,
Ont fait de ce verger
Sur la rive lorraine
Un creux tendre ou s'aimer
Quand les saisons reviennent
 

Lundi 6 juillet 2009 à 8:40



<  Monsieur Capone  >



Monsieur Capone  ( F.Wertheimer/Barbara )  ( 1973 )


Ma chère Béatrice,
En réponse à votre lettre du 26 courant, me faisant part
de votre intention de marier notre petite Etiennette, j'ai
pris des renseignements au sujet du Monsieur très bien
dont vous m'aviez parlé.

On m'a dit qu'il est pape de bien des religions
Parmi les plus curieuses et les moins catholiques
Celles où le vin de messe est un mauvais bourbon
Fait dans un faux hangar, dans un vieil alambic
Celles où les cathédrales sont des maisons bizarres,
Où les prêtresses sont des dames faméliques,
Où l'on parle en browning, en rafales, en dollars
D'une façon tranchante, un peu automatique

Drôles de façons
Curieux bonhomme
Monsieur comment ?
Monsieur Capone !

On m'a dit qu'il est prince de bien des territoires
Parmi les plus fertiles, parmi les plus lointains,
Là où les terres sont grasses, généreuses et noires
Il cultive en secret, éloigne ses voisins
Et fait pleurer aux fleurs une perle bizarre
Et les montagnes entières pleurent, chaque matin,
Leur rivière de folie, leur marée de dollars
Le pavot, m'a t'on dit, est d'un rapport certain

Tiens, tiens
Drôle de culture
Curieux bonhomme
Votre Monsieur,
Monsieur Capone !

Vois-tu, chérie, un prince, un pape, un empereur
Voici, à priori, un parti fort aimable
Il devrait bien pouvoir nous offrir le bonheur
Mais il est quelque chose qui m'est moins agréable
Il faut que je t'avoue qu'il aurait une amie
Toute vêtue de noir, nul ne voit son visage
Mais chacun en a peur et tout le monde fuit
Quand on sait qu'elle approche ou hante les parages

Curieuse amie
Drôle de bonhomme
Votre Monsieur,
Monsieur Capone !

Dont on dit qu'il est pape de bien des religions,
Dont on dit qu'il est prince de bien des territoires
Qui cultive en secret,
Qui possède une amie
Toute vêtue de noir
Dont on dit qu'il est prince et pape et empereur
Qui cultive en secret,
Qui cultive en secret,
Qui cultive en secret...

Vendredi 3 juillet 2009 à 9:11


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Je chante vêtue d'une jupe noire et d'un pull-over ; un peu plus tard, une petite  " concierge-couturière "  habile sur sa vieille Singer, confectionnera à ma demande une veste en velours noir côtelé avec un col assez haut, dégageant le cou. Ce premier costume décidera de tous les autres.
Le noir est une couleur fantastique qui, à la fois, estompe les formes et met en valeur le corps. Moi, je pensais d'abord que ça n'était pas important qu'on voie mon corps. Puis j'ai appris à m'en servir. Bien que myope, je peux me déplacer en scène ( mais rien qu'en scène ) avec une grande rapidité, les yeux fermés. J'ai également appris à essayer de vaincre ma peur, lorsque j'entrais en scène, en m'obligeant à me déplacer très lentement au moment où j'accostais le piano. J'ai appris à canaliser mon élan vitale, et, durant les dernières années où j'ai chanté, je poussais, avant d'entrer en scène, un violant cri guttural qui libérait toute mon énergie. Ce qui, souvent, a pu apparaître à certains comme une sophistication a été pour moi un apprentissage de chaque soir, afin de donner chaque fois davantage tout en allant vers plus de dépouillement.
Je n'ai jamais répété aucun geste, je ne me suis jamais exercée devant une glace, je n'ai jamais travaillé avec un metteur en scène, sauf dans  Lily-Passion ; je n'ai obéi qu'à mes propres lois, apprenant sur le tas grâce à ce flux vivant que m'a toujours renvoyé le public, un public qui a été pour moi un accoucheur. Je n'ai fait en somme qu'essayer de retourner une part des beautés contenues dans cette amour immense qui me fut donné.
Après la veste confectionnée par la concierge voisine de L'Ecluse dans un velours côtelé appartenant à son mari, après, beaucoup plus tard, j'ai rencontré Cardin. Il m'a fait une jupe magnifique, très longue, avec une queue. Mais, à l'époque, je ne bougeais pas encore beaucoup. J'étais plutôt amarrée à mon piano. Et puis mon corps s'est mis à chanter, des cordes vocales aux orteils. J'ai eu besoin de marcher, besoin d'une liberté de mouvements, non plus seulement assise à mon piano, mais debout.
On ne sait pas d'où viennent les mots ; quand tu chantes, ils se mâchent, s'allongent, se discordent, se consument, déboulent de ta gorge à tes lèvres, redescendent dans ton corps, dans le pli de ta taille, dans ta hanche ; ils t'obligent à tendre la jambe, à plier l'épaule, à courber l'échine, à redresser les reins le long desquels ils se faufilent jusqu'à redescendre jusqu'aux extrémités où ils irradient parfois comme une douleur ou un plaisir intenses.
Dans ce besoin de liberté, ma jupe entravée constituait une gêne. J'ai donc adopté le pantalon ( Mine Vergès ) j'ai émancipé mes jambes qui, et, tout à coup, les mots se sont mis à circuler par ma bouche, par mes veines, par mes muscles, et tout mon corps a pu chanter de la racine des cheveux jusqu'au bout des doigts, et j'ai pu projeter mes émotions au rythme de mon souffle.
En raison de mes problèmes musculaires qui m'obligeaient à certaines positions, le cul assis bien droit sur des cubes mobiles que j'avais fait fabriquer, qui me permettaient de me tenir jambes écartées et de porter en scène un corset destiné à soulager mes souffrances, je ne me sentais au bout du compte vraiment bien qu'en pantalon. C'était ce qu'il me fallait pour être bien, pour bouger à l'aise, donc pour mieux chanter.
Tout s'est installé comme ça, et c'est devenu mon univers.

Barbara

Lundi 1er juin 2009 à 6:17

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Je n'ai jamais fait partie des zélateurs de Barbara, ces fans qu'elle avait de son vivant et qui n'existaient que par elle. Je l'ai même découverte assez tardivement, quand j'ai commencé à vraiment m'intéresser à la chanson... Ce qui m'a frappé tout de suite, et qui continue à m'impressionner, c'est la qualité de ses chansons, Dis, quand reviendras-tu ? par exemple, c'est magnifique. Une chanson sur l'abandon, sur le regret de quelqu'un. On a tous connu ça. C'est frappant de simplicité et d'évidence... Voilà de la vraie belle chanson. Quand on essaie soi-même d'en faire, on mesure à quel point c'est difficile.
 
Bénabar ( Auteur-compositeur-interprète )

Jeudi 21 mai 2009 à 7:00

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Ma mère me chantait sa Petite cantate. Je la trouvais magique, un peu morbide, merveilleuse. J'étais sensible à son côté slave. Je n'ai longtemps écouté qu'elle et la chanson anglaise. Ado, j'ai refusé d'aller la voir au Châtelet. Je m'en suis toujours voulu. Plus tard, j'ai acheté le DVD :  la splendeur de Barbara, la beauté de la salle, l'ambiance électrique... Tout m'a donné envie de chanter là, et d'y faire un spectacle assez dépouillé. Je l'ai fait, en octobre 2006. Puisque j'étais là à cause d'elle, je devais la chanter. Mais j'ai du mal  :  j'y perds mon souffle, j'ai la gorge serrée, des sanglots montent. J'ai parlé d'elle avec Bernard Lavilliers, avec Jean-Louis Aubert qui l'ont connue. Jean-Louis m'a raconté qu'elle voulait que chaque minute soit intense, qu'il y avait un tourbillon artistique autour d'elle... Ca manque, des êtres comme elle qui fédèrent, qui génèrent. Il y a une grâce totale dans ses enregistrements des années 1960, juste dans le son : on entend ses lèvres, son souffle, la pression de l'air. On entend ce qu'il y a de miraculeux dans cette voix, qui l'était toujours même brisée, dans les années 1980. Elle allait haut, très haut...

Raphaël   ( Chanteur )

Mardi 12 août 2008 à 12:54

 

 Le mal de vivre  (Barbara/Barbara )  ( 1965 )
 

Ça ne prévient pas quand ça arrive
Ça vient de loin
Ça c'est promené de rive en rive
La gueule en coin
Et puis un matin, au réveil
C'est presque rien
Mais c'est là, ça vous ensommeille
Au creux des reins.

Le mal de vivre
Le mal de vivre
Qu'il faut bien vivre
Vaille que vivre.

On peut le mettre en bandoulière
Ou comme un bijou à la main
Comme une fleur en boutonnière
Ou juste à la pointe du sein
C'est pas forcément la misère
C'est pas Valmy, c'est pas Verdun
Mais c'est les larmes aux paupières
Au jour qui meurt, au jour qui vient.

Le mal de vivre
Le mal de vivre
Qu'il faut bien vivre
Vaille que vivre.

Qu'on soit de Rome ou d'Amérique
Qu'on soit de Londres ou de Pékin
Qu'on soit d'Egypte ou bien d'Afrique
Ou de la porte Saint-Martin
On fait tous la même prière
On fait tous le même chemin,
Qu'il est long lorsqu'il faut le faire
Avec son mal au creux des reins
Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n'en peut plus.
Alors seuls dans le silence
D'une nuit qui n'en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n'en sont pas revenus.

Du mal de vivre
Leur mal de vivre
Qu'ils devaient vivre
Vaille que vivre.

Et sans prévenir ça arrive
Ça vient de loin
Ça c'est promené de rive en rive
Le rire en coin
Et puis un matin, au réveil
C'est presque rien
Mais c'est là ça vous émerveille
Au creux des reins.

La joie de vivre
La joie de vivre
Oh viens la vivre
Ta joie de vivre.
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