En 1946 la famille s'installe 50 rue Vitruve dans un petit appartement au deuxième étage dans un immeuble de cinq étages
Nous sommes en 1962. " A Rémusat " je ressens le désir d'écrire ; le besoin d'écrire. Jusqu'à présent, je n'ai écrit que deux chansons, mais je sens qu'en moi les mots bougent et cognent. Ils veulent sortir, les mots ; ils s'agitent, s'entremêlent, se conjuguent pour dire ce que je n'arrive pas encore à expliquer. Ils vont filtrer, sourdre, jaillir de mes veines. Ils me font peur et me fascinent à la fois. Je ne comprends pas d'où ils viennent. J'avais déjà eu des difficultés à comprendre, à mémoriser les mots des livres " A Vitruve " je lisais, je relisais tout d'une traite, comme on s'enivre : Ces dames aux chapeaux verts, Tropique du Cancer, Le Vicomte de Bragelonne, Autant en emporte le vent, La Citadelle de Cronin... Ma mère m'avait offert pour mes dix-sept ans Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. ce cadeau m'avait enchantée et, venant d'elle, bouleversée. Premier déclic. J'avais connu, pendant que je vivais encore " A Vitruve " un étudiant grec de forte et troublante personnalité et qui faisait des études de criminologie. C'est lui qui m'initia à André Breton, Maïakovski, Louis Aragon, Paul Eluard, Queneau, Desnos, etc... Je me promenais avec les livres qu'il m'offrait. Je les ouvrais et les touchais comme pour en caresser les mots. J'allais au quartier Latin hanter les vieilles librairies de la rue Monsieur-le-Prince ou de la rue de l'Odéon, où flottaient odeurs et poussières de grimoires, de reliures de cuir repoussé à la feuille d'or, de feuilles jaunies couvertes de taches de son. J'aimais me perdre seule dans ces lieux de pénombre et y reniflais les mots, les savourais. Je grimpais aux échelles de bois, faisait glisser les vitres coulissantes. Les livres m'intimidaient, m'émouvaient, me faisaient rêver... Il me semblait que je ne retenais rien de ce que je lisais. Je dévorais avidement des mots, des pages, des espaces. Je rencontrais des personnages légendaires, traversais les siècles, m'enroulais dans les spirales de la folie, de l'étrange, de l'horreur, m'engloutissais dans les profondeurs de ces nuits d'asphalte. Et puis, brusquement, j'ai cessé de lire. Je n'ai plus lu. Rien, plus rien du tout ! J'ai oublié que j'avais lu. Oublié. En fait, les mots, au lieu de rester dans ma mémoire visuelle, se sont agglutinés dans ma mémoire tactile, et, aujourd'hui, je sais que ce sont ces mots-là qui bougent au bout de mes doigts, qui cherchent à sortir du bout de mes doigts, de tout mon corps. En chantant, je retrouve cette sensation de mots jadis avalés, déglutis, engloutis, qui remontent douloureusement par ma gorge avant que je ne les exhale avec violence ou douceur dans une chanson. Comme il est expliqué dans Lily-Passion :
" Et les mots qui sortent de ma gorge, je ne les connais pas : des mots qu'on a plantés là, des mots qui me font mal et qui m'étouffent ; alors je les crie, je les vomis pour pouvoir respirer, pour vivre... "
Barbara
" Et les mots qui sortent de ma gorge, je ne les connais pas : des mots qu'on a plantés là, des mots qui me font mal et qui m'étouffent ; alors je les crie, je les vomis pour pouvoir respirer, pour vivre... "
Barbara
Bisous